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26/05/2020 | FRANCE | N°19PA01184

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 26 mai 2020, 19PA01184


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 février 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Chalon Opco SAS à le licencier.

Par un jugement n° 1805882 du 12 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 29 mars 2019, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administ

ratif de Paris du 12 février 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 16 février 2018 autorisant son licenc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 février 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Chalon Opco SAS à le licencier.

Par un jugement n° 1805882 du 12 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 29 mars 2019, M. A... B..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 12 février 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 16 février 2018 autorisant son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a inexactement apprécié les faits et entaché son jugement d'erreur de droit en écartant ses moyens ;

- le délai entre la convocation à l'entretien préalable au licenciement et l'audition devant la délégation unique du personnel était insuffisant ;

- les pièces versées au débat ne permettent pas d'établir que l'ensemble des élus ont été régulièrement convoqués à la réunion de la délégation unique du personnel ; l'inspectrice du travail ne s'est pas assurée de ce point ;

- les noms des auteurs des témoignages ont été dissimulés alors même que le risque de représailles de sa part n'était pas caractérisé ;

- les compte rendus d'entretien à l'exception de celui de Mme S. qui lui ont été communiqués dans le cadre de la procédure contradictoire ne portaient pas la mention manuscrite " conforme à mes termes " et n'étaient pas signés ;

- la plainte tardive de Mme S. a été provoquée par l'employeur, et les témoignages à charge ont été orientés par la direction dans le cadre d'une enquête interne partiale ;

- l'enquête de l'inspecteur du travail n'a pas permis d'établir avec une certitude suffisante les circonstances de la bousculade, interprétée à tort comme ayant donné lieu à un attouchement à caractère sexuel ; il doit dès lors bénéficier du doute ;

- à le supposer établi, le fait est isolé, il s'inscrit dans un climat de tension en cuisine, et il ne présentait pas le caractère d'une faute suffisamment grave pour justifier un licenciement ;

- le licenciement et la dénonciation par la CGT de détournements de fonds que ne pouvait ignorer le responsable du restaurant sont concomitants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle indique s'en remettre à ses écritures de première instance.

Par des mémoires en défense, enregistré les 12 et 13 février 2020, la société Chalon Opco représentée par la SELARL Capstan LMS conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... B... ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant M. A... B... et les observations de Me E..., représentant la société Chalon Opco.

Une note en délibéré, enregistrée le 4 mars 2020, a été produite pour la société Chalon Opco par Me E....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... a été recruté sur un contrat à durée déterminée à compter de décembre 2014 par la société Chalon Opco comme commis de cuisine. Il a ensuite signé un contrat à durée indéterminée à compter du 4 mars 2015 et a été affecté au sein du restaurant de l'établissement Hilton en qualité de commis de cuisine dans un premier temps avant d'être promu demi-chef de partie le 1er avril 2017. Il a été élu membre suppléant de la délégation unique du personnel le 14 juin 2016 dont il est devenu membre titulaire en octobre 2016. Le

15 décembre 2017, la société Chalon Opco a saisi l'inspectrice du travail d'une demande d'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 16 février 2018, cette dernière a autorisé le licenciement de M. A... B.... M. A... B... relève appel du jugement du 12 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié, ce doute profite au salarié.

3. Pour demander à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. A... B..., la société Chalon Opco a fait valoir que le salarié avait mis la main aux fesses d'une employée de restaurant le 9 octobre 2017, qu'il employait régulièrement des termes grossiers, insultants ou sexistes à l'encontre de ses collègues, enfin qu'il lui arrivait de manger en cuisine des viennoiseries destinées à la clientèle. Pour accorder son autorisation, l'inspectrice du travail, qui n'a pas retenu les autres griefs invoqués, s'est fondée sur la seule circonstance que, le

9 octobre 2017, M. A... B... avait " touché les fesses " de Mme S. apprentie en restauration âgée de 19 ans et que ce geste " hautement déplacé et tout à fait inapproprié dans le cadre professionnel " caractérisait un comportement fautif d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

