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10/04/2018 | FRANCE | N°16PA02900

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 10 avril 2018, 16PA02900


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pelimex a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 592 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la suppression de la sanction prévue pour les automobilistes en cas de défaut de possession d'un éthylotest.

Par un jugement n° 1428290/3-3 du 12 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 septembre 2016, un mémoire ampliatif,

enregistré le 19 octobre 2016, et des mémoires enregistrés les 3 décembre 2016, 5 décembre 2016...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pelimex a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 592 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la suppression de la sanction prévue pour les automobilistes en cas de défaut de possession d'un éthylotest.

Par un jugement n° 1428290/3-3 du 12 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 septembre 2016, un mémoire ampliatif, enregistré le 19 octobre 2016, et des mémoires enregistrés les 3 décembre 2016, 5 décembre 2016 et 23 novembre 2017, la société Pelimex, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 juillet 2016 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 789 525, 72 euros au titre des stocks des éthylotests chimiques et électroniques au marquage NF constitués suite à la publication du décret n° 2012-284 du 28 février 2012, ainsi qu'une indemnité de 5 millions d'euros, à parfaire, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la suppression de la sanction prévue pour les automobilistes en cas de défaut de possession d'un éthylotest ;

3°) à défaut, d'ordonner une expertise afin de déterminer le préjudice subi du fait de la constitution de stocks invendus, avec possibilité d'organiser une conciliation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros [h1]sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de l'engagement de la responsabilité totale ou partielle de l'Etat, ainsi qu'à celui tiré de l'indemnisation du fait des stocks constitués et invendus ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée en raison de l'illégalité du décret n° 2013-180 du 28 février 2013 : ce décret n'est pas motivé ; il est entaché d'un vice de procédure puisqu'il n'a pas été précédé d'une étude d'impact ; il méconnaît l'avis du Conseil national de la sécurité routière du 13 février 2013 ; il méconnaît le principe de sécurité juridique dès lors que le pouvoir réglementaire était tenu de prévoir les mesures transitoires exigées par la nouvelle réglementation sur les éthylotests ; il est entaché d'une erreur d'appréciation ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat est également engagée en raison de l'obligation imposée par la France d'une norme NF, en méconnaissance du droit de l'Union européenne, finalement supprimée par le décret n° 2015-774 du 29 juin 2015 ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée compte tenu de la disparition de la sanction pour non présentation d'un éthylotest, qui a rendu sa possession inutile bien qu'obligatoire ; elle a subi un préjudice anormal et spécial lié à une baisse importante de ses commandes de la part des distributeurs ;

- elle a subi un préjudice qui s'élève à 789 525, 72 euros au titre des stocks des éthylotests chimiques et électroniques au marquage NF invendus et un préjudice de 5 millions d'euros, à parfaire, du fait de la suppression de la sanction prévue pour les automobilistes en cas de défaut de possession d'un éthylotest.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens de la société requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 27 novembre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 décembre 2017 à 12 heures.

Deux mémoires ont été déposés pour la société Pelimex les 12 et 13 décembre 2017, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2001-784 du 28 août 2001 portant création du Conseil national de la sécurité routière et modifiant le décret n° 75-360 du 15 mai 1975 relatif au comité interministériel de la sécurité routière ;

- le décret n° 2012-284 du 28 février 2012 relatif à la possession obligatoire d'un éthylotest par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur ;

- le décret n° 2012-1197 du 29 octobre 2012 relatif à la possession obligatoire d'un éthylotest par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur ;

- le décret n° 2013-180 du 28 février 2013 modifiant l'article R. 233-1 du code de la route ;

- le code de la route ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pagès,

- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.

