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13/11/2020 | FRANCE | N°19PA03562

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 13 novembre 2020, 19PA03562


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pegasus Hava Tasimaciligi a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/15-1553 du 24 octobre 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 5 000 euros sur le fondement des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1703456/3-2 du 19 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregi

strée le 12 novembre 2019, la société Pegasus Hava Tasimaciligi, représentée par Me A..., dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pegasus Hava Tasimaciligi a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/15-1553 du 24 octobre 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 5 000 euros sur le fondement des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1703456/3-2 du 19 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2019, la société Pegasus Hava Tasimaciligi, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1703456/3-2 du 19 juin 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision R/15-1553 du 24 octobre 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 5 000 euros sur le fondement des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision R/15-1553 du 24 octobre 2016 du ministre de l'intérieur méconnaît les dispositions de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le voyageur disposait de documents de voyage qui ne présentaient aucune irrégularité manifeste ; la fermeture du transit de nuit d'un aéroport n'affecte pas la validité de ces documents ;

- la décision R/15-1553 du 24 octobre 2016 est illégale du fait de l'illégalité de l'article 29 de l'arrêté n° 2012/4685 relatif à la police sur l'aéroport Paris-Orly qui méconnaît les dispositions du règlement (UE) n° 185/2010 du 4 mars 2010 ;

- les articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaissent le règlement n° 2016/399 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes et la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjours irréguliers, la décision-cadre 2002/946.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors que sa requête a été présentée après l'expiration du délai d'appel ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'Acquis de Schengen-la convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 ;

- la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 ;

- le règlement (UE) n° 185/2010 de la Commission du 4 mars 2010 ;

- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des transports ;

- l'arrêté du préfet du Val-de-Marne n° 2012/4685 du 24 décembre 2012 relatif à la police de l'aéroport de Paris-Orly ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 24 octobre 2016, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Pegasus Hava Tasimaciligi, sur le fondement des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 5 000 euros pour avoir, le 30 novembre 2015, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité iranienne, en provenance d'Istanbul, démunie de document lui permettant le franchissement des frontières de l'espace Schengen. La société Pegasus Hava Tasimaciligi relève appel du jugement du 19 juin 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues. ". Aux termes de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. (...) " . Enfin, aux termes de l'article L. 625-5 du même code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 et L. 625-4 ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. ".

3. Les dispositions précitées font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si elles n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.

4. D'autre part, aux termes de l'article 29 de l'arrêté du préfet du Val-de-Marne n° 2012/4685 du 24 décembre 2012 relatif à la police de l'aéroport de Paris-Orly : " Les aérogares Orly Sud et Orly Ouest de l'aéroport Paris-Orly sont fermées au public de minuit et demi (00h30) à quatre heures trente du matin (04h30) ".

Sur la conformité des dispositions précitées au droit de l'Union européenne :

5. En premier lieu, aux termes des dispositions du point 1.1.2.1 de l'annexe au règlement (UE) n° 185/2010 de la Commission du 4 mars 2010 fixant des mesures détaillées pour la mise en oeuvre des normes de base communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile, les zones de sûreté à accès réglementé doivent comprendre une partie à laquelle ont accès les passagers en partance ayant subi une inspection ou un filtrage. Aux termes des dispositions du point 1.1.2.2. de cette annexe : " Une partie d'un aéroport est considérée comme une zone de sûreté à accès réglementé au moins pendant le laps de temps au cours duquel les activités visées au point 1.1.2.1 ont lieu ".

6. La société requérante soutient que l'article 29 de l'arrêté du préfet du Val-de-Marne du 24 décembre 2012 précité, en tant qu'il prévoit la fermeture de deux aérogares de l'aéroport d'Orly, serait contraire aux dispositions du point 1.1.2.1 précitées dès lors qu'une zone de sûreté à accès réglementé doit être accessible à tout moment. Cependant, ces dispositions n'ont pas pour objet et ne peuvent avoir pour effet d'interdire la fermeture temporaire d'une aérogare. De plus, il résulte des dispositions combinées citées au point 5 que l'accès aux zones de sûreté à accès réglementé doit être assuré au moins pendant qu'a lieu l'activité de transport, sans obligation d'assurer cet accès lorsque cette activité a cessé. Par suite, le moyen doit être écarté.

