Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 7 septembre 2015 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi
du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ainsi subis et d'enjoindre au ministre de procéder à l'évaluation de ses préjudices.
Dans le cadre de la même instance, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser la somme de 559 917 FCFP, correspondant aux prestations en nature servies pour le traitement des maladies de M.B....
Par un jugement n° 1400689 du 9 février 2016, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé la décision susvisée, condamné l'Etat à verser à M. B...une indemnité provisionnelle de 500 000 FCFP, avant dire droit ordonné une expertise médicale afin de procéder à l'évaluation des préjudices subis par l'intéressé et rejeté les conclusions de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés respectivement les 9 mai, 10 juin et 22 décembre 2016, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, représentée par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement susvisé du Tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre l'Etat ;
2°) de surseoir à statuer jusqu'à l'avis du Conseil d'Etat sollicité par la Cour ;
3°) de faire droit intégralement à ses conclusions de première instance et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 559 917 FCFP, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularités comme insuffisamment motivé et en ce que tous les mémoires échangés n'ont pas été notifiés ;
- en tant que subrogée dans les droits de la victime, elle peut se prévaloir de la présomption de causalité instituée par la loi et rechercher la responsabilité de l'Etat, auteur des dommages subis ;
- le carcinome et le lymphome diagnostiqués chez M. B...ont un lien direct avec les essais nucléaires pratiqués pendant son affectation.
Une mise en demeure a été adressée au ministre de la défense et au CIVEN qui n'ont pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- la délibération de l'assemblée territoriale de la Polynésie française n° 74-22 du
14 février 1974 modifiée instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés ;
- l'avis du Conseil d'Etat n° 400 375 du 17 octobre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dellevedove,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour le cabinet Teissonière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés.
1. Considérant que M.B..., militaire de carrière, a été affecté en Polynésie française au cours de divers séjours entre juin 1966 et juillet 1987 ; qu'il est atteint d'un cancer cutané et d'un lymphome non hodgkinien dont les diagnostics ont été établis respectivement en 2006 et 2013 ; que le ministre de la défense a, par une décision du 1er juin 2011, refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, par un jugement du 22 juin 2012, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé cette décision ; qu'à la suite du réexamen de sa situation, le ministre de la défense a, par une décision du 1er octobre 2014, refusé à nouveau de l'indemniser sur ce même fondement ; que, sollicité à nouveau par M.B..., au titre de ses deux maladies, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a refusé une nouvelle fois de l'indemniser au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue des pathologies dont il est atteint était négligeable ; que, par le jugement attaqué du
9 février 2016, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé la décision précitée, condamné l'Etat à verser à M. B...une indemnité provisionnelle de 500 000 FCFP, avant dire droit ordonné une expertise médicale afin de procéder à l'évaluation des préjudices subis par l'intéressé et rejeté les conclusions de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme correspondant aux frais médicaux exposés pour le traitement de ses maladies ; que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions ;
Sur les conclusions à fin de sursis à statuer :
Considérant que le Conseil d'Etat a rendu l'avis susvisé portant sur les questions soulevées par la Cour à l'occasion de l'examen d'un litige analogue en application de la procédure définie par l'article L. 113-1 du code de justice administrative ; que, dès lors, les conclusions de la caisse requérante tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'issue de cette procédure sont devenues sans objet ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, il résulte de l'instruction, que l'ensemble des mémoires présentés par les parties ont été communiqués, conformément à l'article
R. 611-1 du code de justice administrative ; que, dès lors, la procédure de première instance n'est entachée d'aucune irrégularité sur ce point ;
3. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que, pour juger que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française n'entrait pas dans le champ d'application de la présomption de causalité que la loi du 5 janvier 2010 susvisée institue au bénéfice des victimes directes, les premiers juges, après avoir rappelé les textes applicables et notamment les dispositions de l'article 42 de la délibération de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 14 février 1974 modifiée instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés, qui instaurent un mécanisme de recours subrogatoire pour la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, ont estimé que la loi
du 5 janvier 2010 susvisée avait pour objet d'assurer l'indemnisation des victimes des essais nucléaires au titre de la solidarité nationale, et que la caisse ne pouvait donc exercer le recours subrogatoire prévu par l'article 42 précité à l'encontre de l'État, qui n'a pas la qualité de tiers responsable au sens de ces dispositions ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, les premiers juges ont suffisamment explicité les raisons qui les ont conduits à estimer qu'elle n'entrait pas dans le champ d'application de la présomption de causalité instituée par la loi ; que, dès lors, le jugement est suffisamment motivé sur ce point ;