1. Considérant que le décret susvisé du 28 février 2012 a fixé au 1er juillet 2012 l'entrée en vigueur de l'obligation, instaurée par l'article L. 234-14 du code de la route, pour tout conducteur de véhicule automobile, de justifier de la possession d'un éthylotest, et a assorti cette obligation d'une amende de 11 euros en cas de contravention ; que la date d'entrée en vigueur de cette sanction, initialement prévue par ce décret au 1er novembre 2012, a été ensuite reportée par le décret susvisé du 29 octobre 2012 au 1er mars 2013 ; qu'enfin, par le décret visé ci-dessus du 28 février 2013, modifiant l'article R. 233-1 du code de la route, cette sanction a été supprimée ; que la société Pelimex a alors demandé au ministre de l'intérieur l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette suppression ; qu'une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur sa réclamation ; que la société Pelimex relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette suppression ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que le tribunal administratif a, après avoir analysé les conclusions et les mémoires des parties, expressément répondu aux moyens que la société Pelimex avait invoqués en première instance ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, il s'est prononcé sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat ; qu' il n'était pas tenu de se prononcer sur le préjudice subi du fait de la constitution de stocks des éthylotests chimiques et électroniques au marquage " NF " invendus dés lors qu'il avait estimé que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée ; que le jugement attaqué n'est dès lors pas entaché d'irrégularité ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

En ce qui concerne la légalité du décret du 28 février 2013 :

3. Considérant, en premier lieu, que le décret du 28 février 2013 ne constitue pas une décision individuelle, mais a le caractère d'un acte réglementaire ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ce décret ne serait pas motivé est inopérant ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que la circulaire du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales, adressée par le Premier ministre aux ministres, se borne à fixer des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental ; que la société Pelimex ne peut donc utilement invoquer sa méconnaissance ; il en est de même de la circulaire du 23 mai 2011 relative aux dates communes d'entrée en vigueur des normes concernant les entreprises, qui fixe également des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental, et qui n'a pas pour objet d'organiser une procédure d'étude d'impact préalablement à l'édiction de normes relatives aux entreprises ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 28 août 2001 portant création du Conseil national de la sécurité routière et modifiant le décret n° 75-360 du 15 mai 1975 relatif au comité interministériel de la sécurité routière : " Il est créé un Conseil national de la sécurité routière. / Le Conseil national de la sécurité routière est associé à l'élaboration et à l'évaluation de la politique des pouvoirs publics en matière de sécurité routière " ; qu'il ne résulte pas de ces dispositions que le ministre de l'intérieur serait tenu d'obtenir un avis conforme du Conseil national de la sécurité routière préalablement à l'édiction de normes réglementaires en matière de sécurité routière ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu'il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu'il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ; que la société Pelimex soutient que le ministre de l'intérieur a méconnu le principe de sécurité juridique dès lors qu'après avoir assorti l'obligation pour chaque conducteur d'un véhicule terrestre à moteur d'être en possession d'un éthylotest, d'une amende à l'encontre des contrevenants à partir du 1er novembre 2012, il a, par le décret du 28 février 2013, supprimé la sanction du défaut de possession d'un éthylotest ; qu'à supposer même que le décret en cause ait fait naître une situation juridique dont puisse se prévaloir la société requérante, la date d'entrée en vigueur de la sanction prononcée en cas de défaut de présentation d'un éthylotest avait, tout d'abord été reportée au 1er mars 2013, avant qu'elle ne soit supprimée de sorte que les dispositions instaurant la sanction ne sont jamais entrées en vigueur ; qu'il s'ensuit que la société Pelimex n'est pas fondée à soutenir que le ministre de l'intérieur a méconnu le principe de sécurité juridique ;

7. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du code civil : " Les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures. / En cas d'urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l'ordonne par une disposition spéciale (...) " ; que le décret susvisé du 28 février 2012 prévoyait, à son article 3, que le défaut de possession d'un éthylotest serait sanctionné à partir du 1er novembre 2012 ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus cette échéance a été repoussée au 1er mars 2013 par le décret du 29 octobre 2012 ; que, pour éviter que cette sanction puisse s'appliquer temporairement, le décret du 28 février 2013, qui supprime cette sanction, pouvait légalement prévoir, à son article 2, son entrée en vigueur immédiate ;