7. En second lieu, par l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, la France s'est engagée, sous réserve des engagements qui découlent de son adhésion à la Convention de Genève, à introduire dans sa législation nationale la règle selon laquelle un transporteur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que l'étranger transporté par voie aérienne est en possession des documents de voyage requis pour l'entrée sur le territoire des parties contractantes et à instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne d'un Etat tiers vers son territoire, des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis. L'exigence qui en découle a été reprise par la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 visant à compléter les dispositions de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985. Les dispositions des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été adoptées en application de cet engagement. Ainsi qu'il a été dit au point 3, ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique. Elles ne sont donc pas contraires aux dispositions du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) qui prévoient que les contrôles aux frontières doivent être effectués par les garde-frontières. En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, aucune disposition de la réglementation européenne n'impose que la sanction prévue par l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile présente un caractère délibéré. Enfin, la requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers et de la décision-cadre 2002/946/JAI du Conseil du 28 novembre 2002 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers qui sont seulement relatifs à la lutte contre l'aide à l'immigration clandestine et sont ainsi étrangers au but poursuivi par les dispositions des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit de l'Union européenne par les articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

Sur l'application des dispositions de l'article L.625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

8. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, l'amende qui lui a été infligée n'a pas pour objet de la sanctionner pour un non-respect des créneaux horaires de nuit mais pour un non-respect de son obligation de vérification des documents de voyage et des visas légalement requis au moment de l'embarquement des passagers.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction que la société Pegasus Hava Tasimaciligi a débarqué, le 30 novembre 2015, à l'aéroport d'Orly, une passagère de nationalité iranienne, en provenance d'Istanbul, et se rendant à la Martinique par un vol prévu le lendemain. Cette dernière disposait, à cet effet, tant des documents nécessaires pour se rendre à la Martinique, soit hors espace Schengen, que d'un visa de transit international, valable toutefois dans les seules limites de l'enceinte de l'aéroport. Cependant, pendant la période de fermeture de l'aéroport entre minuit trente et quatre heures et demi du matin, cette passagère était tenue de quitter les lieux et par suite, de franchir les frontières de l'espace Schengen. A ce titre, elle devait donc posséder un visa lui permettant ce franchissement. Il est constant que tel n'était pas le cas. Ce défaut de visa pouvait être relevé à l'occasion d'un examen normalement attentif des documents de la passagère par un agent de la compagnie aérienne. Si la société requérante fait valoir que l'irrégularité n'était pas manifeste, elle ne pouvait ignorer les horaires de fermeture de l'aéroport d'Orly et la nécessité qui en découle, pour tout voyageur ayant une correspondance le lendemain de l'atterrissage du vol dont elle assurait l'embarquement, d'être détenteur d'un visa Schengen l'autorisant à pénétrer sur le territoire métropolitain français. En outre, si elle fait valoir que les services consulaires, au vu de l'ensemble des éléments du voyage de la passagère, n'ont eux-mêmes pas décelé la nécessité de délivrer un visa permettant de franchir les frontières de l'espace Schengen, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à la décharger de ses propres obligations. Par conséquent, en débarquant cette passagère démunie du visa légalement requis, la société Pegasus Hava Tasimaciligi a commis l'infraction prévue à l'article L. 625-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors même qu'étaient valides les documents de voyage et visas en possession de la voyageuse. Enfin, la société requérante ne peut prétendre que subsistait, pour le même voyage, la possibilité de délivrer à la passagère, à titre exceptionnel, un visa aux points de passage frontaliers sur le fondement de l'article 35 du règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas dès lors qu'une telle délivrance est soumise à la condition, non remplie en l'espèce, d'une urgence imprévue ou de motifs d'entrée imprévisibles et impérieux. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, que la société Pegasus Hava Tasimaciligi n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Pegasus Hava Tasimaciligi est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Pegasus Hava Tasimaciligi et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 9 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 13 novembre 2020.

Le rapporteur,

C. B...La présidente,

M. C...Le greffier,

A. BENZERGUA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19PA03562


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03562
Date de la décision : 13/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Répression - Domaine de la répression administrative Régime de la sanction administrative - Bien-fondé.

Transports - Transports aériens.


Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Celine PORTES
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : TINAS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-11-13;19pa03562 ?
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