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07/07/2020 | FRANCE | N°19PA02053

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 07 juillet 2020, 19PA02053


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Temana Import a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, d'une part, d'annuler le marché conclu par la commune de Huahine suivant l'appel d'offres ouvert publié le 23 juin 2017 pour la fourniture d'un camion-citerne Feux Super de 10 000 litres, attribué à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Formation Etudes Protection Incendie (FEPI), et, d'autre part, de l'indemniser du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, à concurrence de

2 128 699 francs CFP.

Par un jugement n° 1800182 du 26 mars 2019, le Tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Temana Import a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, d'une part, d'annuler le marché conclu par la commune de Huahine suivant l'appel d'offres ouvert publié le 23 juin 2017 pour la fourniture d'un camion-citerne Feux Super de 10 000 litres, attribué à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Formation Etudes Protection Incendie (FEPI), et, d'autre part, de l'indemniser du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, à concurrence de 2 128 699 francs CFP.

Par un jugement n° 1800182 du 26 mars 2019, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juin 2019, la SARL Temana Import, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 mars 2019 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler le marché conclu par la commune de Huahine suivant l'appel d'offres ouvert publié le 23 juin 2017 pour la fourniture d'un camion-citerne Feux Super de 10 000 litres ;

3°) de condamner la commune de Huahine à lui verser la somme de 2 128 699 francs CFP en réparation du préjudice financier né de son éviction irrégulière du marché ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Huahine la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de Huahine a entaché la procédure d'attribution du marché d'irrégularités en refusant de lui faire connaître les motifs de rejet de son offre, en méconnaissance du 7ème alinéa de l'article 300 du code des marchés publics applicable aux communes de la Polynésie française ;

- d'une part, en s'abstenant de pondérer les critères retenus pour le jugement des offres et de noter les candidatures présentées, et, d'autre part, en retenant les critères de la garantie anti-corrosion et de la formation pour discriminer les offres, alors qu'ils n'avaient pas été affichés dans les documents de la consultation, la commission d'appel d'offres a porté atteinte aux principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des marchés publics ;

- dès lors qu'elle avait une chance sérieuse d'emporter le marché, elle a droit à la réparation du manque à gagner né de son éviction du marché.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2019, la commune de Huahine conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la société Temana Import n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée ;

- le décret n° 71-50 du 18 janvier 1971 ;

- le décret n° 80-918 du 13 novembre 1980 ;

- l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. En juin 2017, la commune de Huahine, en Polynésie française, a publié un avis d'appel d'offres ouvert, paru dans le journal La dépêche, portant sur la fourniture et la livraison d'un camion-citerne feux super de 10 000 litres, offrant aux soumissionnaires potentiels un délai courant jusqu'au 28 juillet 2017 à 14 heures 30 pour présenter leurs offres. Après que les sociétés Lagoon Diffusion, Argos Polynésie et Temana Import et l'EURL FEPI eurent déposé leurs offres dans les délais requis, le marché a finalement été attribué à l'EURL FEPI, la commission d'appel d'offres ayant estimé qu'elle avait présenté l'offre la plus intéressante en termes de rapport qualité/prix, de garanties et de formation. Estimant avoir été irrégulièrement évincée du marché, la société Temana Import a saisi le Tribunal administratif de la Polynésie française en lui demandant, d'une part, d'annuler le marché en cause, et, d'autre part, de l'indemniser de son manque à gagner, à concurrence de 2 128 699 francs CFP. Elle relève appel du jugement du 26 mars 2019 par lequel le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur la validité du marché :

2. D'une part, aux termes de l'article 300 du code des marchés publics applicable aux communes de Polynésie française, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 18 janvier 1971 modifiant le code des marchés publics, rendu applicable en Polynésie française par l'article 11 du décret du 13 novembre 1980 portant application des lois du 8 juillet 1977 et du 29 décembre 1977 modifiant le régime communal dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et de la Polynésie française : " La commission élimine les offres non conformes à l'objet du marché ; elle choisit librement l'offre qu'elle juge la plus intéressante, en tenant compte du prix des prestations, de leur coût d'utilisation, de la valeur technique, des garanties professionnelles et financières présentées par chacun des candidats et du délai d'exécution. La commission peut décider que d'autres considérations entrent en ligne de compte ; celles-ci doivent avoir été spécifiées dans l'avis d'appel d'offres. Sont toutefois prohibées les considérations qui ne seraient pas justifiées par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution (...) ".