8. Considérant que la société Pelimex n'ayant pas démontré l'illégalité du décret du 28 février 2013 la responsabilité de l'Etat n'est pas susceptible d'être engagée sur ce fondement ;

En ce qui concerne l'obligation de détenir un éthylotest conforme à la norme NF abrogée par le décret n° 2015-774 du 29 juin 2015 :

9. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'obligation de certification " NF ", des éthylotests imposée à l'article R. 234-7 du code de la route issu du décret n° 2012-284 du 28 février 2012, finalement supprimée par le décret n° 2015-774 du 29 juin 2015, aurait eu pour effet de restreindre le marché en France ou à l'étranger ; que, dans ces conditions, la certification incriminée, qui ne révèle aucune faute de l'Etat, est en tout état de cause sans lien de causalité avec les préjudices dont il est demandé réparation ;

En ce qui concerne la constitution de stocks :

10. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des courriels adressés par la direction de la sécurité et de la circulation routières en mars 2012, qui se bornaient à demander à la société Pelimex quelles étaient ses capacités de production et le volume prévu de ses commandes pour le 1er juillet 2012, que l'administration aurait incité la requérante à constituer des " stocks excédentaires " ;

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

11 Considérant qu'il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que les mesures légalement prises, dans l'intérêt général, par les autorités de police peuvent ouvrir droit à réparation au profit des personnes qui, du fait de leur application, subissent un préjudice anormal, grave et spécial ;

12. Considérant que la société Pelimex a augmenté son stock d'éthylotests en anticipant l'accroissement des ventes qui résulterait de la nouvelle réglementation instaurant une sanction en cas de défaut de possession d'un éthylotest alors que la date d'entrée en vigueur de la sanction avait déjà été reportée au 1er mars 2013 avant sa suppression, compte tenu de difficultés d'approvisionnement, de fiabilité insuffisante et du prix élevé de ces appareils ; qu'ainsi, la société Pelimex ne pouvait ignorer le risque d'une nouvelle intervention de l'Etat ; qu'en outre, si la suppression, avant même son entrée en vigueur effective, de l'amende prévue en cas de contravention à l'obligation pour tout conducteur de véhicule automobile de justifier de la possession d'un éthylotest a eu pour effet de diminuer la demande pour ces produits, elle n'a toutefois pas eu pour conséquence d'interdire ou d'en empêcher la vente en France, où l'obligation de possession instaurée par l'article L. 234-14 du code de la route n'a pas été abrogée, ni sur d'autres marchés ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que les difficultés rencontrées par la société requérante pour vendre les éthylotests qu'elle a fabriqués, outre qu'elles résultent également des quantités très importantes mises en production, malgré un premier report de la date d'entrée en vigueur de l'amende en cause et malgré les difficultés de sa mise en application soulignées lors des débats publics, ne sont pas spécifiques à cette société mais touchent l'ensemble des fabricants, ainsi que les distributeurs de ces produits ; que, dans ces conditions, la suppression de cette amende par le décret du 28 février 2013 n'a pas causé à la requérante un préjudice à caractère anormal et spécial excédant ceux qui peuvent résulter des aléas auxquels toute activité commerciale est, par nature, soumise ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de recourir à l'expertise sollicitée par la société Pelimex, que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Pelimex est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pelimex et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre

- M. Niollet, président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 avril 2018.

Le rapporteur,

D. PAGESLe président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[h1]Conclusions dans son mémoire ampliatif. Le montant de 48 000 euros apparaît dans son mémoire de décembre 2017, cf plus bas dans les visas.

2

N° 16PA02900


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA02900
Date de la décision : 10/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60 Responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : L. MOREL-RAGER

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-04-10;16pa02900 ?
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