Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 6 octobre 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de réintégration, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de le réintégrer dans un emploi assorti d'une rémunération équivalente à celle antérieurement perçue, à compter du 9 mai 2016, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à compter du jugement à intervenir.
Par une ordonnance n° 1700622 du 20 février 2017, la vice-présidente de la 5ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Par un arrêt n° 17PA00836 du 7 juillet 2017, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B... contre cette ordonnance.
Par une décision n° 413797 du 17 juin 2019, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris et lui a renvoyé l'affaire.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 mars 2017 et un mémoire enregistré le 2 juillet 2017, M. B..., représenté par le Cabinet Cassel, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'ordonnance du 20 février 2017 de la vice-présidente du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé plus de deux mois par le ministre de l'intérieur sur son recours gracieux dirigé contre la décision du 6 octobre 2016 rejetant sa demande de réintégration, ainsi que, en tant que de besoin, la décision du 6 octobre 2016 et la décision implicite de rejet du 9 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à sa réintégration assortie d'une rémunération équivalente à celle antérieurement perçue, à compter du 9 mai 2016, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, et en toute hypothèse, de réexaminer son dossier, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- aucune décision implicite de rejet n'était née le 9 avril 2016 puisqu'à cette date, sa demande était encore à l'instruction dès lors qu'il a été invité le 15 février 2016 à retourner des pièces complémentaires et convoqué à un entretien le 22 juin 2016, reporté le 27 juin 2016 ;
- la prétendue décision implicite de rejet du 9 avril 2016 ne pouvait être confirmative des décisions attaquées dès lors qu'elle intervenait dans un contexte différent ;
- le courrier du 7 juin 2016 n'avait pas la nature d'un courrier d'attente dès lors qu'un tel courrier est adressé préalablement à la prise d'une décision et non postérieurement à la naissance le 9 avril 2016 d'une décision implicite de rejet ; ce courrier n'avait pas pour objet de le placer en situation d'attente mais de lui signifier que sa demande était en cours d'instruction et que des démarches étaient attendues de sa part ; qualifier ce courrier de courrier d'attente impliquait d'en déduire qu'il révélait le retrait de la " décision implicite de rejet " du 9 avril 2016 ;
- l'administration a méconnu le principe de loyauté et d'accès au tribunal, en méconnaissance des articles 6-1 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le courrier du 7 juin 2016 ne fait pas référence à une prétendue " décision implicite de rejet " qui serait née le 9 avril 2016 et l'a au contraire informé que sa demande était en cours d'instruction et non d'une nouvelle instruction ; l'administration l'a induit en erreur sur l'existence et le délai de recours contre la décision implicite de rejet qui serait née ; le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt n° 17PA00836 de la Cour administrative d'appel rejetant son appel contre l'ordonnance attaquée ;
- si l'irrecevabilité de sa requête était manifeste, le juge aurait pu la rejeter sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative ;
- la décision du 6 octobre 2016 est entachée d'une incompétence de son signataire ;
- les décisions attaquées sont entachées d'un défaut de motivation ;
- les décisions attaquées sont entachées d'un vice de procédure faute pour l'administration d'avoir procédé à une recherche préalable des possibilités d'affectation à son ancien poste ou de reclassement ; elles sont entachées d'un autre vice de procédure faute d'avoir été précédées de la décision relative à l'habilitation " secret-défense " qui n'est intervenue que le 30 janvier 2017 ;
- aucun élément ne permet de considérer que son poste initial n'était pas disponible ni que de réelles recherches de reclassement aient été effectuées ; le ministère de l'intérieur n'a jamais produit d'élément justifiant ses recherches de reclassement notamment au sein d'une autre direction que la DGSI ou sur un autre poste que celui de traducteur-interprète ;
- le ministre de l'intérieur ne saurait opposer la situation de compétence liée dans laquelle il aurait été à la date de la décision du 6 octobre 2016 dès lors que le refus de l'habilitation est postérieur et qu'il pouvait le reclasser sur un poste ne nécessitant pas d'habilitation " secret défense " ;
- le rejet de sa demande de réintégration ne tient aucun compte de ses compétences attestées par ses évaluations depuis 2009 ;
- aucun élément n'atteste que sa réintégration aurait porté atteinte à la sécurité intérieure ;
Par des mémoires en défense enregistrés le 26 mai 2017 et le 24 février 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête ;
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a exercé en qualité d'agent contractuel, du 2 janvier 1997 jusqu'au mois d'octobre 2014, les fonctions de traducteur interprète en langues arabe et kabyle au sein de la direction de la surveillance du territoire du ministère de l'intérieur, devenue successivement la direction centrale du renseignement intérieur puis la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), fonctions nécessitant une habilitation au niveau secret-défense. Ayant sollicité une disponibilité pour convenances personnelles, M. B... a sollicité sa réintégration anticipée au sein de la DGSI par un courrier en date du 8 février 2016. Une décision implicite de rejet née le 9 avril 2016 a été opposée à sa demande, explicitement confirmée par décision du 6 octobre 2016. Par une ordonnance du 20 février 2017, la vice-présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête tendant d'une part, à l'annulation de la décision du 6 octobre 2016 ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de le réintégrer dans un emploi assorti d'une rémunération équivalente à celle antérieurement perçue, à compter du 9 mai 2016, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par un arrêt du 7 juillet 2017, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B... contre cette ordonnance. Par une décision du 17 juin 2019, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris et lui a renvoyé l'affaire.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes du 5° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet dans les relations entre l'administration et ses agents. Le premier alinéa de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dispose que " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'un requérant n'est pas recevable à contester une décision expresse confirmative d'une décision de rejet devenue définitive. Il en va différemment si la décision de rejet n'est pas devenue définitive, le requérant étant alors recevable à en demander l'annulation dès lors qu'il saisit le juge dans le délai de recours contre la décision expresse confirmant ce rejet. Il en va ainsi lorsque, par son comportement, l'administration a induit en erreur le requérant sur les conditions d'exercice de son droit au recours contre le refus qui lui a été initialement opposé.