Sur le fond :
4. Considérant que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, se prévalant de la qualité de subrogée dans les droits de la victime, demande à la Cour de condamner l'Etat à lui rembourser le montant des frais médicaux exposés pour le traitement des maladies de M. B...;
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité
sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel " ; qu'aux termes de l'article 42 de la délibération susvisée de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 14 février 1974 modifiée instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, l'accident ou la blessure dont l'assuré est victime est imputable à un tiers, l'organisme de gestion est subrogé de plein droit à l'intéressé ou à ses ayants droit dans leur action contre le tiers responsable pour le remboursement des dépenses que lui occasionne l'accident ou la blessure. (...) " ;
6. Considérant que les recours des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage corporel, organisés par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale s'agissant des caisses de sécurité sociale et par la délibération du 14 février 1974 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française s'agissant des organismes de sécurité sociale de cette collectivité, s'exercent à l'encontre des auteurs responsables du dommage dont souffre la victime ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 modifiée relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi, que le législateur, prenant acte de ce que la mise en oeuvre des différents régimes de responsabilité n'avait pas permis d'assurer une indemnisation satisfaisante des victimes des essais nucléaires français, a entendu faciliter l'indemnisation des personnes souffrant d'une maladie radio-induite en raison de leur exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français ;
8. Considérant que la loi du 5 janvier 2010 a chargé le CIVEN, qui a le statut d'autorité administrative indépendante depuis la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, d'instruire les demandes d'indemnisation reçues au titre de la loi ; qu'en vertu du V de l'article 4 de cette loi modifiée : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; que le III du même article dispose que : " Les crédits nécessaires à l'accomplissement des missions du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires sont inscrits au budget des services généraux du Premier ministre " ; que l'article 6 de la loi du 5 janvier 2010 précise que : " L'acceptation de l'offre d'indemnisation vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil et désistement de toute action juridictionnelle en cours. Elle rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices " ; que l'étude d'impact du projet de loi indique que : " La création d'un tel dispositif devrait induire une réduction du nombre des contentieux, notamment les recours en responsabilité dirigés contre l'Etat " ;
9. Considérant que l'indemnisation qui incombe sous certaines conditions au CIVEN, en vertu des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, a pour objet d'assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation du dommage subi par les victimes des essais nucléaires français, et non de reconnaître que l'Etat, représenté par le CIVEN, aurait la qualité d'" auteur responsable " ou de " tiers responsable " des dommages ; que, par suite, les recours des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage corporel, organisés par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale s'agissant des caisses de sécurité sociale et par la délibération du 14 février 1974 de l'assemblée territoriale de la Polynésie française s'agissant des organismes de sécurité sociale de cette collectivité, ne peuvent être exercés sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 ;
10. Considérant que ces recours peuvent en revanche être exercés par les organismes de sécurité sociale à l'encontre de l'Etat dans les conditions de droit commun d'engagement de la responsabilité administrative ; que cette responsabilité de l'Etat ne peut être retenue que dans l'hypothèse où cet organisme établit, notamment, l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les préjudices subis par la victime directe et les faits incriminés ; qu'en l'espèce, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française n'établit pas l'existence d'un tel lien entre les maladies dont souffre M. B..., la victime directe, qui peuvent avoir des causes multifactorielles, et les conséquences sanitaires des essais nucléaires pratiqués plusieurs années auparavant en Polynésie française ; que, dès lors, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française n'est, en tout état de cause, pas fondée à demander que l'Etat soit condamné à lui rembourser les frais médicaux exposés pour le traitement des maladies de
M.B... ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, une partie perdante à l'égard de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, le versement d'une somme au titre des frais exposés par cette caisse ;
DECIDE :
Article 1er : La requête susvisée de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, au ministre de la défense et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN).
Délibéré après l'audience du 21 février 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- M. Dellevedove, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 mars 2017.
Le rapporteur,
E. DELLEVEDOVELe président,
B. EVEN
Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA01558