Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D...C..., agissant en son nom et en qualité de curateur au nom de son frère M. K... C..., et Mme I...J...épouse F...ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du Premier ministre du 24 juillet 2002 en tant qu'elles se bornent à leur allouer, ainsi qu'à leur mère décédée depuis lors, au titre de l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'occupation, la somme totale de 95 649 euros.
Par un jugement n° 1306210/6-1 du 2 février 2015, le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du Premier ministre du 24 juillet 2002 en tant qu'elles limitent l'indemnisation de M. D...C..., de Mme I...J...épouseF..., de M. K... C...et de Mme M...O..., épouse C...à la somme globale de 95 649 euros.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 15PA01401 les 1er avril 2015 et 23 février 2017, M. D...C..., agissant en son nom et en qualité de curateur au nom de son frère M. K...C..., et Mme I...J...épouseF..., représentés par Me B..., demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris du 2 février 2015 ;
2°) à titre principal, de condamner l'Etat à leur verser la somme de 507 622,25 euros correspondant au montant intégral du préjudice subi par eux ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au premier ministre, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une nouvelle décision en ce sens dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt afin qu'il soit procédé au règlement de ladite indemnisation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- tout en annulant dans son dispositif les décisions contestées, le tribunal s'est abstenu de chiffrer le montant exact que la famille C...est en droit de percevoir au titre de ce complément d'indemnisation ;
- la Cour devra leur verser la somme de 24 487,08 euros au titre du complément de la spoliation de la perte du matériel et des stocks de marchandises, cette somme correspondant à la différence entre la somme déterminée par la commission et celle retenue par le Premier ministre dans sa décision du 24 juillet 2012 ;
- la somme de 196 118,55 euros devra leur être versée au titre de la perte de trésorerie qui n'a jusqu'alors pas du tout été indemnisée ;
- dès lors qu'il est incontestable que l'entreprise de M. J...a été victime d'une perte d'importants segments de clientèle du fait des agissements de l'administrateur provisoire mais également de ceux du repreneur, le préjudice lié à la perte du fonds de commerce doit être indemnisé à hauteur de 291 220,70 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2017, le Premier ministre conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'il n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste en refusant de faire droit à la demande d'indemnisation du fonds de commerce.
II. Par un recours, enregistré sous le n° 15PA01479 le 10 avril 2015, le Premier ministre demande à la Cour d'annuler le jugement du 2 février 2015 du Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que les décisions attaquées étaient entachées d'erreur manifeste d'appréciation tant, d'une part, en ce qui concerne l'évaluation de la perte du matériel et des stocks de marchandises, que, d'autre part, l'absence d'indemnisation de la perte de trésorerie de l'entreprise ;
- la seule circonstance selon laquelle la recommandation de la commission s'écarte des propositions du rapporteur ne saurait faire présumer une erreur manifeste.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2015, M. D...C..., agissant en son nom et en qualité de curateur au nom de son frère M. K...C..., et Mme I...J...épouse F...concluent au rejet de la requête, et à titre incident, à ce que la somme de 95 649 euros à laquelle l'Etat a été condamnée à leur verser soit portée à celle de 507 622,25 euros ou, à défaut, d'enjoindre au Premier ministre, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une nouvelle décision en ce sens dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt afin qu'il soit procédé au règlement de ladite indemnisation et, en tout état de cause, à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- la Cour devra leur verser la somme de 20 283 euros au titre du complément de la spoliation de la perte du matériel et des stocks de marchandises, cette somme correspondant à la différence entre la somme déterminée par la commission et celle retenue par le Premier ministre dans sa décision du 24 juillet 2012 ;
- la somme de 196 118,55 euros devra leur être versée au titre de la perte de trésorerie qui n'a jusqu'alors pas du tout été indemnisée ;
- dès lors qu'il est incontestable que l'entreprise de M. J...a été victime d'une perte d'importants segments de clientèle du fait des agissements de l'administrateur provisoire mais également de ceux du repreneur, le préjudice lié à la perte du fonds de commerce doit être indemnisé à hauteur de 291 220,70 euros.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pena, rapporteur,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de MeH..., représentant les consortsC....
