Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 27 avril 2015 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement n° 1504712/9 du 5 octobre 2016, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 décembre 2016, la SCP A...-Hazane, prise en la personne de MeA..., liquidateur judiciaire de la société Mitrychem, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter les demandes de M. B...;
3°) de lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la décision de l'inspecteur du travail, qui s'est succinctement mais clairement prononcé sur les possibilités de reclassement, est suffisamment motivée.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mars 2017, M. D...B..., représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la décision de l'inspecteur du travail n'est pas suffisamment motivée en droit ;
- la motivation ne permet pas d'apprécier la réalité du contrôle réalisé par l'inspection sur le caractère économique du licenciement, sur la recherche d'un reclassement et sur l'absence de lien avec son mandat ;
- la légèreté blâmable de l'employeur et le caractère frauduleux de la faillite privent la cessation d'activité de son motif économique ;
- compte-tenu de l'incertitude sur l'appartenance de Mitrychem à un groupe et au périmètre de celui-ci, l'obligation de recherche sérieuse de reclassement n'a pas été satisfaite ;
- son licenciement peut être lié à son activité syndicale ou à son mandat.
Le ministre du travail, à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 22 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bernier,
- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.
1. Considérant que par jugement du 2 mars 2015, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé la liquidation, sans poursuite d'activité autorisée, de la société Mitrychem qui exerçait une activité de recherche, de développement et de production de principes actifs pharmaceutiques ; que par décision du 27 avril 2015, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement pour motif économique de M. D...B..., ancien membre suppléant de la délégation unique du personnel ; que la SCP A...-Hazane, prise en la personne de MeA..., liquidateur judiciaire de la société Mitrychem, relève appel du jugement du 5 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision ;
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Considérant que l'autorisation de licenciement, qui vise le code du travail et notamment les articles L. 2411-1, L. 2411-3, L. 2411-5, L. 2411-8, L. 2411-21, L. 2421-1 à L. 2421-10, R. 2421-1 à R. 2421-15, ainsi que les articles L. 631-17 et L. 641-10 du code de commerce, est suffisamment motivée en droit ; qu'en tout état de cause, l'omission du visa d'un texte ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner l'annulation d'une décision pour excès de pouvoir ; que l'inspecteur du travail a motivé en fait sa décision en relevant que la réalité du motif économique était attestée par la liquidation judiciaire de la société prononcée le 2 mars 2015, que l'établissement disparaissait totalement sans possibilité de reprise ultérieure de l'activité, que cette disparation avait pour conséquence la suppression du poste du salarié, qu'il n'y avait pas eu de proposition de reclassement malgré les nombreuses demandes faites par le mandataire judiciaire auprès des actionnaires de l'entreprise et des entreprises du secteur, et qu'il n'existait pas de lien entre la demande de licenciement et le mandat détenu par le salarié ; que la décision, qui fait apparaitre les éléments essentiels de l'examen par l'administration, comporte l'énoncé des éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que la référence au jugement prononçant la liquidation judiciaire suffisait à motiver le caractère économique du licenciement ; que l'administration, qui n'avait pas à prendre explicitement parti sur tous les éléments qu'il lui incombe de contrôler, a suffisamment motivé sa décision en faisant état des recherches de reclassement réalisées par l'employeur ; que l'inspecteur du travail pouvait se borner à estimer qu'il n'existait pas de lien entre le mandat détenu par le salarié et le licenciement dès lors que cette mesure était la conséquence de la cessation totale de l'activité de l'entreprise ; qu'ainsi, la SCP A...-Hazane est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a retenu le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation pour annuler la décision contestée ;
Sur les autres moyens soulevés par M.B... :
3. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...tant devant le tribunal administratif de Melun que devant la cour ;
4. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié ; qu'à ce titre, lorsque la demande est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, celle-ci n'a pas à être justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise ; qu'il appartient alors à l'autorité administrative de contrôler, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que la cessation d'activité de l'entreprise est totale et définitive, que l'employeur a satisfait, le cas échéant, à l'obligation de reclassement prévue par le code du travail et que la demande ne présente pas de caractère discriminatoire ;
Sur le caractère économique du licenciement :
5. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 642-5 du code de commerce dans sa rédaction alors en vigueur que la réalité du motif économique du licenciement et la nécessité des suppressions de postes sont examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre du plan de cession ; que, dès lors qu'un licenciement a été autorisé par un jugement arrêtant un plan de cession, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent être contestés qu'en exerçant les voies de recours ouvertes contre ce jugement et ne peuvent être discutés devant l'administration ;
