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08/02/2018 | FRANCE | N°17PA00472

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 08 février 2018, 17PA00472


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D...a demandé au tribunal administratif de Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania.

Par un jugement n° 1500181 du 6 décembre 2016, le tribunal administratif de Polynésie française a condamné l'Etat à verser à M. D... une indemnité d'un montant de 470 000 F CFP, mis à la charge de l'Etat la somme de 150 000 F CFP à verser

à Me C... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le sur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D...a demandé au tribunal administratif de Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania.

Par un jugement n° 1500181 du 6 décembre 2016, le tribunal administratif de Polynésie française a condamné l'Etat à verser à M. D... une indemnité d'un montant de 470 000 F CFP, mis à la charge de l'Etat la somme de 150 000 F CFP à verser à Me C... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 février 2017, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1500181 du 6 décembre 2016 du tribunal administratif de Polynésie française en ce qu'il ne l'a indemnisé qu'à hauteur de 470 000 F CFP ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention ;

3°) de condamner l'Etat à verser à la SELARL Avelia avocats la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis des erreurs de droit et d'appréciation ;

- la prescription quadriennale ne peut être opposée à la partie de sa créance portant sur la période d'incarcération du 22 janvier 2004 au 9 juillet 2005, car le point de départ du délai de prescription ne peut être fixé qu'à la fin de la période d'incarcération et la réclamation du 28 janvier 2008, ainsi que les recours juridictionnels du 22 décembre 2010 et du 28 mars 2011, en ont interrompu le cours ;

- le préjudice moral résultant des conditions de détention au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania, qui constituent un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a été sous-évalué.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 novembre 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 20 mars 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nguyên Duy,

- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.

1. Considérant que M. A... D..., incarcéré au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania du 12 janvier 2004 au 4 juillet 2005 puis du 18 mai 2007 au 12 décembre 2009, a demandé à l'État de réparer le préjudice causé par ses conditions de détention dans cet établissement ; que M. D... relève appel du jugement du 6 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française n'a accueilli sa demande d'indemnisation qu'à hauteur de 470 000 F CFP ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que dans l'hypothèse où les premiers juges auraient commis, comme le soutient le requérant, des erreurs de droit ou d'appréciation dans des conditions susceptibles d'affecter la validité de la motivation du jugement dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel, ces erreurs resteraient, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement ;

Sur la prescription quadriennale :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites au profit de l'Etat, des départements et des communes, sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence ou au paiement de la créance alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) " ; qu'aux termes de son article 3 : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement " ;

4. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968 que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la réalité et l'étendue des préjudices ont été entièrement révélées et où la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage, ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration, et d'en demander réparation ;

5. Considérant que, dès lors que le détenu n'est pas dépourvu de voie de droit pour agir contre l'administration au cours de sa détention, la créance résultant du préjudice évolutif subi par M. D...du fait de ses conditions d'incarcération doit être rattachée non pas, dans son ensemble, à la seule année au cours de laquelle le détenu a été libéré, date à laquelle la situation dommageable a pris fin, mais à chacune des années durant lesquelles ce préjudice a été subi ;

6. Considérant que, pour soutenir que sa créance vis-à-vis de l'Etat correspondant à une période de détention du 12 janvier 2004 au 4 juillet 2005 selon lui, ou du 22 janvier 2004 au 9 juillet 2005 selon l'administration, ne serait pas atteinte par la prescription quadriennale, le requérant se prévaut d'une lettre datée du 26 janvier 2008 par laquelle le secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer a accusé réception de son courrier l'informant sur la situation des détenus dans le centre pénitentiaire de Nuutania ; que, toutefois, en l'absence de production par le requérant du courrier par lequel il a saisi l'administration, il ne justifie pas avoir présenté à l'Etat une demande susceptible d'interrompre le cours de la prescription au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 ; que le requérant ne peut par ailleurs utilement se prévaloir du fait qu'il a saisi le tribunal administratif, les 22 décembre 2010 et 28 mars 2011, d'une demande d'indemnisation puis d'une demande de référé expertise et provision, toutes deux rejetées comme irrecevables, dès lors que ces saisines sont postérieures à la prescription de la créance relative à la période du 22 janvier 2004 au 9 juillet 2005, qui était acquise au 31 décembre 2009 ;

7. Considérant que M. D...est en revanche fondé à soutenir que la prescription de la créance relative à sa seconde incarcération du 18 mai 2007 au 11 décembre 2009 a été interrompue par les recours précités rejetés par ordonnances des 10 mars 2011 et 31 mai 2011 ; qu'il s'ensuit que, pour cette période, la prescription n'était pas acquise lorsque les services du ministère de la justice ont réceptionné, le 23 juillet 2014, sa demande préalable d'indemnisation ;

Sur les conclusions indemnitaires :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits (...) " ; qu'aux termes de l'article D. 189 du code de procédure pénale : " À l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques " ;

9. Considérant qu'en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires ainsi que la prévention de la récidive ; que les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage ; que seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ; qu'une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, du 18 mai 2007 au 11 décembre 2009, M. D...a été incarcéré, avec deux ou trois codétenus, dans des cellules du centre pénitentiaire de Nuutania, dans des conditions de promiscuité et d'insalubrité qui ne sont aucunement contestées par l'administration, laquelle se borne à soutenir, en appel, que le requérant a été en mesure de suivre des cours et de bénéficier de cinq heures de promenade par jour ; que, dans ces circonstances, les conditions de détention de M. D...pendant cette période doivent être regardées comme caractérisant une atteinte à la dignité humaine, engageant la responsabilité de l'Etat pour faute ;

11. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif de Polynésie française aurait fait une insuffisante appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 470 000 francs CFP l'indemnisation du préjudice moral subi par M.D... ; qu'il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à demander un relèvement de cette évaluation, ni par suite à demander la réformation du jugement attaqué ;

Sur l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

12. Considérant que les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le conseil de M. D... demande au titre des frais que celui-ci aurait exposés s'il n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle totale ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...D...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.

Lu en audience publique le 8 février 2018.

Le rapporteur,

P. NGUYEN DUY La présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

M. B...La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA00472


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00472
Date de la décision : 08/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-091 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Pearl NGUYÊN-DUY
Rapporteur public ?: M. ROMNICIANU
Avocat(s) : SELARL AVELIA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-02-08;17pa00472 ?
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