Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du
25 octobre 2017 par lequel le préfet de police a refusé de délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 1800149 du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 novembre 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- M. E... représente une menace à l'ordre public ;
- la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale ;
- les autres moyens soulevés devant tribunal administratif de Paris sont infondés.
Par un mémoire enregistré le 17 juin 2020, M. E..., représenté par
Me F... A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La Cour a pris connaissance du mémoire, intitulé " note en délibéré ", remis le
23 juin 2020 avant l'audience, reçu après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me A..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., né le 27 mars 1983 à La Dominique, Etat dont il a la nationalité est entré en France en 1995. Bénéficiaire d'autorisations provisoires de séjour dont la dernière a expiré le 15 mars 2017, il a sollicité, le 5 janvier 2016, la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 25 octobre 2017, le préfet de police a refusé de lui délivrer ce titre de séjour. Par un jugement du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a d'une part, annulé cet arrêté et d'autre part, enjoint au préfet de police de délivrer à
M. E... dans un délai de deux mois un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Le préfet de police relève régulièrement appel de ce jugement.
2. M. E... avait sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale. Le préfet de police, qui a considéré qu'elle avait été présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a rejetée en retenant le motif tiré de la menace à l'ordre public. En première instance, le préfet de police a demandé au tribunal de substituer à cette base légale les articles L. 313-11-2° et
L. 313-11-7° du même code.
3. Aux termes de l'article L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusée ou retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 313-11 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : " (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. "
4. Il appartient en principe à l'autorité administrative de délivrer, lorsqu'elle est saisie d'une demande en ce sens, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui remplit les conditions prévues par les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle ne peut opposer un refus à une telle demande que pour un motif d'ordre public suffisamment grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur. Elle peut prendre en compte, sur un tel fondement, le fait qu'un demandeur a été impliqué dans des crimes graves contre les personnes et que sa présence régulière sur le territoire national, eu égard aux principes qu'elle mettrait en cause et à son retentissement, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public.
5. Il ressort des pièces du dossier d'une part, que M. E... a été condamné le
15 juin 2004 par la cour d'appel de Fort-de-France à quinze ans de réclusion criminelle pour assassinat et acquisition sans autorisation d'arme ou de munition, faits commis en octobre 2002 alors qu'il était âgé de dix-neuf ans. Il a également été condamné par jugement du 28 avril 2006 du tribunal correctionnel d'Evreux pour des faits tenant à son comportement alors qu'il était incarcéré au centre de détention de Val de Reuil où il purgeait sa peine. Les faits commis en mai 2015 à l'occasion d'une rixe avec un agent d'un club de nuit n'ont pas donné lieu à sanction.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. E... justifie d'une réinsertion exemplaire, relevée notamment par la commission du titre de séjour qui a émis un avis favorable à sa demande. A l'exception des faits ayant motivé la condamnation d'avril 2006 mentionnée au point précédent, M. E... a adopté pendant son emprisonnement au Val de Reuil un comportement paisible et a entamé avec un sérieux particulier sa démarche d'intégration dans la société, ces éléments très positifs ayant été relevés tant par le psychologue que par le chef de détention. Il y a repris sa formation, limitée avant sa détention au niveau CAP menuisier, et a obtenu, le 23 juin 2010 le diplôme d'accès aux études universitaires. Entre 2010 et 2014, il a travaillé notamment en tant que soudeur et dans la fabrication et la réparation de luminaires. Immatriculé à sa sortie de prison au registre des métiers en tant que restaurateur sur luminaire, il a poursuivi son activité de bronzier et l'a développée grâce à ses compétences et son savoir-faire, reconnus dans la profession ainsi que l'attestent les nombreuses pièces au dossier et des témoignages élogieux et probants. Par ailleurs, il a suivi une psychothérapie à compter de novembre 2015. A la date de l'arrêté attaqué, il vivait en concubinage depuis dix-huit mois avec une ressortissante française, épousée le 22 décembre 2018. Un enfant est né de cette union. Enfin, la mère de M. E... et l'ensemble de sa fratrie, avec laquelle il a conservé des liens, résident à la Martinique.
7. Dans ces conditions, le crime commis en 2002 pour lequel il convient cependant de tenir compte du jeune âge de l'intéressé et du contexte particulier dans lequel il s'inscrivait à la Martinique, malgré sa gravité, est resté isolé, l'incident survenu en 2015 ne suffisant pas à entacher une démarche de réinsertion professionnelle et familiale dont l'ensemble des pièces du dossier atteste, à ce jour, de la réussite. Eu égard à l'ensemble des éléments qui viennent d'être rappelés, le préfet de police ne pouvait pas se fonder sur la menace à l'ordre public pour refuser à M. E..., dont il convient pour le surplus de rappeler qu'il n'est pas susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement en raison du jeune âge auquel il est entré en France, la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ".
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du
25 octobre 2017.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à M. E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. E... la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. B..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 juillet 2020.
L'assesseur le plus ancien,
M-C... Le président de la formation de jugement,
président-rapporteur,
Ch. B... Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 20PA00170