Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 345 760 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa suspension, pendant plusieurs mois, de la liste nationale des experts en automobile.
Par un jugement n° 1616887 du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. E... une indemnité de 40 000 euros.
Procédure devant la Cour :
I°) Par un recours enregistré le 29 novembre 2018 sous le n° 18PA03722, le ministre de la transition économique et solidaire demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1616887 du tribunal administratif de Paris du 4 octobre 2018 ;
2°) de rejeter les demandes de M. E....
Le ministre soutient que :
- aucune forme ni mention particulière n'est prescrite pour une demande de régularisation préalable au maintien sur la liste nationale des experts ;
- en l'absence de disposition prescrivant que la demande de régularisation est formée par courrier avec accusé de réception, elle pouvait être régulièrement adressée par courriel ;
- M. E... n'établit pas ne pas avoir reçu ce courriel ;
- le demandeur, qui a télétransmis 36 rapports d'expertise entre le 1er février et le
1er avril 2016, n'a pas été empêché d'exercer son activité pendant la période litigieuse ;
- ses préjudices sont sans lien avec la publication de la nouvelle liste des experts sur laquelle il ne figurait pas ;
- le tribunal a fait une évaluation exagérée de son préjudice, les variations d'activité étant saisonnières et celles constatées pendant la période litigieuse n'étant pas significatives ;
- il n'y a pas eu d'atteinte à la réputation professionnelle ni de préjudice moral.
Par un mémoire enregistré le 18 décembre 2019, M. E..., représenté par le cabinet Boulay et associés, conclut au rejet du recours du ministre et à ce que la somme de 3 600 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- l'argumentation tiré de sa condamnation pénale et de la sanction disciplinaire qui lui ont été ultérieurement infligés et qu'il conteste sont inopérants.
II°) Par une requête enregistrée le 30 novembre 2018 sous le n° 18PA03738, et un mémoire enregistré le 18 décembre 2019, M. A... F..., représenté par le Cabinet Boulay et associés, demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 octobre 2018 en tant qu'il a déclaré l'Etat responsable de ses préjudices ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 293 760 euros au titre de son préjudice économique, de 50 000 euros au titre de l'atteinte à sa réputation, et de 2 000 euros au titre de son préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- son préjudice s'étend jusqu'au 6 décembre 2017, le retard dans sa réinscription sur la liste des experts ayant été aggravé par une mesure de suspension illégale ;
- le tribunal a sous-évalué la perte de chiffres d'affaires ;
- l'absence de réinscription ayant été interprétée comme la sanction d'une faute, sa réputation professionnelle a été atteinte ;
- il souffre d'anxiété ;
- l'argumentation tirée de sa condamnation pénale et de la sanction disciplinaire qui lui ont été ultérieurement infligés et qu'il conteste sont inopérants.
Par un mémoire enregistré le 16 octobre 2019, le ministre de la transition économique et solidaire conclut au rejet de la requête de M. E....
Le ministre soutient que :
- le requérant ayant été rétabli sur la liste des experts le 4 avril 2016, il ne saurait faire état d'un préjudice à compter de cette date ;
- il ne justifie d'aucune variation significative de son chiffre d'affaires qui serait la conséquence directe et certaine de la faute alléguée de l'Etat ;
- le chiffre d'affaires, anormalement élevé, s'explique par un exercice irrégulier de la profession d'expert dans des conditions pénalement sanctionnées par jugement du tribunal correctionnel de Senlis du 11 février 2019 ;
- l'atteinte à la réputation et le préjudice moral ne sont pas justifiés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la route,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 21 janvier 2020 :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E... était expert en automobile, inscrit sur la liste nationale des experts en automobile prévue par l'article L. 326-3 du code de la route. Il a cessé de figurer sur cette liste entre janvier et avril 2016. Par un jugement du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 40 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté pour lui du retrait fautif de son nom de cette liste.
2. Par un recours enregistré sous le n° 18PA03722, le ministre de la transition écologique et solidaire relève appel de ce jugement en tant qu'il a jugé l'Etat responsable et, à titre subsidiaire, en tant qu'il a fait une évaluation excessive du préjudice du demandeur. Par une requête enregistrée sous le n° 18PA03738, M. E... relève appel du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes. Le recours du ministre et la requête de
M. E... sont dirigés contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 326-3 du code de la route : " Nul ne peut exercer la profession d'expert en automobile s'il ne figure sur une liste fixée par l'autorité administrative. / L'inscription sur cette liste est de droit pour les personnes remplissant les conditions fixées par le présent chapitre. ". L'article R. 326-5 de ce code énumère les pièces justificatives qui accompagnent les demandes d'inscription sur la liste des experts en automobile. L'article
R. 326-12 de ce même code dispose que : " Le ministre chargé des transports vérifie chaque année que l'expert inscrit remplit les conditions requises par l'article R. 326-5 (...). / Le ministre chargé des transports constatant qu'un expert ne remplit plus les conditions exigées par la réglementation pour l'exercice de sa profession peut à tout moment lui demander, par courrier, de régulariser sa situation. / En l'absence de régularisation, dans le délai d'un mois, le ministre chargé des transports peut décider de la suspension de l'expert jusqu'à régularisation effective ". L'article R. 326-13 prévoit que : " I. La liste des experts en automobile est consultable sur le site internet de la sécurité routière. / La mise à jour de la liste des experts en automobile sur le site internet de la sécurité routière intervient à tout moment suite à un changement de situation ou de condition d'exercice professionnel nécessitant une mise à jour de cette liste ou encore suite à une décision de suspension ou de radiation d'un expert. / II. - Les décisions de suspension ou de radiation sont consultables sur le site mentionné au I pendant la durée de leur effet ".
