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04/05/2018 | FRANCE | N°17PA02566

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 04 mai 2018, 17PA02566


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 2 novembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé de retranscrire son pseudonyme, " A... ", sur sa carte nationale d'identité.

Par un jugement n° 1611270 du 22 mai 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 24 et 26 juillet 2017, M. B..., représenté par Me Sam-Simenot, demande à la cour :r>
1°) d'annuler le jugement n° 1611270 du 22 mai 2017 du tribunal administratif de Paris ;

2°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 2 novembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé de retranscrire son pseudonyme, " A... ", sur sa carte nationale d'identité.

Par un jugement n° 1611270 du 22 mai 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 24 et 26 juillet 2017, M. B..., représenté par Me Sam-Simenot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1611270 du 22 mai 2017 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 2 novembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé d'inscrire son pseudonyme sur sa carte nationale d'identité ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de procéder au réexamen de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée, son pseudonyme constituant un aspect de son identité sociale ;

- la décision attaquée a méconnu les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elle opère une discrimination injustifiée en faveur des personnes exerçant une activité littéraire ou artistique, qui seules disposent de la possibilité d'obtenir l'inscription d'un pseudonyme sur leur carte nationale d'identité ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit, en ce qu'elle se fonde sur une jurisprudence et une circulaire qui ne reflètent plus l'état du droit actuel lequel consacre désormais le droit à l'usage d'un pseudonyme, qui n'est plus subordonné à la preuve de l'exercice d'une activité littéraire et artistique, mais uniquement à son usage constant et ininterrompu ;

- le motif de la décision attaquée tiré de ce que le pseudonyme dont sa mère a fait usage ne lui est pas transmissible est entaché d'une erreur de droit ;

- le motif de la décision attaquée tiré de ce qu'aucun des titres d'identité qui lui ont été délivrés antérieurement ne mentionne ce pseudonyme est entaché d'une erreur de droit ;

- le motif de la décision attaquée tiré de ce qu'il ne justifie pas du caractère ancien et notoire d'une activité littéraire ou artistique est entaché d'une erreur de droit ;

- la directive 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1999 a consacré le droit d'utiliser un pseudonyme ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'il établit l'usage constant et ininterrompu du pseudonymeA....

Par un mémoire en défense enregistré le 16 février 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;

- dans l'hypothèse où la Cour estimerait que le refus attaqué fondé sur le motif tiré de l'absence d'exercice par M. B...d'une activité artistique justifiant l'usage du pseudonyme de A...constituerait d'une discrimination injustifiée, il sera substitué à ce motif celui tiré de l'absence d'exercice d'une activité particulière.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi du 6 fructidor an II ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;

- la circulaire n° INTD0000001C du 10 janvier 2000 du ministre de l'intérieur relative à la délivrance et au renouvellement de la carte nationale d'identité instituée par le décret

n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nguyên Duy,

- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,

- et les observations de Me Sam-Simenot, avocat de M.B....

1. Considérant que, par courrier du 2 novembre 2015, le préfet de police a rejeté la demande de M. B...tendant à ce que le nom " A... ", qui est le pseudonyme utilisé par sa mère, soit également porté sur sa propre carte nationale d'identité à titre de pseudonyme ; qu'à la suite du rejet implicite de son recours hiérarchique formé le 18 mars 2016, M. B...a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'annulation de la décision du 2 novembre 2015 ; que l'intéressé relève régulièrement appel du jugement du 22 mai 2017 par lequel le tribunal a rejeté son recours ;

Sur la légalité de la décision du 2 novembre 2015 :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II : " Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance : ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " Il est également défendu d'ajouter aucun surnom à son nom propre, à moins qu'il n'ait servi jusqu'ici à distinguer les membres d'une même famille, sans rappeler des qualifications féodales ou nobiliaires " ; qu'aux termes de l'article 4 de la même loi : " Il est expressément défendu à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l'acte de naissance (...), ni d'en exprimer d'autres dans les expéditions et extraits qu'ils délivreront à l'avenir " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " (...) La carte nationale d'identité mentionne : 1° Le nom de famille, les prénoms, la date et le lieu de naissance, le sexe, la taille, la nationalité, le domicile ou la résidence de l'intéressé ou, le cas échéant, sa commune de rattachement, et, si celui-ci le demande, le nom dont l'usage est autorisé par la loi ; 2° L'autorité de délivrance du document, la date de celle-ci, sa durée de validité avec indication de sa limite de validité, le nom et la signature de l'autorité qui a délivré la carte ; 3° Le numéro de la carte. Elle comporte également la photographie et la signature du titulaire " ; que la circulaire du 10 janvier 2000 du ministre de l'intérieur valant instruction générale relative à la délivrance et au renouvellement de la carte nationale d'identité prévoit cependant qu'un pseudonyme, " nom de fantaisie librement choisi ", peut dans certaines conditions être porté sur la carte nationale d'identité ;

