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26/05/2020 | FRANCE | N°18PA00651

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 26 mai 2020, 18PA00651


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B..., épouse C..., a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 30 novembre 2016 par lequel le ministre de l'intérieur a renouvelé, pour une durée de six mois, son interdiction de sortie du territoire, et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui restituer ses documents d'identité.

Par un jugement n° 1702229/3-3 du 30 mai 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 f

vrier 2018, Mme C..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B..., épouse C..., a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 30 novembre 2016 par lequel le ministre de l'intérieur a renouvelé, pour une durée de six mois, son interdiction de sortie du territoire, et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui restituer ses documents d'identité.

Par un jugement n° 1702229/3-3 du 30 mai 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 février 2018, Mme C..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 30 mai 2017 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du ministre de l'intérieur du 30 novembre 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué ne comporte aucune signature, ce qui empêche de s'assurer de ce qu'il a bien été signé par le ministre ou par une personne ayant reçu délégation ;

- cet arrêté est entaché d'erreurs de fait et d'appréciation ;

- compte tenu de la mesure d'assignation à résidence dont Mme C... faisait l'objet par ailleurs, la mesure d'interdiction de sortie du territoire qu'il édicte, qui ne fait pas immédiatement suite à la précédente mesure d'interdiction de sortie du territoire, venue à terme le 10 septembre 2016, n'est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée au but poursuivi ;

- elle a été prise en méconnaissance du principe de liberté d'aller et venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par l'article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques et par l'article 45 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle méconnait également le droit de mener une vie familiale normale protégé par le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 février 2019.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 24 novembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 4 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., épouse C..., ressortissante française née le 5 janvier 1990, a fait l'objet d'une assignation à résidence décidée par un arrêté du ministre de l'intérieur du 23 décembre 2015, et renouvelée par des arrêtés des 24 février, 24 mai, 22 juillet et 20 décembre 2016. Elle a aussi fait l'objet, par un arrêté du 10 mars 2016, d'une interdiction de sortie de territoire français pour six mois sur le fondement des dispositions de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure. Cette interdiction a été renouvelée pour six mois par un arrêté du ministre de l'intérieur du 30 novembre 2016 que Mme C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler. Mme C... fait appel du jugement du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que l'original de l'arrêté attaqué comporte en caractères lisibles les mentions prévues par les dispositions de l'article L.212-1 du code des relations entre le public et l'administration. A supposer que Mme C... ait en outre entendu soutenir que cet arrêté serait entaché d'incompétence, son auteur avait compétence selon les dispositions de l'article 3 du décret du 27 juillet 2005 visé ci-dessus, pour signer cette mesure.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure : " Tout français peut faire l'objet d'une interdiction de sortie de territoire lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il projette : 1° Des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ; 2° Ou des déplacements à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes, dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français. / L'interdiction de sortie de territoire est prononcée par le ministre de l'intérieur pour une durée maximale de six mois à compter de sa notification. La décision est écrite et motivée. Le ministre de l'intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de huit jours après la notification de la décision. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / Lorsque les conditions en sont réunies, l'interdiction de sortie du territoire peut être renouvelée par décision expresse et motivée (...) ".

4. Il ressort des motifs de l'arrêté du 10 mars 2016 par lequel le ministre de l'intérieur a fait interdiction à Mme C... de sortir du territoire français pendant six mois, que, pour estimer qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'elle projetait des déplacements de la nature de ceux visés par les dispositions citées ci-dessus, le ministre a relevé que Mme C... et son mari étaient proches de la mouvance islamiste, et qu'ils consultaient régulièrement des sites Internet relayant les activités et mots d'ordre de l'organisation terroriste dite " Daech " ou " Etat islamique ", ainsi que la publication " Dar Al Islam " prônant la " guerre sainte " et publiant des consignes à l'usage des individus projetant de commettre des attentats, entre autres, sur le territoire de la République. Le ministre s'est notamment fondé sur une perquisition administrative réalisée au domicile de M. et Mme C..., le 21 novembre 2015, qui avait conduit à la saisie, sur l'ordinateur familial, de supports informatiques comportant plusieurs centaines de fichiers relatifs à l'organisation mentionnée ci-dessus, et qui avait permis de constater la présence dans le téléphone portable de Mme C... de messages plaisantant à propos des attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, ainsi que d'une photographie d'une femme voilée porteuse d'une arme de guerre. Il a en outre estimé que Mme C... avait cherché à justifier le sort des victimes de ces attentats. Il s'est enfin attaché aux déclarations de Mme C... exprimant son intention de se rendre en Syrie malgré l'assignation à résidence dont elle et son mari faisaient l'objet.

