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15/06/2020 | FRANCE | N°19PA01786

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 15 juin 2020, 19PA01786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2018 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion et a fixé la Tunisie comme pays à destination duquel il sera expulsé et la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a implicitement rejeté sa demande d'abrogation de cet arrêté .

Par un jugement n° 1801341 - 1809398/4-2 du 29 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :


Par une requête, enregistrée le 29 mai 2019, M. D... E..., représenté par Me B..., demande à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2018 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion et a fixé la Tunisie comme pays à destination duquel il sera expulsé et la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a implicitement rejeté sa demande d'abrogation de cet arrêté .

Par un jugement n° 1801341 - 1809398/4-2 du 29 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 mai 2019, M. D... E..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1801341 - 1809398 du 29 mars 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 janvier 2018 par lequel le ministre a décidé de l'expulser et de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du 24 janvier 2018 ;

2°) d'annuler ces décisions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure dès lors que le ministre n'a pas saisi la commission d'expulsion avant de prendre son arrêté ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur de fait ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 521-2 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 janvier 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les observations de Me Bentrad, avocat de M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... E..., ressortissant algérien né le 10 mars 1979, est entré en France en 1989, alors qu'il était âgé de dix ans, et s'y est maintenu depuis. Par un arrêté du 24 janvier 2018, le ministre de l'intérieur a décidé d'expulser M. E... du territoire français selon la procédure d'urgence absolue au sens de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par courrier du 26 janvier 2018, M. E... a sollicité l'abrogation de cet arrêté, demande qui a été implicitement rejetée par une décision née du silence gardé par l'administration. M. E... relève appel du jugement n° 1801341 - 1809398/4-2 du 29 mars 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur la légalité de l'arrêté d'expulsion :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : 1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de

celui-ci ou depuis au moins un an ; 2° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ;... Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application de l'article L. 521-1 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. " Aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage ; 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;... Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables à l'étranger mentionné au 3° ou au 4° ci-dessus lorsque les faits à l'origine de la mesure d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale. Les étrangers mentionnés au présent article bénéficient de ses dispositions même s'ils se trouvent dans la situation prévue au dernier alinéa de l'article L. 521-2. ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : (...) / 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative (...) ".

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Et aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais de recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".

4. D'une part, il ressort des termes mêmes de l'arrêté d'expulsion contesté que le ministre de l'intérieur a énoncé les dispositions sur lesquelles il s'est fondé pour prendre cette mesure, a décrit très précisément les faits justifiant l'urgence absolue qu'il y avait à expulser M. E... et exposé en quoi cette décision ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit donc être écarté comme manquant en fait.

5. D'autre part, si M. E... soulève le moyen tiré de ce que la décision implicite rejetant la demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion serait insuffisamment motivée, il est constant qu'il n'a pas demandé la communication des motifs de cette décision en application des dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Ce moyen est donc inopérant.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. E... a été condamné à plusieurs reprises, entre 1999 et 2015, à plusieurs peines d'emprisonnement d'un quantum total de près de quatorze ans, pour des faits de violence sur conjoint, de violation de domicile, de menace, d'évasion d'un condamné placé sous surveillance électronique, de vol, de dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, de voie de fait et de trafic de stupéfiants. Il ressort également d'une note blanche des services de renseignement que la fouille de la cellule de M. E... a permis la découverte de plusieurs ouvrages religieux, dont un particulièrement répandu dans la mouvance islamiste radicale, qui prône le recours au djihad armé et que M. E... est membre d'un groupe de détenus particulièrement radicalisés qui envisageait un projet d'attentat et qu'il a activement participé à ce projet, en particulier par l'endoctrinement d'un détenu psychologiquement vulnérable qu'il a été chargé de former à la conduite automobile et auquel il a donné des directives.

7. Eu égard à la violence des actes commis par M. E..., pour la plupart en situation de récidive, de sa radicalisation et du projet d'attentat auquel il a pris part, dans le contexte d'un risque élevé d'attentat en France, de la nature de ces faits liés à des activités à caractère terroristes, sa présence sur le territoire français a pu être regardée à sa sortie de prison comme constitutive d'une menace grave pour les intérêts fondamentaux de l'Etat. Le ministre n'a donc pas commis d'erreur de droit, de fait ou d'appréciation, en estimant, à la date à laquelle cette mesure a été prononcée, que son expulsion revêtait un caractère d'urgence absolue au sens du I de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En troisième lieu, dès lors que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste, M. E... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de l'article L. 522-1 alinéa 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposant la consultation pour avis de la commission d'expulsion, qui n'est pas applicable en cas d'urgence absolue, ni de l'article L. 521-3 alinéa 4 du même code prohibant l'expulsion d'un étranger qui justifie résider habituellement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France.

9. En quatrième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

10. La mesure d'éloignement litigieuse constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sureté publique, à la défense de l'ordre, à la prévention des infractions pénales et à la protection des droits et libertés d'autrui. Il n'est pas contesté que M. E... est entré en France en 1989, alors qu'il était âgé de dix ans, que l'essentiel de ses attaches familiales se trouve sur le sol français en la personne de sa mère, de ses frères et soeurs, de ses deux enfants, nés de sa relation avec une ressortissante française. Toutefois, M. E... n'établit pas contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants et est séparé de sa compagne. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances et à la gravité des faits reprochés à l'intéressé, le ministre de l'intérieur n'a pas, en décidant son expulsion et en rejetant la demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion, porté au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette mesure a été prise.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 janvier 2018 prononçant son expulsion et du refus implicite d'abroger cet arrêté. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 29 mai 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme F..., présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2020.

La présidente,

M. F...

Le président,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA01786


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01786
Date de la décision : 15/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Celine PORTES
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : JEMALI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-15;19pa01786 ?
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