Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 29 décembre 2014 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de l'inscrire sur les registres du sceau de France comme ayant succédé au titre de comte palatin du Saint-Empire romain germanique concédé à Benito Centurion selon un édit de l'Empereur Charles Quint en date du 1er juin 1525.
Par un jugement n° 1507079 du 31 mars 2017, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 29 décembre 2014, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 2 juin 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1507079 du 31 mars 2017 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M.D....
Il soutient que :
- il n'a pas commis l'erreur de droit que lui reproche le tribunal car le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas compétent pour se prononcer sur la vérification d'un titre délivré par un souverain étranger, dès lors que l'édiction d'un arrêté d'investiture pour un titre concédé par un souverain étranger aurait nécessairement été assimilée à la collation d'un nouveau titre, ce qui est incompatible avec les institutions républicaines ;
- seuls les titres français préexistants peuvent être inscrits dans les registres du sceau de France ;
- les titres étrangers conférés à des Français par des souverains étrangers ne peuvent plus être inscrits sur les actes d'état civil des intéressés sans une autorisation du chef de l'Etat qui n'est en principe plus accordée depuis le rétablissement de la République en 1875, règle à laquelle il n'a été fait exception qu'à deux reprises pour des titres étrangers accordés à des personnes de nationalité française.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2018, M. D..., représenté par la SCP Monod-Colin-Stoclet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens invoqués par le garde des sceaux, ministre de la justice, à l'encontre du jugement attaqué ne sont pas fondés ;
- la nationalité du demandeur est sans incidence sur son droit à obtenir du garde des sceaux qu'il exerce les pouvoirs que lui confère l'article 7 du décret du 8 janvier 1859 ;
- il ne demande pas la vérification d'un titre en tant que titre étranger mais en tant que titre ayant intégré l'ordre juridique français ;
- pour constituer un titre nobiliaire français préexistant à la demande de vérification, le titre n'a pas à être formellement créé, collationné, confirmé ou reconnu par une autorité souveraine en France, la qualité de titre français, et donc son opposabilité dans l'ordre juridique français, pouvant résulter de l'effet juridique direct produit par l'annexion par la France d'un territoire étranger, sans qu'aucun acte d'investiture ou de reconnaissance soit nécessaire ;
- il appartient au garde des sceaux, lorsqu'il est saisi d'une demande de vérification d'un titre dont le requérant prétend qu'il fait partie de l'ordre juridique français, de rechercher si ce titre a été créé, collationné, confirmé ou reconnu par une autorité souveraine en France ou, à défaut, s'il est doté d'un effet juridique directement opposable en droit français, ce pouvoir ne pouvant être assimilé à la collation d'un nouveau titre nobiliaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret du 12 janvier 1859 ;
- le décret des 5 et 12 mars 1859 ;
- le décret du 10 janvier 1872 ;
- le décret n° 2005-565 du 27 mai 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nguyên Duy,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,
- et les observations de Me Colin, avocat de M.D....
Une note en délibéré présentée pour M. D...a été enregistrée le 22 juin 2018.
1. Considérant que, par arrêté du 29 décembre 2014, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande d'inscription de M. D..., ressortissant de nationalité espagnole, sur les registres du sceau de France comme ayant succédé au titre de comte palatin du Saint-Empire romain germanique, concédé à Benito Centurion selon un édit de l'Empereur Charles Quint en date du 1er juin 1525 ; que le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté par un jugement du 31 mars 2017 dont le garde des sceaux, ministre de la justice, interjette régulièrement appel ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Considérant que depuis la promulgation des lois constitutionnelles de 1875, nulle autorité de la République ne dispose du pouvoir de collationner, de confirmer ou de reconnaître des titres nobiliaires, qui se transmettent de plein droit et sans intervention de ces autorités ; que la seule compétence maintenue au garde des sceaux, en application du décret du 10 janvier 1872 qui a supprimé le conseil du sceau des titres et attribué les fonctions de ce conseil " en tout ce qui n'est pas contraire à la législation actuelle " au conseil d'administration établi auprès du garde des sceaux, est celle de se prononcer sur les demandes de vérification des titres de noblesse prévues par l'article 7 du décret impérial du 12 janvier 1859, qui le conduisent uniquement à examiner les preuves de la propriété du titre par celui qui en fait la demande ; qu'en vertu du décret du 27 mai 2005 modifiant le décret du 10 janvier 1872, les fonctions dévolues au conseil d'administration établi auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, sont désormais exercées par la direction des affaires civiles et du sceau ;
3. Considérant que M. D...a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à la vérification du titre de comte palatin du Saint-Empire romain germanique qui a été concédé à Benito Centurion par un édit de l'Empereur Charles Quint en date du 1er juin 1525 ; que s'il ressort de ce document que, lorsqu'il a attribué le titre nobiliaire litigieux, Charles Quint était ducC..., comteB..., comte du Roussillon et marquis de Bourgogne, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le titre de comte palatin, qui n'a jamais été enregistré par une autorité française et n'est pas attaché à un territoire qui a été ultérieurement annexé à la France, pourrait être regardé comme un titre de noblesse français ; qu'il résulte donc de ce qui précède que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le garde des sceaux, ministre de la justice, qui ne s'est pas mépris sur l'objet de la demande de vérification dont il était saisi par M.D..., a à bon droit estimé qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur cette demande ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal a annulé pour ce motif l'arrêté du 29 décembre 2014 ;
4. Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...tant en première instance qu'en appel ;
5. Considérant, en premier lieu, que dès lors que la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'inscrire M. D...sur les registres du sceau de France a été prise à la suite d'une demande de ce dernier, aucun principe général du droit n'imposait que cette décision soit prise à l'issue d'une procédure contradictoire, quand bien même elle serait défavorable à l'intéressé ; que la circonstance que M. D...n'aurait pas été mis à même de présenter préalablement des observations, notamment sur l'interprétation par le garde des sceaux, ministre de la justice, de l'étendue de ses pouvoirs, est donc sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que, depuis la promulgation des lois constitutionnelles de 1875, le garde des sceaux, ministre de la justice, doit être regardé comme ne pouvant se prononcer sur les demandes de vérification des titres de noblesse conférés par des souverains étrangers, que celles-ci soient présentées par des ressortissants français en application du décret impérial des 5 et 12 mars 1859 ou par des étrangers ; que le moyen tiré de l'existence d'une discrimination injustifiée entre les auteurs de demandes de vérification selon leur nationalité ne peut donc qu'être écarté ;
7. Considérant, en troisième lieu, que, dès lors qu'il n'appartenait pas au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à la vérification du titre nobiliaire litigieux, M. D... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 29 décembre 2014 portant refus d'inscription de M. D...sur les registres du sceau de France comme ayant succédé au titre de comte palatin du Saint-Empire romain germanique, concédé à Benito Centurion selon un édit de l'Empereur Charles Quint en date du 1er juin 1525 ;
Sur les frais liés au litige :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. D...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1507079 du 31 mars 2017 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par M. D...sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...D...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Legeai, premier conseiller,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 juillet 2018.
Le rapporteur,
P. NGUYÊN DUYLa présidente,
S. PELLISSIERLe greffier,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01891