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19/02/2019 | FRANCE | N°18PA00884

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 19 février 2019, 18PA00884


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP) a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés dont elle s'est acquittée au titre de l'année 2013 en Polynésie française, et à ce que le Conseil d'Etat soit saisi, avant dire droit, de la question de la contrariété de l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française avec l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.>
Par un jugement n° 1700221 du 30 janvier 2018, le Tribunal administratif de la Polyn...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP) a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés dont elle s'est acquittée au titre de l'année 2013 en Polynésie française, et à ce que le Conseil d'Etat soit saisi, avant dire droit, de la question de la contrariété de l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française avec l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un jugement n° 1700221 du 30 janvier 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 mars et 27 juin 2018, la Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP), représentée par la SCP Mermillon-Rault, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1700221 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) à titre principal, de déférer au Conseil d'Etat la question de la conformité aux articles 6 et 13 de la déclaration de 1789 des dispositions de l'article 113-1 du code des impôts polynésien ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des impositions en litige ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de

360 000 francs CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande de saisine du Conseil d'Etat sur le fondement de l'article 179 de la loi organique n° 2004-192 n'était pas irrecevable ; le tribunal a estimé à tort que l'article 113-1 du code des impôts polynésien n'entrait pas dans le champ d'application de cet article de la loi organique, au motif erroné que cet article, dès lors qu'issu d'une délibération n° 95-214 AT du

12 décembre 1995, ne serait pas assimilable à une loi de pays ;

- la question de la conformité aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 des dispositions de l'article 113-1 alinéa 3 dernier paragraphe du code des impôts de la Polynésie française de 2013 est une question sérieuse et nouvelle et porte sur des dispositions applicables au présent litige ;

- elle faisait déjà, devant le tribunal administratif, référence sur ce point non seulement à l'article 13 de la déclaration susmentionnée mais également, dans son mémoire complémentaire, à l'article 6 ;

- le jugement est entaché de contrariété de motifs, dès lors que les premiers juges considèrent que c'est à bon droit que la Polynésie française a estimé qu'elle disposait en Polynésie française d'un établissement stable et était imposée en conséquence, et dans le même temps, ajoutent que l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen n'a pas, en tout état de cause, été méconnu en l'espèce, dès lors que les dispositions de l'article 39.1 4° du code général des impôts prévoient que les impôts à la charge de l'entreprise peuvent, sous certaines conditions, être déduits du montant du bénéfice imposable ; au demeurant, les impôts étrangers afférents à l'activité d'un établissement stable ne sont pas déductibles sur ce fondement en raison du principe de territorialité ;

- elle n'a pas d'établissement stable sur le territoire polynésien ; Monsieur V. bien que désigné comme l'exige l'article R* 322-4 alinéa 1er du code des assurances métropolitain, en tant qu'agent spécial " préposé " à la direction de toutes les opérations qu'elle réalise sur place, n'assure pas sa représentation à titre professionnel et n'accomplit pas un certain nombre de tâches essentielles pour caractériser l'existence d'un tel établissement.

Par des mémoires en défense enregistrés les 4 juin et 31 juillet 2018, la Polynésie française, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la SMABTP au versement d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question de la contrariété entre l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme est irrecevable car nouvelle en appel, la SMABTP n'ayant en première instance sollicité cette transmission qu'au regard de la question de la contrariété ente l'article 113-1 dudit code avec l'article 13 de ladite déclaration ;

- cette dernière question reste, quant à elle, irrecevable comme l'ont estimé les premiers juges, dès lors que l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française issu d'une délibération n° 95-214 AT du 12 décembre 1995 antérieure à la création des lois de pays, n'est pas une loi de pays et n'entre pas dans le champ d'application du contrôle juridictionnel spécifique institué par les articles 176 à 180 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 17 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 6 août 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code des impôts de la Polynésie française ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Appèche,

- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics (SMABTP), après avoir en vain demandé au Tribunal administratif de la Polynésie Française la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés dont elle s'est acquittée au titre de l'année 2013 en Polynésie française, et à ce que soit déférée, avant dire droit, au Conseil d'Etat, la question de la contrariété de l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française avec les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, relève appel du jugement n° 1700221 du

30 janvier 2018, par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la demande présentée sur le fondement de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 :

2. Aux termes de l'article 139 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 : " L'assemblée de la Polynésie française adopte des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" et des délibérations. ".