4. Il résulte de l'instruction que le nom de M. E... a cessé de figurer sur la liste nationale des experts en automobile publiée sur le site internet de la sécurité routière entre le 29 janvier 2016 et 29 juillet 2016, et que l'intéressé s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle de télétransmettre des rapports d'expertise de véhicule endommagé dans le système d'immatriculation des véhicules (SIV) du ministère de l'intérieur du 31 janvier 2016 au 4 avril 2016.
5. Le ministre soutient que la suspension de M. E... n'a pas été prise dans le cadre d'une procédure disciplinaire engagée sur le fondement de l'article R. 326-14 du code de la route mais qu'elle a été décidée en application des dispositions de l'article R. 326-12 de ce code, au motif que l'intéressé n'aurait pas répondu dans le délai d'un mois à une demande de régularisation adressée par un courriel du 15 novembre 2015.
6. Si les dispositions précitées de l'article R. 326-12 du code de la route ne prescrivent pas que le courrier de demande de régularisation réponde à des conditions de forme particulière, elle impliquent néanmoins que cette demande de régularisation se distingue par sa formulation et son contenu d'une simple demande de communication de document ou d'une invitation à compléter un dossier en sorte que le destinataire comprenne à la simple lecture qu'une carence de sa part l'exposerait à ce que le ministre puisse décider de le suspendre. Par ailleurs, il résulte des dispositions précitées de l'article R. 326-13 que la suspension fait l'objet d'une décision particulière consultable sur le site internet de la sécurité routière.
7. En l'espèce, les échanges de courriels de routine intervenus les 2 et 15 novembre 2015 qui portent sur un dossier à compléter sans qu'une pièce mentionnée à l'article R. 326-5 soit réclamée et qui se concluent par une invitation à transmettre " dans le courant de 2016 " un dossier d'inscription pour confirmation d'activité, ne sauraient être regardés comme le courrier de demande de régularisation prévu par l'article R. 326-12 du code de la route. Il ne ressort pas, par ailleurs, des documents produits par le ministre que le retrait du nom de M. E... de la liste des experts aurait correspondu à une décision particulière de suspension. Dans ces conditions, le retrait de M. E..., que le ministre présente comme une mesure de suspension, est dépourvu de base légale. Cette illégalité fautive engage la responsabilité de l'administration.
Sur les préjudices :
8. M. E... a droit à être indemnisé des préjudices qu'il a subis en lien direct avec la mesure que le ministre présente comme une suspension, intervenue en dehors de toute base légale entre le 29 janvier 2016 et le 4 avril 2016, et avec le retrait de son nom de la liste des experts agréés publiée sur internet jusqu'à ce qu'il y soit rétabli le 29 juillet 2016. Il n'est pas en revanche établi que les préjudices allégués postérieurs à sa réinscription sur la liste des experts dont il fait état seraient liés à une faute de l'administration.
9. Il résulte de l'instruction que le cabinet de M. E... réalisait un chiffre d'affaires mensuel moyen d'environ 14 000 euros pendant les deux mois précédant son retrait de la liste des experts. Son chiffre d'affaires est passé à environ 8 000 euros par mois pendant les six mois pendant lesquels son nom n'est plus apparu sur cette liste. Il est revenu à son chiffre d'affaires antérieur de 14 000 euros après son rétablissement sur la liste. Si le préjudice directement lié à l'impossibilité dans laquelle il a été placé de télétransmettre les rapports d'expertise de véhicule endommagé dans le système d'immatriculation des véhicules du ministère de l'intérieur entre la fin du mois de janvier 2016 et le 4 avril 2016 semble avoir été minime, la contraction de l'activité de son cabinet de février à juillet 2016 doit être regardée comme directement liée au retrait de son nom de la liste publiée des experts agréés jusqu'à ce qu'il y figure à nouveau le 29 juillet 2016. Compte tenu des variations saisonnières de l'activité, les premiers juges ont fait une juste appréciation de cette perte de chiffres d'affaires en l'évaluant à 36 000 euros. Compte tenu du taux de marge bénéficiaire d'environ 25% qui se déduit des documents comptables pour l'année 2016, il y a lieu d'allouer à M. E... une somme de 9 000 euros au titre de son préjudice économique.
10. Il ne résulte pas de l'instruction que l'atteinte à la réputation professionnelle de
M. E... résulterait du retrait de son nom, sans mention expresse d'une mesure de suspension, de la liste des experts agréés, et non d'autres causes, liées notamment à la manière dont il conduisait ses expertises. Le préjudice moral et le préjudice d'anxiété ne sont pas établis. Il ne lui sera rien accordé à ce titre.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que l'Etat est condamné à verser à
M. E... doit être ramenée à 9 000 euros.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de M. E... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. E... la somme de 9 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 octobre 2018 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. E... sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et solidaire et à
M. A... F....
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. C..., premier vice-président,
- M. B..., président assesseur,
- Mme Mornet, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 6 février 2020.
Le rapporteur,
Ch. B...Le président,
M. C...
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 10PA03855
2
N° 18PA03722, 18PA03738