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07/07/2017 | FRANCE | N°16PA03081;16PA03102

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 07 juillet 2017, 16PA03081 et 16PA03102


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 1er février 2016 par lequel le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d'office, d'enjoindre au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique de procéder au retrait de son dossier de l'ensemble des pièces ayant abouti à la sanction litigieuse, d'enjoindre au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique de le réintégrer dans s

es fonctions dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 1er février 2016 par lequel le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d'office, d'enjoindre au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique de procéder au retrait de son dossier de l'ensemble des pièces ayant abouti à la sanction litigieuse, d'enjoindre au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique de le réintégrer dans ses fonctions dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Orange une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1602364/2 du 11 août 2016, le Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique du 1er février 2016, enjoint au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique de procéder à la réintégration juridique de M. B... à compter du 1er février 2016 dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédures devant la Cour :

I°) Par recours enregistré le 18 octobre 2016 sous le n° 16PA03081, le ministre de l'économie et des finances, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1602364/2 du 11 août 2016 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la requête de première instance de M. B....

Il soutient que :

- sur la régularité du jugement, le Tribunal administratif de Melun était incompétent pour connaître de ce litige sauf à méconnaître les dispositions de l'article R. 312-12 du code de justice administrative aux termes desquelles les litiges intéressant les fonctionnaires de l'Etat relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu d'affectation du fonctionnaire que la décision attaquée concerne ;

- sur le bien-fondé, l'utilisation abusive de son téléphone professionnel par M. B... a été commise dans un contexte aggravant de fautes professionnelles.

Par un mémoire en défense, commun avec l'instance 16PA03102, enregistré le 20 janvier 2017, M. B..., représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Orange sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'économie et des finances ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 23 mai 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juin 2017 à 12 heures.

II°) Par requête enregistrée le 20 octobre 2016 sous le n° 16PA03102 la société Orange, représentée par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1602364/2 du 11 août 2016 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la requête de première instance de M. B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que, sur le bien-fondé, l'utilisation abusive de son téléphone professionnel par M. B... a été commise dans un contexte aggravant de fautes professionnelles.

Par un mémoire en défense, commun avec l'instance 16PA03081, enregistré le 20 janvier 2017, M. B..., représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Orange sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Orange ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 23 mai 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juin 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la Poste et à France Télécom ;

- le décret n° 2004-980 du 17 septembre 2004 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de France Télécom ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Legeai,

- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant la société Orange, et de MeC..., représentant M. B....

1. Considérant que M. B..., fonctionnaire de l'Etat rattaché à France Télécom en application de l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, a été exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de douze mois par une décision du 10 mars 2014 du président-directeur général de la société Orange ; que, par une décision du 8 avril 2015 de la même autorité, il a été suspendu de ses fonctions à compter du 28 avril 2015 ; qu'il a fait l'objet, par arrêté du 1er février 2016 du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, d'une sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office ; que le Tribunal administratif de Melun par un jugement n° 1602364/2 du 11 août 2016 accueillant la demande de M. B... a annulé cette sanction ; que, par recours n° 16PA03081, le ministre de l'économie et des finances relève régulièrement appel de ce jugement ; que, par la requête n° 16PA03102, la société Orange relève régulièrement appel de ce même jugement ;

Sur la jonction :

2. Considérant que le recours enregistré sous le n° 16PA03081 et la requête enregistrée sous le n° 16PA3102 présentent à juger les mêmes questions, sont dirigés contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant que le ministre de l'économie et des finances soutient que le jugement n° 1602364/2 du 11 août 2016 du Tribunal administratif de Melun est irrégulier dès lors que ce tribunal était territorialement incompétent pour connaître de ce litige, en vertu de l'article R. 312-12 du code de justice administrative aux termes duquel les litiges intéressant les fonctionnaires de l'Etat relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu d'affectation du fonctionnaire que la décision attaquée concerne, et alors qu'en dernier lieu, M. B... était affecté à Paris ; que, toutefois, aux termes des dispositions de l'article R. 342-1 du code de justice administrative : " Le tribunal administratif saisi d'une demande relevant de sa compétence territoriale est également compétent pour connaître d'une demande connexe à la précédente et relevant normalement de la compétence territoriale d'un autre tribunal administratif. ", et que c'est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice que le Tribunal administratif de Melun, saisi par ailleurs de plusieurs instances relatives à la situation de M. B..., a par dérogation aux règles normales de compétence admis sa compétence dans l'instance n° 1602364 qui a donné lieu au jugement du 11 août 2016, et alors que, le Tribunal administratif de Paris par une ordonnance n° 1603611 du 11 mars 2016, insusceptible de recours, enregistrée le 15 mars 2016, avait transmis au Tribunal administratif de Melun, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 9 mars 2016, présentée par M. B... ; que, par suite, le moyen du ministre de l'économie et des finances tiré de l'irrégularité dont serait entaché le jugement attaqué pour incompétence territoriale du tribunal, en tout état de cause invoqué pour la première fois en appel, ne peut qu'être écarté ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation. (...) " ; que, pour prononcer la mise à la retraite d'office de M. B..., le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique a retenu que celui-ci avait fait une utilisation exclusivement personnelle et totalement excessive de son téléphone portable professionnel lors d'un voyage privé à l'étranger, alors qu'il était exclu de ses fonctions pour une durée d'un an en raison de manquements à son obligation de probité, ce qui constitue une circonstance aggravante ; qu'il ressort en effet des pièces du dossier que M. B... a fait l'objet d'une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an à compter du 28 avril 2014, en raison de plusieurs manquements dans la validation des notes de frais dont il avait la charge dans le cadre de ses fonctions ; que le ministre de l'économie et des finances et la société Orange soutiennent que le jugement n° 1602364 du 11 août 2016 du Tribunal administratif de Melun pour annuler l'arrêté du 1er février 2016 par lequel le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique a prononcé à l'encontre de M. B... la sanction de mise à la retraite d'office, n'a pas tenu compte du fait, d'une part, que les sommes abusivement détournées par l'intéressé, à l'occasion de consommations téléphoniques, mêmes relativement peu élevées, revêtent en elles-mêmes un caractère exorbitant, et, d'autre part, que l'utilisation abusive de son téléphone professionnel par M. B... a été commise dans un contexte aggravant de fautes professionnelles ayant donné lieu à des antécédents disciplinaires ;