3. Aux termes de l'article 179 de la même loi : " Lorsque, à l'occasion d'un litige devant une juridiction, une partie invoque par un moyen sérieux la contrariété d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux, ou les principes généraux du droit, et que cette question commande l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites, la juridiction transmet sans délai la question au Conseil d'Etat, par une décision qui n'est pas susceptible de recours. Le Conseil d'Etat statue dans les trois mois. Lorsqu'elle transmet la question au Conseil d'Etat, la juridiction surseoit à statuer. Elle peut toutefois en décider autrement dans les cas où la loi lui impartit, en raison de l'urgence, un délai pour statuer. Elle peut dans tous les cas prendre les mesures d'urgence ou conservatoires nécessaires. Le refus de transmettre la question au Conseil d'Etat n'est pas susceptible de recours indépendamment de la décision tranchant tout ou partie du litige. ".

4. La SMABTP a demandé en vain au tribunal administratif de transmettre au Conseil d'Etat la question, qu'elle estime sérieuse, de la contrariété entre l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française et les articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Elle réitère cette demande dans sa requête d'appel.

5. Ainsi que le relève le tribunal dans son jugement, l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française, dans sa version applicable au présent litige, est issu de la délibération n° 95-214 AT du 12 décembre 1995. Eu égard à sa date, une telle délibération ne constitue, en tout état de cause, pas une " loi du pays " et aucune disposition ne permet qu'elle soit, pour l'application des dispositions de l'article 179 précité, assimilée à une telle loi. Dès lors, la demande de transmission formulée par la société requérante n'entre pas dans le champ d'application de l'article 179 précité de la loi organique du 27 février 2004. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont refusé de faire droit à cette demande au motif qu'elle était, non pas irrecevable comme le mentionne la requérante dans ses écritures d'appel, mais mal fondée. Pour le même motif que celui analysé ci-dessus, la Cour ne saurait faire droit à la demande tendant à la même fin, présentée devant elle.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

6. Aux termes de l'article 113-1 du code des impôts de la Polynésie française : " Sont passibles de l'impôt sur les sociétés, les bénéfices réalisés par les entreprises ayant leur siège social en Polynésie française, et les bénéfices réalisés en Polynésie française par les sociétés qui y disposent d'un établissement stable. /(...) / Sont également imposables les bénéfices provenant d'opérations réalisées dans le territoire : -par l'intermédiaire de représentants n'ayant pas de personnalité distincte de celle de l'entreprise qu'ils représentent ;-qui se détachent de celles effectuées à l'étranger et forment un cycle commercial complet ;-par les entreprises qui, exerçant leurs activités par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité, sont de ce fait considérées comme y disposant d'un établissement stable.(...) ".

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la Polynésie française a entendu soumettre à l'impôt sur les sociétés les bénéfices de la société requérante en application du 3ème alinéa précité de l'article 113-1, c'est à dire à raison de bénéfices réalisés par un agent jouissant d'un statut indépendant, qui agit dans le cadre ordinaire de son activité. Le caractère indépendant de l'agent spécial, en la personne de M. V. mandaté sur le territoire polynésien par la SMABTP, n'est pas contesté par cette dernière et ressort d'ailleurs des stipulations du traité de nomination de celui-ci. Toutefois, la SMABTP fait valoir que cet agent indépendant n'agit pas dans le cadre d'une activité professionnelle.