5. Il ressort ensuite des motifs de l'arrêté attaqué du 30 novembre 2016 que, pour renouveler l'interdiction faite à Mme C... de sortir du territoire français pour une nouvelle période de six mois, le ministre de l'intérieur a rappelé les faits ayant justifié l'interdiction dont elle avait initialement fait l'objet, s'est attaché aux actes de défiance et de provocation de Mme C... vis-à-vis des forces de l'ordre, et a estimé que Mme C... n'avait pas renoncé à rejoindre un théâtre d'opérations terroristes.

6. Si Mme C... conteste sa radicalisation religieuse, pourtant établie par les notes " blanches " particulièrement circonstanciées des services de renseignement, produites par le ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif, elle se borne à se référer à des attestations de proches, ainsi qu'aux déclarations de son époux, en garde à vue au mois de septembre 2016. De même, si elle conteste la consultation de la publication " Dar Al Islam ", ainsi que des sites Internet mentionnés ci-dessus, ces consultations ressortent des mêmes notes " blanches " et des constatations de la perquisition administrative réalisée le 21 novembre 2015, ainsi que de la nouvelle perquisition, non mentionnée dans l'arrêté attaqué, diligentée le 20 septembre 2016. Dans ces conditions, elle ne saurait sérieusement soutenir sans produire aucune pièce de nature à l'établir, qu'elle n'aurait pas eu accès à l'ordinateur concerné et qu'en consultant cette publication et ces sites, elle aurait simplement cherché à " se renseigner " sur les " dérives de l'Islam ". Elle ne saurait par ailleurs justifier l'emploi, dans ses messages téléphoniques, de l'expression " mort de rire ", à propos des attentats du 13 novembre 2015, par le cadre privé de ces mêmes messages, et utilement soutenir qu'ils n'auraient pas été réitérés par la suite. Elle ne produit aucune pièce de nature à établir que la photographie trouvée sur son téléphone lui aurait été envoyée au cours d'un échange avec plusieurs participants, qu'elle aurait " désapprouvé ". Elle ne saurait sérieusement contester avoir continué avec son époux, à fréquenter au moins jusqu'à la date de l'arrêté attaqué, soit le 30 novembre 2016, des personnes impliquées dans la mouvance islamiste radicale ou liées à l'organisation dite " Etat islamique " avec lesquelles son époux avait eu des relations les années précédentes, ainsi que cela est établi par les notes " blanches " mentionnées ci-dessus, en se bornant à soutenir qu'une de ces personnes est partie à l'étranger, et que le ministre de l'intérieur a par un arrêté du 24 janvier 2017, postérieur à l'arrêté attaqué, fait interdiction à son époux d'entrer en relation, directe ou indirecte, avec une autre des ces personnes. Enfin, elle ne produit aucune pièce de nature à établir que le couple aurait eu l'intention de se rendre, non en Syrie, mais au Maroc.

7. En fondant sa décision sur les éléments rappelés ci-dessus, et en estimant qu'il existe des raisons sérieuses de penser que Mme C... est susceptible d'entreprendre des déplacements à l'étranger de la nature de ceux visés par les dispositions de l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure, le ministre de l'intérieur n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation.

8. En troisième lieu, Mme C... ne saurait utilement se prévaloir de la mesure d'assignation à résidence dont elle faisait l'objet par ailleurs, qui n'a pas les mêmes effets que la mesure d'interdiction de sortie du territoire en litige, et de la circonstance que la précédente mesure d'interdiction de sortie du territoire décidée le 10 mars 2016 n'a pas été immédiatement renouvelée à son terme survenu le 10 septembre 2016, pour contester l'utilité ainsi que le caractère adapté et proportionné, de l'arrêté attaqué.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. / 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. / 3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ". Aux termes de l'article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. 2. La liberté de circulation et de séjour peut être accordée, conformément aux traités, aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d'un État membre ". Aux termes de l'article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " 1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. / 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. / 3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte (...) ".

10. Eu égard aux motifs exposés aux points précédents, la décision attaquée doit être regardée comme ne portant à la liberté d'aller et venir de Mme C... que des atteintes prévues par la loi, justifiées par l'intérêt public, nécessaires et proportionnées au regard des objectifs liés à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public et à la prévention des infractions pénales. Les moyens tirés de méconnaissances des stipulations citées ci-dessus doivent donc être écartés.

11. En cinquième lieu, eu égard aux motifs exposés aux points précédents, le moyen tiré de l'atteinte à la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle, protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne peut qu'être écarté.

12. En dernier lieu, Mme C... n'apporte aucun élément précis au soutien de son allégation selon laquelle l'arrêté attaqué porterait atteinte à son droit de mener une vie familiale normale. Les moyens tirés de la méconnaissance du dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent donc être qu'écartés.

13. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., épouse C..., à Me E... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. D..., président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 mai 2020.

Le rapporteur,

J-C. D...

Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA00651


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00651
Date de la décision : 26/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05 Police. Polices spéciales.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : HERDEWYN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-26;18pa00651 ?
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