Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris au paiement d'une somme de 800 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa vaccination contre l'hépatite B.
Par un jugement n° 1308695 du 4 décembre 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 février 2015 et 10 mars 2015, MmeA..., représentée par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 décembre 2014 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'ordonner une expertise afin de déterminer si sa pathologie est imputable à sa vaccination contre l'hépatite B ;
3°) de reconnaître cette imputabilité et de condamner en conséquence la ville de Paris à lui verser une somme totale de 800 000 euros au titre des préjudices subis ;
4°) de mettre à la charge de la ville de Paris le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la ville de Paris lui a imposé la vaccination contre le virus de l'hépatite B ;
- la ville de Paris ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'absence de lien entre la pathologie dont elle souffre et la vaccination subie alors qu'elle-même apportait des articles de presse de nature à établir une présomption forte de l'existence de ce lien ;
- le tribunal s'est à tort abstenu d'ordonner une expertise pour apprécier l'existence de ce lien.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2016, la ville de Paris représentée par la SCP Didier Pinet, avocats aux Conseils, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 2 000 euros soit mis à la charge de Mme A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A...ne sont pas fondés.
Par un arrêt avant-dire droit du 15 novembre 2016, la Cour a ordonné une expertise.
Par un mémoire enregistré le 5 avril 2018, la ville de Paris demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de Mme A...une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu les ordonnances de taxation en date du 9 avril 2018.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 15 mars 1991 fixant la liste des établissements ou organismes publics ou privés de prévention ou de soins dans lesquels le personnel exposé doit être vacciné ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.
1. Considérant que Mme A...a subi, préalablement à son recrutement comme agent spécialisé des écoles maternelles de la ville de Paris et à la demande de la ville de Paris, trois injections d'un vaccin contre l'hépatite B, le 14 décembre 1996, le 25 janvier 1997 et le 24 juin 1997 ; qu'ayant développé un syndrome néphrotique révélateur d'une glomérulonéphrite, Mme A... a d'abord saisi le 25 octobre 2011 le Tribunal administratif de Montreuil, en demandant la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au paiement d'une indemnité en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de sa vaccination contre l'hépatite B ; que cette demande a été rejetée par une ordonnance du Tribunal administratif de Montreuil du 29 novembre 2012 ; qu'elle a ensuite saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de la ville de Paris à lui verser une somme de 800 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa vaccination contre l'hépatite B ; que sa demande a été rejetée par jugement du 4 décembre 2014 dont elle a interjeté appel ; que par arrêt avant dire-droit du 15 novembre 2016, la Cour a ordonné une expertise dont le rapport a été déposé le 12 février 2018 ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 15 mars 1991 fixant la liste des établissements ou organismes publics ou privés de prévention ou de soins dans lesquels le personnel exposé doit être vacciné : " Toute personne exposée à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B (...) lorsqu'elle exerce une activité professionnelle dans les catégories suivantes d'établissements ou d'organismes publics ou privés de prévention ou de soins : 1. Etablissements ou organismes figurant aux nomenclatures applicables aux établissements sanitaires et sociaux en exécution de l'arrêté du 3 novembre 1980 modifié susvisé : - établissements relevant de la loi hospitalière ; - dispensaires ou centres de soins ; - établissements de protection maternelle et infantile (P.M.I.) et de planification familiale ; - établissements de soins dentaires ; - établissement sanitaire des prisons ; - laboratoires d'analyses de biologie médicale ; - centres de transfusion sanguine ; - postes de transfusion sanguine ; - établissements de conservation et de stockage de produits humains autres que sanguins - établissements et services pour l'enfance et la jeunesse handicapées ; - établissements et services d'hébergement pour adultes handicapés ; - établissements d'hébergement pour personnes âgées ; - services sanitaires de maintien à domicile ; - établissements et services sociaux concourant à la protection de l'enfance ; - établissements de garde d'enfants d'âge préscolaire ; établissements de formation des personnels sanitaires. " ;
3. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, Mme A...qui souhaitait être recrutée en qualité d'agent spécialisé des écoles maternelles, s'est vu inviter par la ville de Paris à produire à l'appui de sa candidature, un certificat de vaccination contre l'hépatite B alors que les écoles maternelles ne relevaient d'aucune des catégories d'établissements et organismes limitativement énumérés par l'arrêté du 15 mars 1991 où le personnel doit être vacciné ; qu'elle lui a ainsi imposé une obligation de vaccination qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoyait ; que de ce fait, sa responsabilité est susceptible d'être engagée ;
4. Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise, qui confirme sur ce point les pièces antérieurement versées au dossier, et notamment le compte rendu de l'hospitalisation subie par Mme A... dans le service de néphrologie de l'hôpital Necker du 18 au 27 février 1998, que celle-ci n'avait pas d'antécédents personnels ou familiaux la prédisposant à une affection rénale, antérieurement aux injections vaccinales contre l'hépatite B réalisées en vue de son recrutement comme agent des écoles maternelles par la ville de Paris ; qu'après les trois injections du vaccin réalisées le 14 décembre 1996, le 25 janvier 1997 et le 24 juin 1997 elle a, selon l'expert, " quelques semaines " après cette troisième injection, présenté les premiers symptômes de la glomérulonéphrite membrano-proliférative qui lui a été finalement diagnostiquée en février 1998 après qu'un syndrome oedemateux important ait conduit, dès la fin de l'année précédente, à la réalisation d'examens et à ce que soit envisagée une pathologie rénale ; qu'il ressort par ailleurs du rapport du Docteur Le Houezec, médecin conseil du réseau des victimes des effet secondaires du vaccin anti-hépatite B (REVHAB), que le virus de l'hépatite B peut être à l'origine de l'affection ainsi diagnostiquée et que le vaccin contre l'hépatite B peut avoir les mêmes conséquences ; que les articles médicaux d'autres praticiens, versées au dossier, confirment la possibilité d'un lien entre le vaccin contre l'hépatite B et la glomérulonéphrite ; que le rapport d'expertise n'exclut pas l'existence d'un tel lien, le déclarant même dans ses conclusions " possible " ; qu'ainsi le lien entre l'affection dont souffre Mme A...et les injections vaccinales subies, doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme établi eu égard d'une part, au bref délai ayant, selon les constatations mêmes de l'expert, séparé l'injection de juin 1997 de l'apparition des premiers symptômes cliniquement constatés, de la glomérulonéphrite membrano-proliférative ultérieurement diagnostiquée et, d'autre part, à la bonne santé de l'intéressée et à l'absence, chez elle, de tout antécédent à cette pathologie, antérieurement à sa vaccination ; qu'il incombe dès lors à la ville de Paris qui lui a imposé cette vaccination dans le cadre de l'activité professionnelle à laquelle elle postulait, de réparer les dommages subis par Mme A...du fait de cette affection ; qu'il s'ensuit que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal, estimant que le lien entre sa pathologie et sa vaccination n'était pas établi, a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
Sur l'évaluation des préjudices subis :
5. Considérant que si Mme A...demande à être indemnisée de la perte financière résultant du ralentissement de sa carrière du fait de ses problèmes de santé, elle ne justifie pas, par les pièces versées au dossier, de la réalité des effets de cette pathologie sur sa carrière, ni par suite du préjudice financier qui en résulterait ; qu'elle demande également réparation du préjudice résultant de son impossibilité de mener une vie familiale normale et de son préjudice moral ; qu'il ressort des constatations du rapport d'expertise que Mme A...a subi plusieurs hospitalisations dont deux pour une période d'un mois et a du se rendre en moyenne un jour par mois à l'hôpital depuis 1998 pour effectuer des examens, outre trois demi-journées par semaine pour subir des séances de dialyse ; qu'il sera fait une juste évaluation des troubles dans ses conditions d'existence en condamnant la ville de Paris à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de ce chef de préjudice ; qu'il ressort également du rapport d'expertise qu'elle a présenté un déficit fonctionnel temporaire de 30% jusqu'en mars 2004, qui s'est aggravé à 40% de 2004 jusqu'à la consolidation de son état au 30 mai 2017, son déficit fonctionnel permanent ayant alors été évalué par l'expert à 42% ; qu'il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en lui accordant une somme de 80 000 euros ; que l'expert ayant évalué ses souffrances physiques et psychiques à 6 sur une échelle de 1 à 7, il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en lui allouant une somme de 23 000 euros ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la ville de Paris à verser à Mme A...une somme totale de 153 000 euros en réparation de ses préjudices ;
Sur les frais d'expertise :
7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. ".
8. Considérant que les frais de l'expertise ordonnée par la Cour administrative d'appel de Paris ont été taxés et liquidés à la somme de 8 648 euros ; qu'il y a lieu de mettre à la charge définitive de la ville de Paris le paiement de ces frais ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que Mme A...qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante soit condamnée à verser à la ville de Paris la somme qu'elle demande sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 1 500 euros sur le même fondement ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1308695 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La ville de Paris versera à Mme A...une somme totale de 153 000 euros en réparation de ses préjudices.
Article 3 : Les frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 8 648,40 euros, sont mis à la charge de la ville de Paris.
Article 4 : La ville de Paris versera à Mme A...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête ainsi que les conclusions de la ville de Paris présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à la ville de Paris et à la Caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 avril 2018.
Le rapporteur,
M-I. LABETOULLELe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA00521