3. Considérant que, pour rejeter la demande de M. B... tendant à ce que le pseudonyme " A... " soit mentionné sur sa nouvelle carte nationale d'identité, le préfet de police, après avoir relevé que " le pseudonyme est un nom de fantaisie librement choisi par une personne pour masquer au public sa véritable personnalité dans l'exercice d'une activité particulière, notamment en matière littéraire ou artistique ", s'est fondé sur trois motifs tirés de ce que le pseudonyme dont fait usage la mère de M. B...n'est pas transmissible à celui-ci, que le requérant ne peut se prévaloir d'un usage ancien sur un document officiel du pseudonyme souhaité, qui ne figure sur aucun des titres d'identité qui lui ont été délivrés à ce jour, et qu'il ne justifie ni d'une activité artistique, ni du caractère ancien et notoire de celle-ci ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions citées au point 2 qu'un pseudonyme, qui ne figure pas sur les actes d'état civil, n'est pas transmissible à la descendance en raison du principe d'immutabilité des noms patronymiques consacré par l'article 1er de la loi du 6 Fructidor an II ; qu'ainsi le préfet de police n'a pas commis d'erreur de droit en rappelant que le pseudonyme dont fait usage la mère de M. B...n'est pas transmissible à ce dernier ; qu'il est constant cependant qu'un descendant peut faire usage du pseudonyme porté par un ascendant, à condition d'avoir, comme en l'espèce, obtenu l'accord de ce dernier ;

5. Considérant, en revanche, que M. B...est fondé à soutenir, pour la première fois en appel, que le motif tiré de ce qu'il ne justifie ni d'une activité artistique, ni du caractère ancien et notoire de celle-ci, est entaché d'une erreur de droit, dès lors que la possibilité d'être autorisé à mentionner sur une carte nationale d'identité un pseudonyme ne saurait être réservée aux seules personnes exerçant une activité artistique ;

6. Considérant que, pour établir que la décision attaquée était légale, le ministre de l'intérieur invoque toutefois, dans son mémoire en défense communiqué à M.B..., un autre motif, tiré de ce que ce dernier ne justifierait pas en tout état de cause de l'usage du pseudonyme " A... " dans le cadre de l'exercice d'une activité particulière ;

7. Considérant que l'utilisation d'un pseudonyme dans l'exercice d'une activité particulière, laquelle peut aussi bien être d'ordre professionnel que privé, ne constitue que l'un des critères à l'aune desquels il appartient à l'administration d'apprécier s'il peut être fait droit une demande tendant à obtenir l'inscription de ce pseudonyme sur une carte nationale d'identité ;

8. Considérant qu'en l'espèce, M.B..., né en 1996, souhaite voir porter sur sa carte nationale d'identité le pseudonyme de sa mère, sous lequel il est connu depuis sa naissance dans ses activités de la vie courante et dans sa vie personnelle ; qu'il produit, à l'appui de sa demande, un certificat de notoriété établi en 2007 par un notaire, de très nombreuses pièces, notamment son carnet de santé, des certificats de scolarité et des bulletins de notes de l'école maternelle jusqu'aux classes préparatoires aux grandes écoles, son relevé de notes du brevet des collèges et son diplôme du baccalauréat, ainsi que des documents relatifs à ses activités extra-scolaires, qui établissent l'usage constant et ininterrompu qu'il a fait du pseudonyme de A...depuis sa naissance ; que le requérant produit également une attestation rédigée par sa mère par laquelle celle-ci l'autorise à porter son pseudonyme ; que, par ailleurs, il ne résulte pas des pièces du dossier, eu égard notamment aux éléments fournis par M. B...à l'appui de sa requête, que le préfet de police aurait pris la même décision s'il s'était uniquement fondé sur le moyen tiré de ce que l'intéressé ne peut se prévaloir d'un usage ancien sur un document officiel du pseudonyme souhaité ; que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le requérant est fondé à soutenir que le préfet de police a entaché d'erreur manifeste d'appréciation la décision du 2 novembre 2015 par laquelle il a refusé d'inscrire le pseudonyme " A... " sur sa carte nationale d'identité, et par suite à demander l'annulation de cette décision ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Considérant que l'exécution du présent arrêt implique que la demande de M. B... soit réexaminée ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de police de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt ;

Sur les frais liés au litige :

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1611270 du 22 mai 2017 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La décision du 2 novembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé d'inscrire le pseudonyme " A... " sur la carte nationale d'identité de M. B...est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la demande de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. C...B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.

Lu en audience publique le 4 mai 2018.

Le rapporteur,

P. NGUYÊN DUY La présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

A. LOUNISLa République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA02566


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17PA02566
Date de la décision : 04/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-04 Droits civils et individuels. État des personnes. Questions diverses relatives à l`état des personnes.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Pearl NGUYÊN-DUY
Rapporteur public ?: M. ROMNICIANU
Avocat(s) : 2BA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-05-04;17pa02566 ?
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