5. Considérant, d'une part, que, si les règles internes du groupe tolèrent un usage des téléphones et abonnements professionnels à des fins personnelles, c'est à condition qu'il soit raisonnable ; que l'intéressé reconnaît avoir usé de son téléphone professionnel notamment pour communiquer avec ses proches alors qu'il se trouvait en Asie pour un voyage d'agrément ; qu'il en a résulté des factures de téléphone d'un montant total de 5 289,20 euros ; qu'averti par onze mini messages adressés sur son téléphone portable par son opérateur de sa consommation de données mobiles depuis la zone Asie-Moyen-Orient, M. B... ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'il pensait utiliser une application lui permettant de communiquer gratuitement vers le monde par le réseau internet sans fil ; que les circonstances, à les supposer établies, que la société Orange ne justifierait pas avoir effectivement payé le montant des facturations qui lui sont imputées alors qu'elle est elle-même opérateur de téléphonie, et que le montant de facturation du mégaoctet dans la zone Asie serait abusif et contraire aux préconisations des instances européennes, sont sans incidence sur le caractère fautif du comportement de l'intéressé, alors qu'il lui appartenait, à réception des mini messages envoyés sur son téléphone mobile lui indiquant que son téléphone professionnel consommait des données mobiles, de déconnecter celui-ci et de privilégier l'usage de son téléphone personnel ; que contrairement à ce que soutient M. B..., les faits relevés à son encontre, tenant à un usage abusif du téléphone professionnel qui lui avait été laissé à disposition à titre gracieux, constituent une faute susceptible de justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire ;

6. Mais considérant, d'autre part, qu'eu égard à l'importance relative des sommes ainsi prises abusivement en charge par la société Orange comme à l'ancienneté de M. B..., la sanction de mise à la retraite d'office de M. B... apparaît disproportionnée par rapport à la gravité des faits reprochés, d'autant que la société Orange avait, dans un premier temps, laissé l'usage de son téléphone et de son abonnement professionnels à M. B... pour lui permettre de poursuivre son activité syndicale, bien qu'il fût exclu de ses fonctions, et que, se trouvant en Asie entre le 2 octobre 2014 et le 17 décembre 2014, M. B... n'a pu recevoir le courrier de la société Orange en date du 31 octobre 2014 l'informant qu'il n'était plus possible qu'il continuât à bénéficier de son abonnement téléphonique professionnel ainsi que de la suspension prochaine de sa ligne, et lui demandant de restituer les terminaux mobiles associés à celle-ci, sans, toutefois, que la société ait interrompu à distance le service de cette ligne ; que, d'ailleurs, le conseil supérieur de la fonction publique d'Etat a formulé à l'issue de sa séance du 30 juin 2016 un avis recommandant la substitution à la mise à la retraite d'office d'une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de quinze jours aux motifs notamment que l'employeur avait laissé à M. B... l'usage de son téléphone professionnel et que les faits ne traduisaient pas, en l'espèce, un manquement à la probité ; qu'il suit de là que la sanction de la mise à la retraite d'office est disproportionnée, alors même que le ministre de l'économie et des finances ainsi que la société Orange insistent sur le fait que les sommes abusivement détournées par l'intéressé, à l'occasion de consommations téléphoniques, même relativement peu élevées, revêtent en

elles-mêmes un caractère exorbitant et que l'utilisation abusive de son téléphone professionnel par M. B... a été commise dans un contexte aggravant de fautes professionnelles ayant donné lieu à des antécédents disciplinaires, d'ailleurs non établis par les pièces du dossier ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que ni le ministre de l'économie, ni la société Orange ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté ministériel du 1er février 2016 prononçant à titre de sanction disciplinaire la mise à la retraite d'office de M. B... ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de mettre à la charge de la société Orange une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre de l'économie et des finances n° 16PA03081 et la requête n° 16PA03102 de la société Orange sont rejetés.

Article 2 : Une somme de 2 000 euros est mise à la charge de la société Orange à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances, à la société Orange et à M. E... B....

Délibéré après l'audience du 20 juin 2017 à laquelle siégeaient :

M. Auvray, président de la formation de jugement,

Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,

M. Legeai, premier conseiller,

Lu en audience publique le 7 juillet 2017.

Le rapporteur,

A. LEGEAI

Le président,

B. AUVRAY

Le greffier,

C. RENE-MINE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 16PA03081, 16PA03102


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA03081;16PA03102
Date de la décision : 07/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-10-03 Fonctionnaires et agents publics. Cessation de fonctions. Mise à la retraite d'office.


Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: M. Alain LEGEAI
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : SCP ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-07-07;16pa03081 ?
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