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31/07/2020 | FRANCE | N°18PA01083

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 31 juillet 2020, 18PA01083


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a rejeté sa demande de prolongation d'activité au-delà de l'âge de cinquante-sept ans, d'enjoindre à la direction générale de l'aviation civile de lui délivrer une attestation d'aptitude à reprendre une activité opérationnelle et un historique de sa carrière et, à titre subsidiaire, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice

de l'Union européenne afin de savoir si les dispositions de la directive 2000/78...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a rejeté sa demande de prolongation d'activité au-delà de l'âge de cinquante-sept ans, d'enjoindre à la direction générale de l'aviation civile de lui délivrer une attestation d'aptitude à reprendre une activité opérationnelle et un historique de sa carrière et, à titre subsidiaire, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne afin de savoir si les dispositions de la directive 2000/78/CE s'opposent à ce qu'une disposition nationale fixe une limite d'âge de cinquante-sept ans à des ingénieurs qui n'exercent aucune fonction de sécurité aérienne.

Par un jugement n° 1617792/5-2 du 8 février 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de M. E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 mars 2018, le 19 octobre 2018 et le 28 novembre 2018, M. B... E..., représenté par la SELAFA. cabinet Cassel, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 février 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a rejeté sa demande de prolongation d'activité au-delà de l'âge de cinquante-sept ans ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision implicite de rejet constitue une discrimination fondée sur l'âge et a été prise, par suite, en méconnaissance des dispositions de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ; en effet, la limite d'âge de cinquante-sept ans sans possibilité de report appliquée aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne est générale et absolue et ne distingue pas selon qu'ils exercent une activité opérationnelle en salle de contrôle ou une activité administrative ; il n'est pas susceptible de reprendre à tout moment une activité opérationnelle ;

- la décision implicite de rejet méconnaît l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989 qui fixe la limite d'âge à cinquante-sept ans est incompatible avec les dispositions européennes mentionnées précédemment ;

- la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et le défenseur des droits ont estimé que les dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989 étaient discriminatoires au sens des dispositions de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2018, la ministre auprès du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. E... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;

- la directive 2006/23/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;

- la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 ;

- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

- le décret n° 90-998 du 8 novembre 1990 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 4 juin 2016, reçu le 6 juin 2016, M. E..., ingénieur du contrôle de la navigation aérienne, a présenté au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer une demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge de cinquante-sept ans applicable à son corps. Par un jugement du 8 février 2018 dont M. E... relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le droit national :

2. Aux termes de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, issu de l'article 93 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve des droits au recul des limites d'âge prévus par l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires régis par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires appartenant à des corps ou à des cadres d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à soixante-cinq ans sont, sur leur demande, lorsqu'ils atteignent cette limite d'âge, maintenus en activité jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, sous réserve de leur aptitude physique ". Toutefois, aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989 relative au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, dans sa rédaction applicable au litige : " La limite d'âge des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne est fixée à cinquante-sept ans, sans possibilité de report ".

En ce qui concerne le droit de l'Union européenne :

3. D'une part, la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail a pour objet, en vertu de ses articles 1 et 2, de proscrire les discriminations professionnelles directes et indirectes, y compris les discriminations fondées sur l'âge. Toutefois, aux termes du paragraphe 5 de son article 2 : " La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1er de l'article 4 de la même directive : " Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les Etats membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée ".

4. D'autre part, le paragraphe 2 de l'article 10 de la directive du Parlement européen et Conseil du 5 avril 2006 concernant une licence communautaire de contrôleur de la navigation aérienne, autorise les Etats membres, s'ils le jugent nécessaire pour des raisons de sécurité, à prévoir une limite d'âge pour les contrôleurs de la navigation aérienne dont les fonctions opérationnelles de contrôle de la circulation aérienne nécessitent la détention d'une telle licence. Cette faculté était maintenue en vigueur à la date du litige par l'effet des dispositions de l'article 2 du règlement (CE) n° 1108/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009. Elle a ensuite été à nouveau maintenue en vigueur par l'article 31 du règlement (UE) n° 805/2011 de la Commission du 10 août 2011 établissant les modalités relatives aux licences et à certains certificats de contrôleur de la circulation aérienne.

