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31/07/2020 | FRANCE | N°19PA02701

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 31 juillet 2020, 19PA02701


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) Groupe Bernard B... a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, la décharge des cotisations d'impôt acquittées par ses liquidateurs à concurrence d'une somme de 13 679 542,20 euros prélevée sur les indemnités perçues à la suite de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2018, et, d'autre part, la restitution de cette somme.

Par un jugement n° 1804403/1-1 du 10 juillet 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédur

e devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 août 2019 et le 16 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) Groupe Bernard B... a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, la décharge des cotisations d'impôt acquittées par ses liquidateurs à concurrence d'une somme de 13 679 542,20 euros prélevée sur les indemnités perçues à la suite de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2018, et, d'autre part, la restitution de cette somme.

Par un jugement n° 1804403/1-1 du 10 juillet 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 août 2019 et le 16 janvier 2020, la SNC Groupe Bernard B..., représentée par Me C..., doit être regardée comme demandant à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1804403/1-1 du 10 juillet 2019 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'ordonner la restitution de la somme de 13 679 542,20 euros, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les arrêts des 17 février et 3 décembre 2015, par lesquels la Cour d'appel de Paris a accueilli le recours en révision de la procédure d'arbitrage diligentée en 2007 pour trancher les litiges opposant les liquidateurs des sociétés de M. B... au Crédit Lyonnais, ordonné la rétractation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008 et décidé de condamner solidairement les parties gagnantes à l'arbitrage à rembourser au consortium de réalisation (CDR) la somme de 404 623 082,54 euros, sont constitutifs d'événements, au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, qui étaient de nature à rouvrir les délais de réclamation tendant à la restitution de la somme de 13 679 542,20 euros acquittée en 2009 en règlement des dettes fiscales de M. B... et de ses sociétés ;

- dès lors que cette somme a été payée à la suite d'un arbitrage ultérieurement rétracté par une décision de justice devenue définitive, elle est constitutive d'un enrichissement sans cause au profit de l'Etat ;

- le refus de restitution de cette somme porte atteinte aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er à son premier protocole.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête de la SNC Groupe Bernard B... est irrecevable ;

- en tout état de cause, les moyens soulevés sur le terrain de l'enrichissement sans cause et des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er à son premier protocole ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience, en application de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 modifiée portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Pour mettre fin aux litiges qui les opposaient au Crédit Lyonnais et à ses filiales, en raison notamment de la vente de l'équipementier sportif Adidas par la Société de Banque Occidentale, devenue Consortium de réalisation Créances (CDR Créances) après avoir été apportée au Consortium de réalisation (CDR) dans le cadre du plan de sauvetage du Crédit Lyonnais, les liquidateurs des sociétés du groupe Bernard B... ont proposé de recourir à une procédure d'arbitrage, à laquelle l'Etat ne s'est pas opposé. Par sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008, le CDR et le CDR Créances ont notamment été condamnés à verser solidairement aux liquidateurs des sociétés de M. B... une indemnité de 240 millions d'euros hors intérêts, ramenée à 233 millions d'euros à la suite de diverses compensations. Celle-ci a permis au Tribunal de commerce de Paris, par un jugement du 6 mai 2009, d'ordonner la révision de la procédure collective de la SNC Groupe Bernard B..., qui s'est acquittée, les 15 avril et 16 novembre 2009, du paiement, à concurrence de 13 679 542,20 euros, d'une partie des dettes fiscales de M. B... et de ses sociétés, admises au passif des procédures collectives ouvertes à leur encontre. Après que la Cour d'appel de Paris, par des arrêts définitifs des 17 février et 3 décembre 2015, eut ordonné la rétractation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008 et décidé de condamner solidairement les parties gagnantes à l'arbitrage à rembourser aux sociétés CDR et CDR Créances la somme de 404 623 082,54 euros assortie des intérêts de droit, la société Groupe Bernard B... a vainement sollicité de l'administration fiscale, les 10 mai et 21 décembre 2017, la restitution de la somme de 13 679 542,20 euros. La société relève appel du jugement du 10 juillet 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce qu'il y soit fait droit.

