La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/12/2019 | FRANCE | N°19PA02343

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 31 décembre 2019, 19PA02343


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 février 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités suédoises responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1904015/8 du 17 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 12 février 2019 portant transfert de l'intéressé aux autorités suédoises.

Procédure devant la Cour :

Par une requête n° 19PA02343 et un mémoire, enregis

trés le 18 juillet 2019 et le 20 août 2019, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 février 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités suédoises responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1904015/8 du 17 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 12 février 2019 portant transfert de l'intéressé aux autorités suédoises.

Procédure devant la Cour :

Par une requête n° 19PA02343 et un mémoire, enregistrés le 18 juillet 2019 et le 20 août 2019, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1904015/8 du 17 juin 2019 par lequel le Tribunal administratif a annulé l'arrêté du 12 février 2019 portant transfert de M. C... aux autorités suédoises responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, l'arrêté du 12 février 2019 n'a pas pour effet de renvoyer l'intéressé en Afghanistan mais en Suède ; il ne méconnaît donc pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté contesté est suffisamment motivé ;

- il a été procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M. C... ;

- M. C... s'est vu remettre les brochures A et B dans une langue qu'il comprend, conformément aux dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- il a bénéficié d'un entretien personnel avec une personne qualifiée conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- l'arrêté litigieux ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant afghan né le 9 juillet 1994, est entré irrégulièrement en France et s'y est maintenu continument. Il a présenté une demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 25 novembre 2018. La consultation du fichier Eurodac a permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités suédoises le 22 décembre 2015. Le préfet a saisi ces autorités d'une demande de reprise en charge le 10 janvier 2019. Les autorités suédoises ont fait connaître leur accord le 18 janvier 2019. Le préfet a alors décidé, par l'arrêté attaqué du 12 février 2019, de remettre M. C... aux autorités suédoises responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugementdu 17 juin 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre;(...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre... ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Et aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Pour annuler l'arrêté en litige comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que les autorités suédoises ont rejeté la demande d'asile du requérant et ont ordonné son expulsion vers l'Afghanistan comme en atteste la décision du 27 octobre 2017 de l'office des migrations. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Suède et non dans son pays d'origine. Par ailleurs, la Suède, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. C... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile ou que les juridictions suédoises n'auraient pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités suédoises, alors même que la demande d'asile de M. C... a été rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan.

4. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif, estimant que la décision de remettre M. C... aux autorités suédoises était entachée d'erreur manifeste d'appréciation, au regard du pouvoir qui lui est conféré par les dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, a annulé l'arrêté contesté pour ce motif.

5. Il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. C....

Sur les autres moyens invoqués à l'encontre de la décision attaquée :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Et, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".

7. La décision litigieuse vise les stipulations applicables de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le règlement 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement CE 343/2003 du Conseil de l'Union européenne établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etat membres par un ressortissant d'un pays tiers. La décision précise également que les autorités suédoises ont accepté le 18 janvier 2019 de reprendre en charge M. C..., qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités suédoises. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de l'arrêté en litige doit être écarté.

8. En deuxième lieu, il ne ressort pas des termes de l'arrêté contesté que le préfet ne se serait pas livré à un examen approfondi de la situation personnelle de l'intéressé. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressé doit être écarté.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a saisi les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions du d) de l'article 18 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et que le 18 janvier 2019, les autorités suédoises ont accepté de reprendre en charge M. C... sur le fondement du b) du même texte. Par suite, en indiquant que la reprise en charge de l'intéressé se ferait sur ce dernier fondement, le préfet de police de police n'a pas commis d'erreur de droit. Dès lors, le moyen doit être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du

26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre, le 19 décembre 2018, à l'occasion de l'entretien individuel, le guide du demandeur d'asile ainsi que les documents d'information A et B, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement précité. Ces documents lui ont été remis en langue française, langue qu'il a déclaré comprendre devant les services de la préfecture. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement précité doivent être écartées.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a bénéficié, le 19 décembre 2018, d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture de police. Il ressort du compte-rendu de cet entretien que l'intéressé a été personnellement reçu par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que son nom n'est pas précisé dans le compte-rendu. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

14. En dernier lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 3, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions dérogatoires dites " clauses discrétionnaires " mentionnées à l'article 17 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé, ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 12 février 2019. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par

M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°1904015/8 du 17 juin 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... C.... Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 20 décembre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme A..., président de chambre,

- Mme Julliard, président assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 décembre 2019.

Le rapporteur,

C. B... Le président,

M. A...

Le greffier,

I. BEDRLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA02343


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02343
Date de la décision : 31/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Celine PORTES
Rapporteur public ?: M. BARONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 07/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-31;19pa02343 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award