5. En premier lieu, une limite d'âge inférieure au droit commun constitue une différence de traitement selon l'âge affectant les conditions d'emploi et de travail au sens des dispositions précitées des articles 1 et 2 de la directive 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000, ainsi que l'a notamment jugé la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt du 12 janvier 2010 (aff. C-229/08). Une telle mesure peut cependant être justifiée si elle est nécessaire, aux termes du paragraphe 5 de l'article 2 de la directive, notamment à la sécurité publique ou si, en vertu du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive, la caractéristique qui fonde la différence de traitement, liée notamment à l'âge, en raison de la nature de l'activité professionnelle ou des conditions de son exercice, constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante de cette activité, pour autant que cette exigence soit proportionnée.

6. M. E... fait valoir que la limite d'âge de cinquante-sept ans fixée par la loi du 31 décembre 1989 n'est pas justifiée dès lors qu'elle concerne tous les membres du corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, indépendamment de leur affectation dans leurs différentes fonctions. Cependant, si des membres du corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne peuvent, conformément à l'article 3 du décret du 8 novembre 1990 portant statut du corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, être affectés à des fonctions dites " hors salle ", notamment sur des emplois ouverts à des fonctionnaires relevant d'autres corps, c'est-à-dire sans avoir à exercer une activité opérationnelle de contrôle de la navigation aérienne, ceux-ci doivent conserver leur aptitude à ce contrôle et être à même, en fonction des besoins, de reprendre à tout moment une activité opérationnelle en salle de contrôle. La circonstance que l'administration ne puisse préciser si et dans quelles conditions M. E... aurait été amené à reprendre une activité de contrôle aérien est sans incidence sur la nécessité pour ce dernier, de conserver l'aptitude requise. En outre, s'il est vrai que les possibilités de reclassement offertes dans le corps des ingénieurs des études et de l'exploitation de l'aviation civile sont limitées, elles doivent être prises en considération dès lors qu'elles permettent aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne de poursuivre, sur leur demande et après examen professionnel, une activité au-delà de la limite d'âge qui leur est applicable. Enfin, la circonstance que la limite d'âge des pilotes ait été portée de soixante ans à la limite d'âge de droit commun est sans incidence sur le litige, dès lors qu'il n'est pas démontré que les considérations de sécurité publique applicables au pilotage seraient similaires à celles applicables au contrôle de la navigation aérienne.

7. L'institution d'une telle limite d'âge générale et dérogatoire par l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989, répondant à l'objectif de garantir la sécurité aérienne, est, par suite, justifiée au regard des dispositions du paragraphe 5 de l'article 2 de la directive. Elle répond également à une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour atteindre cet objectif, au sens des dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du 27 novembre 2000.

8. Il résulte de tout ce qui précède que doit être écarté le moyen tiré de ce que la décision implicite de rejet et l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989 méconnaîtraient les dispositions de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 interdisant les discriminations en fonction de l'âge et l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

9. En deuxième lieu, le présent litige ne porte pas sur l'interprétation ou la validité du droit de l'Union européenne mais sur la conformité d'une disposition du droit national au droit de l'Union européenne, tel qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne. Par suite, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de poser une question préjudicielle à cette dernière.

10. En troisième lieu, la circonstance que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ainsi que le Défenseur des droits aient, dans des dossiers similaires, estimé que l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989 constituait une discrimination au sens de la réglementation européenne précitée ne saurait lier le juge de l'excès de pouvoir.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. E... la somme que demande la ministre chargée des transports sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la ministre chargée des transports au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B... E... et à la ministre de la transition écologique.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 31 juillet 2020.

Le rapporteur,

C. A...La présidente,

M. C...Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01083


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01083
Date de la décision : 31/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-10-01 Fonctionnaires et agents publics. Cessation de fonctions. Mise à la retraite pour ancienneté ; limites d'âge.


Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Celine PORTES
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY- POUPOT - VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-31;18pa01083 ?
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