1. Considérant que M. et Mme E...C...résidaient avec deux de leurs enfants, avant leur arrestation, dans un appartement sis 2 square Jules Chéret à Paris ; que M. et Mme L...J..., parents de M. E...C...résidaient, avec Mme A...J..., soeur de M. L...J..., dans un appartement sis 109 rue de Turenne à Paris ; que M. E...C...et Mme A...J..., propriétaires de l'entreprise familiale de fabrication de plumes et de stylos, ont été contraints en 1941 de céder leurs parts de l'entreprise, qui a été placée sous administration provisoire ; que M. et Mme L...J...ainsi que Mme A...J...ont été arrêtés, internés puis déportés à Auschwitz, d'où ils ne sont pas revenus ; que la famille de M. E... C...a fui les persécutions et qu'à la libération les pillages des deux appartements ont été constatés ; que M. D...C..., agissant en son nom personnel, au nom de sa mère Mme M...O...et de sa soeur Mme I...J..., épouse F...et en qualité de curateur de son frère Jean-PierreC..., tous en leur qualité d'ayant droit de leur époux, de leurs grands-parents, de leur grand-tante et de leur père a saisi, le 3 février 2000, la commission d'indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) pour obtenir réparation du préjudice causé par la spoliation des biens mobiliers et immobiliers ayant appartenu à leurs époux, grands-parents, grand-tante et parents ; que la CIVS a proposé, par recommandation du 18 janvier 2002, d'allouer aux requérants la somme totale de 95 649 euros au titre de l'ensemble des préjudices résultant de la spoliation, soit 28 082 euros pour Mme M...C..., veuve de M. E...C..., et 67 567 euros à répartir par tiers entre MM. D...et K...C...et N...I...J..., épouseF... ; que, par décisions du 24 juillet 2002, le Premier ministre a alloué ces sommes aux intéressés ; qu'à la suite d'une nouvelle saisine, la CIVS a estimé qu'il n'y avait pas lieu de modifier la recommandation du 18 janvier 2002 ; que, saisie à nouveau aux fins de nouvel examen, la CIVS a, par une recommandation du 2 avril 2004, estimé qu'il n'y avait pas lieu à nouvelle recommandation sur la requête présentée par M. D...C... ; que, par jugement du 2 février 2015, le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du Premier ministre du 24 juillet 2002 en tant qu'elles limitent l'indemnisation de M. D...C..., de Mme I...J...épouseF..., de M. K...C...et de Mme M...O..., épouse C...à la somme globale de 95 649 euros ; que, par une requête, enregistrée sous le n° 15PA01401, M. D... C..., agissant en son nom et en qualité de curateur au nom de son frère M. K...C..., et Mme I...J...épouseF..., demandent à la Cour que la somme à laquelle l'Etat a été condamné à leur verser soit portée à celle de 507 622,25 euros ; que, par un recours enregistré sous le n° 15PA01479, le Premier ministre demande à la Cour d'annuler ledit jugement ; que, par la voie de l'appel incident, M. D...C..., Mme I...J...épouseF..., M. K...C...et Mme M...O..., épouse C...concluent à l'annulation du jugement contesté en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes ;
2. Considérant que les requêtes susvisées, présentées par le Premier ministre et les ConsortsC..., présentent à juger de mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation : " Il est institué auprès du Premier ministre une commission chargée d'examiner les demandes individuelles présentées par les victimes ou par leurs ayants droit pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des législations antisémites prises, pendant l'Occupation, tant par l'occupant que par les autorités de Vichy. / La commission est chargée de rechercher et de proposer les mesures de réparation, de restitution ou d'indemnisation appropriées " ; qu'aux termes de l'article 2 de ce décret : " La commission s'efforce de parvenir à une conciliation entre les personnes intéressées. / En cas d'échec de la conciliation, elle peut émettre toutes recommandations qui lui paraîtraient utiles " ; et qu'aux termes de son article 8-2 : " Lorsque la commission propose que l'Etat prenne à sa charge une mesure d'indemnisation, elle transmet sa recommandation au Premier ministre (secrétariat général du Gouvernement). / Les décisions d'indemnisation prises par le Premier ministre (secrétariat général du Gouvernement) sur la base des recommandations de la commission sont notifiées aux intéressés et à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre qui est chargé de les exécuter (...) " ;
4. Considérant que le dispositif institué par les dispositions précitées du décret du 10 septembre 1999, aboutit, au terme d'une procédure de conciliation, à ce que la commission recommande, le cas échéant, au Premier ministre de prendre une mesure de réparation, de restitution ou d'indemnisation ; que les décisions prises par le Premier ministre doivent notamment permettre la restitution à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit des biens dont ils ont été spoliés ; que, dans le cas où cette restitution est impossible, les propriétaires ou leurs ayants droit sont indemnisés selon les règles particulières issues du décret du 10 septembre 1999 ;
Sur la réparation du préjudice lié à la perte du matériel et des stocks de marchandises :
