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29/05/2018 | FRANCE | N°18PA00561

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 29 mai 2018, 18PA00561


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 février 2018, l'association Promouvoir, représentée par son président et par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 22 janvier 2018 par laquelle le ministre de la culture a délivré un visa d'exploitation au film " Cinquante nuances plus claires ", avec autorisation de la représentation pour tous publics ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision en tant que ce visa d'exploitation n'est pas assorti d'une interdiction de r

eprésentation aux mineurs de douze ans, et en tant que ce visa n'est pas accompagné...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 février 2018, l'association Promouvoir, représentée par son président et par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 22 janvier 2018 par laquelle le ministre de la culture a délivré un visa d'exploitation au film " Cinquante nuances plus claires ", avec autorisation de la représentation pour tous publics ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision en tant que ce visa d'exploitation n'est pas assorti d'une interdiction de représentation aux mineurs de douze ans, et en tant que ce visa n'est pas accompagné d'un avertissement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient que :

- la décision attaquée est illégale au regard des dispositions des articles L. 211-1, R. 211-12 et R. 211-13 du code du cinéma et de l'image animée, et au regard de celles des articles 227-23 et 227-24 du code pénal relatives aux messages à caractère violent ou pornographiques, ou de nature à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger ;

- le visa devait à tout le moins être assorti d'une interdiction de représentation aux mineurs de douze ans ;

- il devait à tout le moins être assorti d'un avertissement.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 23 mars et le 4 mai 2018, le ministre de la culture, représenté par la SCP Piwnica et Molinie, avocat aux Conseils, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en intervention, enregistrés le 4 et le 9 mai 2018, la société Universal Pictures International France, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de l'association Promouvoir sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en réplique, enregistrés le 20 avril et le 7 mai 2018, l'association Promouvoir conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens. Elle demande en outre à titre subsidiaire, d'annuler, pour excès de pouvoir, le visa d'exploitation en tant qu'il n'est pas assorti d'une interdiction de représentation aux mineurs de seize ans.

Elle précise que sa requête tend à la fois à l'annulation de la décision accordant un visa d'exploitation pour la version originale du film et à l'annulation de la décision relative à la version postsynchronisée en français, et soutient en outre que :

- il n'est pas établi que les membres du comité de classification aient été en possession du découpage dialogué de la version doublée en français lorsqu'ils ont visionné le film en version originale ;

- la société Universal Pictures International France, intervenante, ne peut demander l'application à son profit de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code pénal ;

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet, rapporteur,

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

- et les observations de Me D...pour la société Universal Pictures International France.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 22 janvier 2018, le ministre de la culture a délivré au film " Cinquante nuances plus claires ", réalisé par M. B... A..., un visa d'exploitation avec autorisation de la représentation pour tous publics, sans assortir cette interdiction d'une mesure d'avertissement destiné à l'information du spectateur ; que l'association Promouvoir demande l'annulation de cette décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée : " La représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivré par le ministre chargé de la culture. / Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 211-12 de ce code : " I . - Le visa d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes : / 1° Autorisation de la représentation pour tous publics ; /2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ; /3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; /4° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans ; /5° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l'oeuvre ou du document sur la liste prévue à l'article L. 311-2. /II. - La mesure de classification, assortie le cas échéant de l'avertissement prévu à l'article R. 211-13, est proportionnée aux exigences tenant à la protection de l'enfance et de la jeunesse, au regard de la sensibilité et du développement de la personnalité propres à chaque âge, et au respect de la dignité humaine. / Lorsque l'oeuvre ou le document comporte des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser, le visa d'exploitation ne peut s'accompagner que de l'une des mesures prévues au 4° et au 5° du I (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 211-13 du même code : " Sans préjudice de la mesure de classification qui accompagne sa délivrance, le visa d'exploitation cinématographique peut être assorti d'un avertissement, destiné à l'information du spectateur, portant sur le contenu ou les particularités de l'oeuvre ou du document concerné " ;

3. Considérant que les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée confèrent au ministre chargé de la culture l'exercice d'une police spéciale fondée sur les nécessités de la protection de l'enfance et de la jeunesse et du respect de la dignité humaine, en vertu de laquelle il lui incombe en particulier de prévenir la commission de l'infraction réprimée par les dispositions de l'article 227-24 du code pénal, qui interdisent la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, d'un message à caractère violent, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou de nature à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, lorsqu'il est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, soit en refusant de délivrer à une oeuvre cinématographique un visa d'exploitation, soit en imposant à sa diffusion l'une des restrictions prévues à l'article R. 211-12 du code du cinéma et de l'image animée, qui lui paraît appropriée au regard tant des intérêts publics dont il doit assurer la préservation que du contenu particulier de cette oeuvre ;

4. Considérant que le film " Cinquante nuances plus claires ", qui met en scène la vie d'un jeune couple, contient plusieurs scènes représentant des pratiques sexuelles à caractère sadomasochiste ; que si ces scènes sont simulées et relativement brèves au regard de la durée du film, elles sont traitées avec complaisance et sont susceptibles d'être perçues par un très jeune public comme décrivant des pratiques banales dans le cadre d'une relation amoureuse ; que, dans ces conditions, le ministre de la culture ne pouvait sans erreur d'appréciation au regard des exigences tenant à la protection de l'enfance et de la jeunesse, accorder un visa d'exploitation autorisant la représentation pour tous les publics, au surplus sans assortir ce visa d'aucune mesure d'avertissement ; que l'association Promouvoir est donc fondée à demander l'annulation de sa décision ;

5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association Promouvoir qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Universal Pictures International France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association Promouvoir d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er: La décision du ministre de la culture accordant un visa d'exploitation au film " Cinquante nuances plus claires ", en date du 22 janvier 2018, est annulée.

Article 2 : L'Etat versera à l'association Promouvoir une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société Universal Pictures International France présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié a l'association Promouvoir et au ministre de la culture.

Copie en sera adressée au Centre national du cinéma et de l'image animée.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Niollet, président de la formation de jugement,

- M. Pagès, premier conseiller,

- Mme Labetoulle, premier conseiller.

Lu en audience publique le 29 mai 2018.

L'assesseur le plus ancien,

D. PAGES

Le président-rapporteur,

J-C. NIOLLET

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°18PA00561

Classement CNIJ :

C


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00561
Date de la décision : 29/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Arts et lettres - Cinéma.

Police - Polices spéciales - Police du cinéma (voir : Arts et lettres).


Composition du Tribunal
Président : M. NIOLLET
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : SCP PIWNICA-MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-05-29;18pa00561 ?
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