4. Si la réalité de l'incident survenu le 9 octobre 2017 en cuisine et la matérialité du geste ne sont pas sérieusement contestées, le contexte des faits et la portée qu'il y a lieu de leur donner diffèrent. Selon M. A... B..., alors que le personnel en cuisine était sous pression, et dans un moment d'impatience, il aurait tapé le postérieur de Mme S., avec qui il venait d'avoir un échange de propos un peu vifs, ou tout au moins il l'aurait poussée au niveau des hanches pour l'inciter à se hâter dans son travail. Selon l'administration, qui a retenu la relation des faits par Mme S., M. A... B... lui aurait mis une claque sur les fesses dans un contexte mal déterminé, et elle aurait été vivement affectée par ce geste désinvolte et méprisant à son égard. La société Chalon Opco, à partir de l'ensemble des témoignages qu'elle avait recueillis, fait valoir que le simple fait d'avoir touché physiquement Mme S. de façon non consentie par l'intéressée est susceptible d'être qualifié d'agression sexuelle et justifie en toute hypothèse un licenciement.

5. L'incident du 9 octobre 2017 n'a pas eu de témoin direct. Il a été bref et il ne ressort pas des pièces du dossier que l'altercation aurait donné lieu à des violences physiques ou verbales d'une particulière gravité. Mme S. n'a pas fait valoir et l'administration n'a pas retenu que le geste de M. A... B... présentait en l'espèce le caractère d'une atteinte sexuelle. Les attestations produites par la direction dans le cadre de l'enquête, au demeurant anonymisées par l'inspection du travail, qui émanent d'employés qui n'assistaient pas à l'incident, se bornent à faire état de l'énervement et de l'émotion de Mme S. dans les instants qui ont suivi. Trois heures plus tard, M. A... B... a présenté ses excuses à Mme S. qui les a acceptées. Ce n'est que le

20 octobre 2017, alors que l'ambiance était rassérénée, et après que la direction, informée de l'incident par un autre membre du personnel s'en fut enquis auprès d'elle, que Mme S. a confirmé les faits à son employeur.

6. Si, ainsi que l'a relevé à juste titre l'inspecteur du travail, le geste de M. A... B... subi par une jeune apprentie était déplacé et inapproprié dans le cadre professionnel, il ne ressort pas des pièces du dossier, qui ne permettent pas de déterminer avec certitude le contexte et la portée réelle de cette dispute en cuisine, qu'il aurait présenté le caractère d'une atteinte sexuelle portant atteinte à l'intégrité de la personne ni même qu'il aurait présenté de manière certaine une connotation sexuelle. Si certains des témoignages recueillis par la direction suggèrent que d'autres employées auraient été exposées dans le passé de la part de M. A... B... à de tels gestes ou à des remarques sexistes ou désobligeantes, ils sont peu circonstanciés, reposent sur des rumeurs, ont été recueillis dans le cadre d'une enquête interne destinée à étayer la demande de licenciement, émanent de collègues dont l'identité a été occultée, et en tout état de cause ils n'ont pas été retenus par l'inspecteur du travail qui les a mentionnés au passage sans se prononcer sur leur véracité. Dans les circonstances de l'espèce, et alors que le comportement du requérant n'avait pas fait l'objet dans le passé de plaintes de ses collègues ou de signalements à la direction, le geste survenu le 9 octobre 2017, aussi regrettable et fautif qu'il ait été, et dès lors susceptible d'appeler une sanction, ne présentait cependant pas un caractère de gravité suffisant pour justifier un licenciement.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 16 février 2018 autorisant son licenciement.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur le même fondement par la société Chalon Opco ne peuvent être que rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 12 février 2019 du tribunal administratif de Paris et la décision du 16 février 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Chalon Opco à licencier M. A... B... sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. A... B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Chalon Opco sur le fondement sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... A... B..., à la société Chalon Opco et au ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 3 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- M. F..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 26 mai 2020.

L'assesseur le plus ancien,

M-G... Le président de la formation de jugement,

président-rapporteur,

Ch. F...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 19PA01184


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01184
Date de la décision : 26/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-03-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Modalités de délivrance ou de refus de l'autorisation. Modalités d'instruction de la demande. Enquête contradictoire.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SELARL GOLDMANN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-26;19pa01184 ?
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