3. D'autre part, lorsque le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre des critères de sélection, de faire usage de sous-critères pondérés ou hiérarchisés, il est tenu de porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères lorsque, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection, et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

4. Il résulte de l'instruction que l'article 5 du règlement particulier d'appel d'offres du marché en litige a prévu que dans le jugement des offres, outre les critères prévus par l'article 300 du code des marchés publics applicable aux communes de la Polynésie française, il serait tenu compte, par ordre de priorité, des critères de la valeur technique du matériel, du prix du matériel et de la composition des dossiers transmis. A cet égard, il a été prévu que l'examen et la comparaison éventuelle des documentations jointes à l'offre seraient un des éléments importants du choix. En revanche, les documents de la consultation n'ont pas dévoilé la pondération des critères affichés. Pour attribuer le marché à l'EURL FEPI, la commission d'appel d'offres n'a pas noté les offres qui lui ont été présentées au regard des critères en cause, mais s'est notamment fondée, pour discriminer les candidats, sur le critère de la formation, qui n'avait pas été mentionné dans le règlement particulier d'appel d'offres, et sur celui de la garantie anti-corrosion du véhicule, qui n'avait pas été présenté comme étant prépondérant pour apprécier le critère de la valeur technique. Dans ces conditions, la société Temana Import est fondée à soutenir que la procédure d'attribution du marché, qui a méconnu le principe d'égalité de traitement des candidats et de transparence des marchés publics, est entachée d'irrégularité.

Sur les conséquences de l'invalidité du marché :

5. Il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

6. Malgré les irrégularités relevées au point 4 ci-dessus, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Huahine aurait délibérément avantagé l'EURL FEPI en lui attribuant le marché en litige. Les conclusions de la société Temana Import tendant à son annulation doivent donc être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires de la société Temana Import :

7. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation. Il s'en suit que lorsque l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée.

8. D'autre part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par un candidat évincé à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.

9. Il résulte de l'instruction que l'EURL FEPI, attributaire du marché en litige, a présenté la meilleure offre sur le plan technique, avec une garantie anti-corrosion de cinq ans contre trois pour la société Temana Import, garantie importante en raison de l'état des routes et de l'atmosphère saline de l'ile de Huahine. L'offre de l'EURL FEPI était également performante au niveau du prix proposé, avec un coût des matériels incendie " armement optionnels " plus bas que celui de la société Temana Import, qui n'était mieux-disante que sur le montant de l'offre de base. Par suite, l'absence de pondération des critères affichés dans les documents de la consultation et de mention des critères sur lesquels s'est fondée la commission d'appel d'offres, n'a pas été la cause déterminante de l'éviction de la SARL Temana Import. Au demeurant et pour les mêmes motifs, la société Temana Import ne peut être regardée comme ayant perdu une chance sérieuse d'obtenir le marché. Elle ne saurait donc, en tout état de cause, demander l'indemnisation d'un éventuel préjudice, en l'absence de lien de causalité direct entre les irrégularités ayant entaché la procédure d'attribution du contrat et celui né du manque à gagner qu'elle invoque.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Temana Import n'est pas fondée à se plaindre de ce que le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa requête.

Sur les frais de justice :

11. La commune de Huahine n'étant pas la partie perdante à l'instance, il y a lieu de rejeter les conclusions de la société Temana Import présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du CJA. Dans les circonstances de l'espèce, il y a également lieu de rejeter les conclusions de la commune présentées sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Temana Import est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Huahine présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Temana Import, à la commune de Huahine et au haut-commissaire de la République en Polynésie française .

Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 juillet 2020.

Le rapporteur,

C. A...Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAULe greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19PA02053


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02053
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés - Formalités de publicité et de mise en concurrence.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice matériel - Perte de revenus.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: Mme Christelle ORIOL
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : DUBOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-07;19pa02053 ?
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