8. Il ressort du contrat passé entre la SMABTP et M. V., intitulé " traité de nomination d'agent spécial en Polynésie française ", dont l'objet est de définir les conditions dans lesquelles ce dernier exerce le mandat d'agent spécial que lui confie la société sur le territoire polynésien, que M. V. effectue, concernant la totalité des contrats d'assurance IARD (incendie, accidents et risques divers) souscrits par les personnes physiques et morales ayant vocation à être sociétaires de la SMABTP, l'intégralité de la gestion des contrats d'assurances pour le compte de la société, et qu'il revient à M. V. de proposer à la souscription des contrats qui sont ceux de la SMABTP, adaptés sur instructions de cette dernière aux particularités du marché local et aux conditions particulières de gestion fixées par le contrat, d'appeler et encaisser les cotisations des assurés de la société, de régler les sinistres de ces assurés, de payer pour le compte de la SMABTP toutes les taxes et prélèvements assimilés et d'établir tous les états comptables et statistiques demandés par celle-ci. Il résulte également des termes de ce contrat que la SMABTP définit les critères devant être appliqués par son mandataire, M. V., concernant la gestion des sinistres et dispose à son égard d'un pouvoir de contrôle et d'inspection, M. V. devant, en outre, satisfaire à toute demande de documents émanant de la société.

9. S'agissant des conditions financières, le contrat stipule que la rémunération de l'agent spécial couvre l'intégralité des prestations accomplies par lui et est effectuée sous forme de commission, selon un barème précisé en annexe du contrat, et en son article 6 que l'intéressé perçoit également une participation aux bénéfices établie à 7,5% appliquées aux recettes de l'exercice, constituées notamment des primes émises au cours de celui-ci, déduction faite des dépenses de l'exercice comprenant notamment la rémunération du mandataire prévue à l'article 5 et les sinistres payés durant l'exercice.

10. Dans ces conditions, les opérations réalisées pour la SMABTP par l'agent spécial en cause, dont il est d'ailleurs constant qu'il exerce la même activité en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie pour d'autres sociétés d'assurances, doivent être considérées, contrairement à ce que soutient la société requérante, comme exercées par lui dans le cadre ordinaire de son activité.

11. En conséquence c'est à bon droit que la Polynésie française a estimé que la société requérante exerçait son activité en Polynésie par l'entremise d'un agent agissant dans le cadre ordinaire de son activité et jouissant d'un statut indépendant au sens de l'art 113-1 précité, et devait, en conséquence, être considérée comme y disposant d'un établissement stable,.

12. En deuxième lieu, il résulte des articles 13, 14, 102 et 140 de la loi organique

n° 2004-192 du 27 février 2004 que la Polynésie française exerce la compétence fiscale, s'agissant des impositions instituées au profit de cette collectivité ou, dans les cas prévus par la loi organique, au profit d'autres collectivités de la Polynésie française. La Polynésie française est donc compétente pour élaborer sa propre définition de la notion d'" établissement stable ". La société requérante ne peut utilement, à cet égard, se prévaloir de l'interprétation qui serait faite de conventions fiscales établies sur le modèle de l'OCDE, concernant la notion d'établissement stable, aucune convention n'ayant au demeurant été adoptée entre le gouvernement de la République française et la Polynésie française afin d'éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur les sociétés. En conséquence, la circonstance, au demeurant non établie, que la SMABTP aurait été soumise à l'impôt sur les sociétés en métropole sur les mêmes bénéfices de la même année, ne saurait faire obstacle au principe de l'imposition en Polynésie française des bénéfices provenant d'opérations réalisées dans le territoire par l'établissement stable dont elle y disposait en la personne de M. V. Si la société requérante estime que l'impôt sur les sociétés mis à sa charge en métropole au titre de l'exercice clos en 2013 a été établi sur une assiette incluant à tort les bénéfices susmentionnés, il lui appartenait, si elle s'y croyait fondée d'en contester le bien-fondé.

13. De tout ce qui précède, il résulte que la SMABTP n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement et à la décharge des impositions litigieuses doivent, par suite, être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, de celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'ayant pas dans la présente instance la qualité de partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la SMABTP une somme de

1 500 euros sur le fondement de cet article.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux Publics est rejetée.

Article 2 : La Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics versera à la Polynésie française une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux publics et au gouvernement de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 6 février 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- Mme Jimenez, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 février 2019.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 18PA00884


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00884
Date de la décision : 19/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : SCP MERMILLON-RAULT ; SCP POTIER DE LA VARDE - BUK LAMENT - ROBILLOT ; SCP MERMILLON-RAULT ; SCP POTIER DE LA VARDE - BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-02-19;18pa00884 ?
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