Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une ordonnance n° 1905365/11-3 du 7 juin 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a, à la demande de M. B... E..., enjoint au ministre de l'intérieur et au préfet de police de communiquer sans délai à M. E... les actes de l'enquête administrative et de l'enquête menée par l'inspection générale de la police nationale concernant les blessures qu'il a subies au cours de la manifestation des " gilets jaunes ", le 26 janvier 2019, place de la Bastille, et prescrit deux expertises tendant, d'une part, à déterminer les caractéristiques des grenades de type GLI-F4 utilisées par les forces de l'ordre lors de la manifestation, et, d'autre part, à déterminer l'étendue et l'origine du préjudice subi par le requérant.
Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 26 juin 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour de suspendre, jusqu'à ce qu'elle ait statué sur le fond, l'exécution de l'ordonnance du 7 juin 2019 en tant qu'elle enjoint au ministre de l'intérieur et au préfet de police de communiquer sans délai à M. E... les actes de l'enquête administrative et de l'enquête menée par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) concernant les blessures qu'il a subies lors de la manifestation du 26 janvier 2019.
Il soutient que :
- lui-même et le préfet de police ont fait appel de l'ordonnance du 7 juin 2019 ;
- l'ordonnance attaquée est de nature à préjudicier gravement à un intérêt public car les documents dont elle ordonne la communication sont couverts par le secret de l'enquête et de l'instruction protégé par l'article 11 du code de procédure pénale ; l'exécution de cette injonction reviendrait pour le ministre à se rendre coupable du délit réprimé à l'article 226-13 du code pénal ; elle porterait atteinte à un secret garanti par la loi ;
- l'exécution de cette ordonnance aurait des conséquences irréversibles ;
- il se réfère aussi aux moyens exposés dans son recours au fond en soutenant que les pièces de l'enquête administrative contiennent des informations visées pour les articles L. 311-3 et L. 311.6 du code des relations entre l'administration et le public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2019, M. E..., représenté par Me A..., conclut au rejet du recours et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le recours du ministre de l'intérieur est irrecevable au regard des stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la représentante du ministre étant titulaire du grade de président du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et se trouvant par là-même en position de supérieur hiérarchique des magistrats de la Cour ;
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le recours enregistré le 26 juin 2019 sous le n° 19PA02046 par lequel le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'annuler l'ordonnance du 7 juin 2019 du juge des référés du Tribunal administratif de Paris visée ci-dessus.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- les observations de M. C... pour le ministre de l'intérieur,
- et les observations de Me A... pour M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ". Aux termes de l'article R. 533-1 de ce code : " L'ordonnance rendue en application du présent titre par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification ". Aux termes de l'article R. 533-2 du même code : " Lorsqu'appel est interjeté d'une ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué en application de l'article R. 532-1, le président de la Cour administrative d'appel, ou le magistrat désigné par lui, peut immédiatement et à titre provisoire suspendre l'exécution de cette ordonnance si celle-ci est de nature à préjudicier gravement à un intérêt public ou aux droits de l'appelant ".
2. Par l'ordonnance attaquée du 7 juin 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, saisi par M. B... E..., a notamment enjoint au ministre de l'intérieur et au préfet de police de communiquer sans délai à M. E... les actes de l'enquête administrative et de l'enquête menée par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) concernant les blessures qu'il a subies au cours de la manifestation des " gilets jaunes ", le 26 janvier 2019, place de la Bastille, au motif que cette mesure était utile dans la perspective d'une action en responsabilité de M. E... contre l'Etat.
3. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. E..., la circonstance que le recours a été signé par délégation par une magistrate titulaire du grade de président du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, en détachement dans les services du ministère de l'intérieur, est sans incidence sur la recevabilité de ce recours.
4. En second lieu, il est constant que dans le cadre de l'information judiciaire pour faits de violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique avec arme, le juge chargé de l'instruction a chargé les services de l'IGPN de réaliser une enquête sur les circonstances de l'accident dont a été victime M. E.... Or, la communication d'éléments d'une telle enquête judiciaire porterait atteinte au secret de l'instruction et serait ainsi de nature à préjudicier gravement à un intérêt public. Par ailleurs si une enquête administrative est actuellement en cours sur ces mêmes faits, la communication des actes y afférents serait susceptible de porter atteinte aux secrets protégés par les dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre l'administration et le public et serait également de nature à préjudicier gravement à un intérêt public. Il y a lieu, dans ces conditions, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'ordonnance dans cette mesure.
5. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'exécution de l'ordonnance n° 1905365/11-3 du juge des référés du Tribunal administratif de Paris du 7 juin 2019 en tant qu'elle a enjoint au ministre de l'intérieur et au préfet de police de communiquer sans délai à M. E... les actes de l'enquête administrative et de l'enquête menée par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) concernant les blessures qu'il a subies lors de la manifestation du 26 janvier 2019, est suspendue jusqu'au jugement du recours en appel du ministre de l'intérieur contre cette même ordonnance.
Article 2 : Les conclusions M. E..., présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de police et à M. B... E....
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. D..., président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 septembre 2019.
Le rapporteur,
J-C. D...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA02047 3