6. Considérant que lorsqu'il est saisi, en vertu des dispositions du code du travail, d'une demande tendant à ce que soit autorisé le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, il n'appartient pas à l'inspecteur du travail de rechercher si la cessation d'activité de l'entreprise est due à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur, sans que sa décision fasse obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, mette en cause devant les juridictions compétentes la responsabilité de l'employeur en demandant réparation des préjudices que lui auraient causé cette faute ou légèreté blâmable dans l'exécution du contrat de travail ; que les griefs formulés contre les dirigeants de la société Mitrychem et la société actionnaire sont inopérants ;
7. Considérant que si M.B..., qui produit des rapports de cabinets comptables relatifs aux conditions de la reprise de la société Mitrychem en 2011, aux relations directes et indirectes que la société aurait maintenue avec son ancien détenteur, et à la gestion de la société Mitrychem entre 2011 et 2015, il n'établit pas par les documents qu'il produit l'existence d'une fraude qui aurait dû conduire l'inspecteur du travail à refuser d'autoriser son licenciement ;
Sur le reclassement :
8. Considérant que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, au sein de l'entreprise puis dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu comme comportant les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel ; que l'employeur doit s'efforcer de proposer au salarié des offres de reclassement écrites, précises et personnalisées, portant, si possible, sur un emploi équivalent ; que le contexte d'une cessation d'activité de l'entreprise ne dispense pas l'employeur de l'obligation qui lui incombe de rechercher des offres personnalisées de reclassement pour le salarié au sein du groupe ;
9. Considérant que si M. B...conteste le caractère sérieux des recherches de reclassement menées par l'employeur et soutient que celles-ci n'ont pas permis de déterminer si la société Mitrychem appartenait à un groupe, il ressort des pièces du dossier que par lettres des 4 et 5 mars 2015, le liquidateur s'est adressé à la société Almara Finance, seul actionnaire de la société Mitrychem, et à la société Rouver Investment, seul actionnaire de la société Almara Finance pour les inviter à contribuer au reclassement des salariés ; que la société Almara Finance a répondu le 13 mars 2015 que son activité était exclusivement financière et qu'elle n'avait pas d'autre filiale que Mitrychem ; que la société Rouver Investment a répondu le même jour qu'elle était une holding financière qui n'avait pas de participation dans des sociétés exerçant une activité industrielle ; que les éléments produits par M. B...ne permettent pas d'établir l'inexactitude de ces informations ; que, par ailleurs le liquidateur, par exploit d'huissier du 5 mars 2015, a sommé la société Teva Santé, unique client de la société Mytrichem, et maison-mère depuis 2011 de la société Cephalon, détenteur de société Mytrichem jusqu'en 2010, de mettre en oeuvre un reclassement dans les entreprises de ce groupe en France et à l'étranger ; que cependant, cette sommation est restée vaine ; qu'il n'est pas par ailleurs contesté que le liquidateur a interrogé des entreprises exerçant une activité connexe dans le bassin d'emploi et que des offres ont été transmises à l'intéressé ; qu'il en résulte que l'inspecteur du travail a pu, sans erreur d'appréciation, estimer que le liquidateur judiciaire avait rempli loyalement et sérieusement, dans les circonstances de l'espèce, son obligation de recherche de reclassement ;
Sur le caractère discriminatoire :
10. Considérant que le licenciement de M. B...résulte de la cessation totale de l'activité de la société Mitrychem et de la suppression de tous les emplois, consécutive à la mise en liquidation judiciaire de la société ; que le moyen tiré de ce que ce licenciement pourrait ne pas être dénué de lien avec son mandat, qui n'est au demeurant assorti d'aucune précision, ne peut être qu'écarté ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCP A...-Hazane, liquidateur de la société Mitrychem, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 5 octobre 2016, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 avril 2015 autorisant le licenciement de M. D...B... ;
12. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées par la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, qui ne précisent au demeurant pas à la charge de qui doivent être mis les frais exposés par elle et non compris dans les dépens, doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 5 octobre 2016 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. B...sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la SCP A...-Hazane présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP A...-Hazane, liquidateur de la société Mitrychem, à M. D...B...et au ministre du travail.
Copie en sera adressée pour information à l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de Seine-et-Marne (direction régionale des entreprises, de la concurrence de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France).
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 20 novembre 2018.
Le rapporteur,
Ch. BERNIERLe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N°16PA03616