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18/06/2020 | FRANCE | N°19PA02739

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 18 juin 2020, 19PA02739


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 janvier 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom, ainsi que la décision du 2 mars 2018 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n°1806579/4-3 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 19 août 2019 et un mémoire en réplique enregistré le 12 ma

rs 2020, M. C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°180...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 janvier 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom, ainsi que la décision du 2 mars 2018 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n°1806579/4-3 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 19 août 2019 et un mémoire en réplique enregistré le 12 mars 2020, M. C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1806579/4-3 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 3 janvier 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom, ainsi que la décision du 2 mars 2018 rejetant son recours gracieux.

3°) d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice de procéder par voie de décret à son changement de nom ;

4°) de l'autoriser à modifier son état civil ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du 3 janvier 2018 ainsi que le rejet de son recours gracieux sont insuffisamment motivés ;

- il justifie de motifs affectifs constitutifs de circonstances exceptionnelles propres à caractériser un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil ; il ne remet pas en cause les principes de dévolution et de fixité du nom dès lors qu'il souhaite porter le nom de son père qui aurait dû être le sien si sa mère ne l'avait pas déclaré par anticipation ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il fait un usage constant et ininterrompu du nom de " A... " depuis 2009 ; exiger un usage long du nom pour reconnaître une possession d'état est contraire au principe d'égalité et crée une discrimination particulièrement pénalisante envers les plus jeunes ; il n'a été répondu sur ce point ni par l'administration, ni par le tribunal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,

- les observations de Me E..., avocat de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., né le 7 août 1991, a été reconnu par anticipation le 30 juillet 1991 par sa mère, Mme C..., et le 9 août 1991 par son père, M. A..., lors de la déclaration de naissance à l'officier d'état civil. Ses parents n'étant pas mariés, il porte le nom de sa mère à l'égard de qui sa filiation a été établie en premier lieu. A sa majorité, il a demandé à porter le nom de A... C... comme nom d'usage. Le 16 février 2017, il a sollicité le changement de son nom de " C... " en " A... ". Par une décision du 3 janvier 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande, puis par une décision du 2 mars 2018, a rejeté le recours gracieux exercé par M. C... à l'encontre de cette décision. Ce dernier a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 27 juin 2019, dont il fait appel, ce tribunal a rejeté sa requête.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / (...) Le changement de nom est autorisé par décret. ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... C... a été laissé à la garde de sa mère, qui a quitté son père et déménagé à près de mille kilomètres de celui-ci alors que leur enfant commun n'avait que huit mois. M. C... fait valoir qu'il a eu une enfance très difficile compte tenu du comportement instable de sa mère, tant sur le plan affectif que professionnel, et de ses nombreux déménagements empêchant notamment une surveillance par les services sociaux. Il ressort des nombreuses attestations versées au dossier, émanant de membres de sa famille paternelle, d'amis et de connaissances mais aussi de son grand-oncle maternel, que la mère de M. B... C... a eu des comportements maltraitants à son égard, notamment des actes de violence physique et psychologique et de privations, et que M. B... C... a vécu durant son enfance en grande souffrance et dans la peur, tout en cherchant à l'époque à dissimuler ou minorer ces maltraitances et en s'opposant à leur dénonciation. Ces faits peuvent être regardés comme établis au regard de la concordance des témoignages, même en l'absence d'éléments extérieurs au cercle familial. Dès sa majorité, M. C... est allé s'installer près de son père et a été accueilli par sa famille paternelle. Il ressort des pièces du dossier, notamment de relevés bancaires, de factures et d'attestations de collègues de travail, qu'il utilise dans la vie courante, au moins depuis l'année 2013, le seul nom de son père, " A... ", et est connu sous ce patronyme qu'il souhaite pouvoir transmettre à ses futurs enfants. Les contacts épisodiques qu'il a pu avoir avec sa mère après sa majorité ne lui ont pas apporté les signes d'affection qu'il recherchait encore de sa part. De telles circonstances doivent en l'espèce être regardées comme exceptionnelles et caractérisant un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil justifiant le changement du nom de " C... " en " A... ".

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 janvier 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom, ainsi que la décision du 2 mars 2018 rejetant son recours gracieux. Le jugement du 27 juin 2019 et les décisions de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 3 janvier 2018 et du 2 mars 2018 doivent donc être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. L'article L. 911-1 du code de justice administrative dispose : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".

6. L'annulation de la décision litigieuse pour le motif retenu au point 3 implique nécessairement que le garde des sceaux, ministre de la justice, présente au Premier ministre un projet de décret autorisant M. C... à changer son nom en " A... ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'appartient pas en revanche à la juridiction administrative d'ordonner une modification de l'état civil, qui ne peut en l'espèce intervenir qu'après que le décret autorisant le changement de nom aura pris effet, soit, au plus tôt et sauf opposition, deux mois après sa publication.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 juin 2019 est annulé.

Article 2 : La décision du 3 janvier 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement de nom de M. B... C..., ainsi que la décision du 2 mars 2018 rejetant son recours gracieux, sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret tendant à autoriser M. B... C... à substituer à son nom celui de "A... ".

Article 4 : L'Etat versera à M. C..., une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme D..., présidente de chambre,

- M. Legeai, premier conseiller,

- M. Platillero, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2020.

La présidente de la 1ère chambre,

S. D...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA02739


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02739
Date de la décision : 18/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : FIORENTINI-GATTI SANDRA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-18;19pa02739 ?
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