Sur les conclusions à fin de restitution :

2. D'une part, aux termes des troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction ou à la restitution d'impositions indues, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, révélée par une décision juridictionnelle ou par un avis rendu au contentieux. / (...) / Pour l'application du troisième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'Etat ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, les arrêts de la Cour de cassation ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, les arrêts du Tribunal des conflits et les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle ". L'article R. 196-1 du même livre dispose que : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. Ne constitue pas un tel événement une décision juridictionnelle ou un avis mentionné aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190. (...) ".

3. En vertu de ces dispositions, seuls doivent être regardés comme constituant le point de départ du délai de réclamation posé par le c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, les événements, autres que les décisions juridictionnelles et avis mentionnés aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du même livre, qui ont une incidence directe sur le principe même de l'imposition, son régime ou son mode de calcul.

4. D'autre part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d'un recours administratif, celui-ci doit être exercé, comme doit l'être le recours juridictionnel, dans un délai raisonnable. S'agissant de la contestation des impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, le recours administratif préalable doit être présenté dans le délai prévu par les articles R. 196-1 du livre des procédures fiscales, prolongé, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, d'un an. Dans cette hypothèse, le délai de réclamation court à compter de l'année au cours de laquelle il est établi que le contribuable a eu connaissance de l'existence de l'imposition.

5. Le règlement de la somme de 13 679 542,20 euros dont s'est acquittée la société Groupe Bernard B... pour apurer les dettes fiscales exigibles dans le cadre de la procédure collective unique ouverte à l'encontre de M. et Mme D... B... et des sociétés dont ils étaient associés, est intervenu en 2009. La société Groupe Bernard B... était donc forclose, au regard du principe de sécurité juridique, lorsqu'elle a vainement saisi l'administration fiscale, les 10 mai et 21 décembre 2017, de réclamations tendant à en obtenir la restitution.

6. Pour se défendre de cette forclusion, la société Groupe Bernard B... invoque les arrêts définitifs des 17 février et 3 décembre 2015, par lesquels la Cour d'appel de Paris a ordonné la rétractation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008 et condamné solidairement les parties gagnantes à l'arbitrage à rembourser au CDR et au CDR Créances la somme de 404 623 082,54 euros. Si ces décisions de justice comptent au nombre des évènements susceptibles de motiver une réclamation au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, tel n'est pas le cas en l'espèce, le litige ne portant que sur la demande de restitution d'une somme que l'appelante considère avoir acquittée à tort au titre d'impositions légalement dues, qui ne la concernent au demeurant qu'à concurrence de la somme non contestée de 3 108 563,16 euros, sur lesquelles les arrêts invoqués n'ont eu aucune incidence. En tout état de cause, la société Groupe Bernard B... ne saurait utilement soutenir que le règlement de la somme de 13 679 542,20 euros en litige, dont il n'est pas contesté qu'elle se rapporte à des dettes fiscales réclamées en vertu de dispositions légales applicables, ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, serait constitutif d'un enrichissement sans cause au profit de l'Etat. Pour les mêmes motifs, l'appelante ne saurait en toute hypothèse soutenir qu'en s'en acquittant, elle aurait subi une discrimination et été privée d'un bien à la propriété duquel l'Etat aurait porté atteinte, en méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'action et des comptes publics, que la société Groupe Bernard B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, au motif qu'elle était irrecevable. Par suite, ses conclusions tendant à ce que lui soit restituée la somme de 13 679 542,20 euros, assortie des intérêts moratoires, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

8. L'Etat n'étant pas la partie perdante à l'instance, il y a lieu de rejeter les conclusions de la société Groupe Bernard B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Groupe Bernard B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe Bernard B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques).

Délibéré après l'audience du 10 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,

- Mme A..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 31 juillet 2020.

Le rapporteur,

C. A...Le président,

C. JARDINLe greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA02701


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02701
Date de la décision : 31/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-02-03-02 Contributions et taxes. Règles de procédure contentieuse spéciales. Demandes et oppositions devant le tribunal administratif. Délais.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Christelle ORIOL
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : PHILIP

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-31;19pa02701 ?
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