4. Il ressort des pièces du dossier que la demande de réintégration de M. B... a donné lieu à une décision implicite de rejet le 9 avril 2016 et qu'avant l'expiration du délai de recours contre cette décision ont été adressés à M. B..., d'une part, le 19 mai 2016, un courriel lui confirmant que, ainsi que cela lui avait été indiqué par téléphone, l'instruction de son dossier était en cours et qu'il serait prochainement convoqué à un entretien avec la personne en charge de son dossier prévu le 22 juin 2016 et lui demandant, dans cette perspective, de fournir un certain nombre de pièces complémentaires et, d'autre part, une lettre en date du 7 juin 2016 lui confirmant que sa demande était en cours d'instruction et qu'il aurait prochainement un entretien avec la personne en charge de son dossier, entretien qui a finalement eu lieu le 27 juin 2016. Ainsi, M. B... est fondé à soutenir que ces courriel et lettre avaient pu l'induire en erreur sur les conditions d'exercice de son droit au recours contre le refus qui lui avait été initialement opposé. Dans ces conditions, en jugeant que la requête de M. B... dirigée contre une décision purement confirmative était tardive et par suite manifestement irrecevable, la première juge a entaché son ordonnance d'irrégularité.
5. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.
6. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le Tribunal administratif de Paris par M. B....
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
7. Aux termes de l'article 24 du décret susvisé du 17 janvier 1986 : " I. - Pour les congés faisant l'objet des articles 20, 22 et 23, l'agent sollicite, au moins trois mois avant le terme du congé, le renouvellement de son congé ou sa demande de réemploi par lettre recommandée avec accusé de réception. (...) III. - L'agent peut demander, dans les mêmes conditions que celles prévues au I, qu'il soit mis fin au congé avant le terme initialement fixé. Cette demande est adressée à l'administration en respectant un préavis de trois mois au terme duquel l'agent est réemployé dans les conditions définies à l'article 32. (...). " et aux termes de l'article 32 du même décret : " A l'issue des congés prévus au titre IV, aux articles 20, 20 bis, 21, 22 et 23 du titre V et à l'article 26 du titre VI, les agents physiquement aptes et qui remplissent toujours les conditions requises sont réemployés sur leur emploi ou occupation précédente dans la mesure permise par le service. Dans le cas contraire, ils disposent d'une priorité pour être réemployés sur un emploi ou occupation similaire assorti d'une rémunération équivalente. ".
8. M. B... soutient qu'aucun élément ne permet de considérer que son poste initial n'était pas disponible ni que de réelles recherches de reclassement aient été effectuées dès lors que le ministère de l'intérieur n'a jamais produit d'élément justifiant ses recherches de reclassement notamment au sein d'une autre direction que la DGSI ou sur un autre poste que celui de traducteur-interprète. Il ressort des pièces du dossier que si le ministre justifie avoir sollicité le 6 mars 2017 la direction centrale de la police judiciaire, la direction centrale de la sécurité publique, la direction générale des étrangers en France et la direction de la gendarmerie nationale pour savoir si leurs services étaient susceptibles de proposer à M. B... un emploi similaire à celui qu'il occupait à la DGSI, ces démarches étaient toutes postérieures aux décisions attaquées des 9 avril 2016 et 6 octobre 2016. Ainsi, en admettant même que l'emploi de M. B... n'aurait pas été vacant ou que sa réintégration au sein de la DGSI n'était pas possible, le ministre ne justifie pas avoir, avant de rejeter la demande de réintégration de M. B..., procédé aux recherches d'emploi ou d'occupation similaire, en méconnaissance des dispositions précitées, sans qu'il puisse opposer la situation de compétence liée qu'il allègue du fait de l'absence d'habilitation " secret défense " de l'intéressé qui n'était en tout état de cause requise que pour les fonctions antérieurement occupées par ce dernier à la DGSI.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision implicite de rejet née le 9 avril 2016 et de la décision du 6 octobre 2016 du ministre de l'intérieur rejetant sa demande de réintégration.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Les motifs qui s'attachent à l'annulation des décisions du 9 avril 2016 et du 6 octobre 2016 du ministre de l'intérieur rejetant la demande de réintégration de M. B... n'impliquent pas nécessairement que le ministre procède à la réintégration de ce dernier. Il y a lieu, en revanche, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du 20 février 2017 de la vice-présidente du Tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La décision implicite née le 9 avril 2016 et la décision du 6 octobre 2016 du ministre de l'intérieur rejetant la demande de réintégration de M. A... B... sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... B... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Portes, premier conseiller.
Lu en audience publique le 13 novembre 2020.
La présidente-rapporteure
M. C...L'assesseur le plus ancien,
P. MANTZ
Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02041