5. Considérant que, pour juger que les décisions par lesquelles le Premier ministre a limité l'indemnisation de M. D...C..., de Mme I...J...épouseF..., de M. K...C...et de Mme M...O..., épouse C...liée à la perte du matériel et des stocks de marchandises de l'entreprise familiale à 54 119 euros étaient entachées d'erreur manifeste d'appréciation, les premiers juges ont relevé, d'une part, que la valeur de ces éléments avait été évaluée par le rapporteur devant la CIVS à partir des rapports et comptes établis par l'administrateur provisoire de l'entreprise, à la somme de 488 045 francs de 2001, soit 74 402 euros, d'autre part, que le Premier ministre ne fournissait devant eux aucun élément de nature à justifier cette différence d'évaluation ; que si devant la Cour le Premier ministre soutient que la différence entre la proposition du rapporteur et le montant finalement retenu par la CIVS s'explique par le fait que le rapporteur a procédé au calcul de l'indemnisation en prenant comme hypothèse la disparition de l'intégralité du stock et des marchandises tandis que la commission, au vu des circonstances dans lesquelles son propriétaire avait été privé de l'entreprise puis l'avait récupérée à la Libération, sans que l'activité ait cessée, avait estimé que M. E...C...s'était trouvé dans l'obligation de reconstituer une partie seulement du matériel et du stock après-guerre, il n'apporte pas davantage d'éléments de nature à corroborer ses dires en appel ; que, de leur côté, si les consorts C...ne contestent pas la reprise de l'entreprise dès la fin de la guerre, ils font néanmoins valoir qu'ils n'avaient alors plus d'outils de production ou, en tout cas, plus d'outils adaptés au nouveau marché ; que, dans ces conditions, et quand bien même la CIVS ne se trouve en rien liée par les propositions du rapporteur, il y a lieu d'écarter la demande du Premier ministre sur ce point ;
Sur la réparation du préjudice relatif à la perte de trésorerie :
6. Considérant que le Premier ministre persiste à soutenir que la trésorerie de l'entreprise, constituée de la caisse, des comptes de clients et des comptes bancaires, a été récupérée par M. E...C...lors de la restitution de l'entreprise en 1945 et, qu'en tout état de cause, la somme de 54 119 euros accordée par les décisions attaquées inclut ce chef de préjudice ; qu'il n'apporte toutefois pas davantage en appel qu'en première instance d'éléments de preuve permettant d'établir cette affirmation ; que c'est par suite à bon droit que les premiers juges ont estimé que le Premier ministre avait commis une erreur manifeste d'appréciation en évaluant la perte du matériel et des stocks de marchandises à 54 119 euros et non à 74 402 euros et en n'indemnisant pas la perte de la trésorerie de l'entreprise, d'un montant de 694 393 francs de 1942 et évaluée par le rapporteur devant la CIVS à 194 033,86 francs en 2001 ;
Sur la réparation du préjudice lié à la perte du fonds de commerce :
7. Considérant que si, s'agissant d'une entreprise, l'indemnisation doit permettre de réparer sa perte définitive, en prenant en compte l'ensemble des éléments corporels et incorporels, le manque à gagner lié à l'impossibilité de l'exploiter ne saurait être assimilé à une spoliation de biens indemnisable ; que les éléments corporels du fonds de commerce doivent en l'espèce être indemnisés dans les conditions énoncées au point 5 ; que, s'agissant des éléments incorporels, il est constant que M. E...C...a repris à la libération l'exploitation de l'entreprise qui a conservé son enseigne, une grande partie de sa clientèle et est restée dans les mêmes locaux ; qu'à supposer que les requérants sollicitent également à ce titre l'indemnisation de la perte de revenus correspondant à la période durant laquelle l'entreprise a cessé son activité entre l'internement de M. L...J...et la restitution en 1944, celle-ci ne saurait en tout état de cause, pour la raison sus énoncée, donner lieu à indemnisation ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, tant la requête d'appel du Premier ministre que celle des consortsC..., de même que les conclusions que ces derniers ont présentées par la voie de l'appel incident, doivent être rejetées ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Considérant que le présent arrêt implique que l'administration prenne, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de nouvelles décisions correspondant à l'indemnisation due au consortsC..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les dépens :
10. Considérant que la présente instance ne comporte aucun dépens ; que, dès lors, les conclusions des requérants relatives aux dépens ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des consorts C...présentées au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours présenté par le Premier ministre ainsi que la requête et les conclusions à titre incident présentées par les consorts C...sont rejetés.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre des nouvelles décisions accordant aux consorts C...la somme correspondant à leurs préjudices respectifs, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions des consorts C...présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celles tendant au remboursement des dépens sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...C..., à Mme I...C...épouse F...et au Premier ministre.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- Mme Julliard, premier conseiller,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 24 mars 2017.
Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
M. G...
La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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Nos 15PA01401, 15PA01479