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28/02/2017 | FRANCE | N°16PA01631

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 28 février 2017, 16PA01631


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de Melun, en premier lieu, d'annuler la décision du 16 décembre 2013 du maire de la commune de Noisiel portant rejet de sa demande d'engagement de la responsabilité de son employeur pour harcèlement moral et d'indemnisation du préjudice subi de ce fait, en deuxième lieu, de condamner la commune de Noisiel à lui verser la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral ainsi que la somme de 5 929,92 euros au titre de son préjudice matériel en raison dudi

t harcèlement moral, sommes majorées des intérêts légaux, en dernier lieu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de Melun, en premier lieu, d'annuler la décision du 16 décembre 2013 du maire de la commune de Noisiel portant rejet de sa demande d'engagement de la responsabilité de son employeur pour harcèlement moral et d'indemnisation du préjudice subi de ce fait, en deuxième lieu, de condamner la commune de Noisiel à lui verser la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral ainsi que la somme de 5 929,92 euros au titre de son préjudice matériel en raison dudit harcèlement moral, sommes majorées des intérêts légaux, en dernier lieu, de mettre à la charge de la commune de Noisiel une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1401140/9 du 16 mars 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 mai 2016, M. B..., représenté par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1401140/9 du 16 mars 2016 du Tribunal administratif de Melun et la décision du 16 décembre 2013 du maire de la commune de Noisiel ;

2°) de condamner la commune de Noisiel à lui verser la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral, ainsi que la somme de 5 929,92 euros au titre de son préjudice matériel, en raison du harcèlement moral qu'il aurait subi de la part de son supérieur hiérarchique, sommes majorées des intérêts légaux à compter de sa réclamation préalable pour le premier chef de préjudice et de sa demande devant le tribunal pour le second ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le jugement attaqué est infondé dés lors que :

- il a subi des faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique ;

- ce harcèlement a conduit à l'altération de son état psychologique, à la mise en péril de son avenir professionnel, et a porté atteinte à sa dignité ;

- il demande réparation du préjudice moral ainsi que de la perte financière résultant de cette situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2016, la ville de Noisiel, représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête et demande à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête est irrecevable étant strictement identique aux écritures de première instance du requérant, et, qu'en tout état de cause, les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 décembre 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 janvier 2017 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Legeai,

- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,

- et les observations de Me Le Fustel, avocat représentant la commune de Noisiel.

Une note en délibéré, enregistrée le 9 février 2017, a été présentée par la SELARL E...-Weissberg et Associés pour la ville de Noisiel.

1. Considérant que M. B..., employé de la commune de Noisiel (Seine-et-Marne), en qualité d'adjoint technique de 2ème classe depuis le 1er septembre 2009, spécialisé dans la plomberie, s'estimant victime de faits de harcèlement moral, a présenté à ce titre une demande préalable d'engagement de la responsabilité de son employeur et d'indemnisation du préjudice subi, qui a été rejetée par ladite commune par décision du 16 décembre 2013 ; que, par la présente requête, l'intéressé relève appel du jugement n° 1401140/9 du 16 mars 2016 du Tribunal administratif de Melun qui a rejeté sa demande à l'encontre de ladite décision du 16 décembre 2013 ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune en défense :

2. Considérant que la ville de Noisiel soutient que la requête en appel est irrecevable étant strictement identique aux écritures de première instance du requérant ; que, si la reprise à l'identique de la demande de première instance entache la requête d'appel d'irrecevabilité, la requête qui ne critique pas expressément les réponses apportées par le tribunal aux moyens de première instance mais énonce ceux-ci, même sous une forme sommaire, n'est pas insuffisamment motivée au regard des exigences de motivation prévues par le code de justice administrative, alors même que son auteur se borne à demander l'annulation de la décision administrative, dès lors que la rédaction de la requête d'appel est originale ; qu'en l'espèce, M. B... rappelle l'existence du jugement, qu'il conteste et dont il demande l'infirmation, par la présente requête, par laquelle l'intéressé invite en outre la Cour à apprécier la contradiction dont a fait preuve son supérieur hiérarchique en portant sa première notation de 13/20 à 16/20 ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense par la ville de Noisiel doit être écartée ;

Sur le bien-fondé :

En ce qui concerne la légalité de la décision du 16 décembre 2013 :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / (...) " ; qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; que, d'une part, il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que, d'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ;

4. Considérant que M. B... soutient qu'il a subi des faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique et que ce harcèlement a conduit à l'altération de son état psychologique, à la mise en péril de son avenir professionnel, et a porté atteinte à sa dignité ; que pour que le harcèlement soit établi, il faut que les agissements soient répétés et se prolongent sur une certaine durée, qu'il n'est pas nécessaire que l'auteur du harcèlement moral ait une intention de nuire, qu'il suffit que les agissements répétés portent atteinte aux droits et à la dignité du harcelé, altèrent sa santé physique ou morale ou compromettent son avenir professionnel, et qu'il en résulte des conséquences préjudiciables ; qu'en l'espèce, le requérant produit des témoignages de plusieurs collègues allant dans son sens, ainsi que différents courriels et comptes-rendus, tels ceux de la réunion du 14 mai 2013 relative au groupe de dialogue services techniques secteur voirie conducteur manutention ou encore de la réunion du 22 novembre 2013 du groupe de dialogues services techniques ; que, de son côté, la commune produit une pièce émanant de M. C..., supérieur hiérarchique du requérant, qui constate lui-même un changement de comportement de M. B... en janvier 2013, l'intéressé ayant été recruté en 2009 et les premiers congés de maladie n'apparaissant qu'à compter de septembre 2012, ainsi que des pièces qui, émanant de la direction des ressources humaines, proposent à l'intéressé un rendez-vous au sujet " d'une situation de mal-être et de harcèlement dans votre travail au quotidien " par un courrier du 2 août 2013, ainsi qu'un courriel du 25 septembre 2013 d'un agent de la direction des ressources humaines qui, adressé au requérant, affirme " en ce qui concerne votre souffrance, je n'en doute pas et n'en ai jamais douté " ; qu'en outre, il est constant que M. C... avait d'abord attribué au requérant une note de 13/20 avant de lui accorder finalement une note de 16/20 au titre de la première notation de l'intéressé après avoir reconnu, dans son rapport du 19 novembre 2013 produit par la commune, que " la note que je lui avais attribuée n'était pas en adéquation avec la valeur de son travail " ; qu'il ressort également des pièces du dossier que la commune a elle-même demandé à M. B... s'il souhaitait que son arrêt de travail soit reconnu en maladie professionnelle, étant précisé que tous les psychiatres, y compris celui auquel la commune a fait appel, notamment le docteur Champigneulle dans ses conclusions suite à l'examen pratiqué le 16 septembre 2013, sont d'accord pour reconnaître que les arrêts de travail " relèvent de la législation sur les accidents de travail " ; qu'en outre, un psychiatre consulté par le requérant, le docteur Aflalo, indique dans son résumé d'examen du 31 juillet 2013 que : " A l'examen, il n'existe pas d'éléments de pathologie narcissique ou paranoïaque. B...vit le fonctionnement de l'institution dans laquelle il travaille comme pathologique, et soit on s'adapte à ce fonctionnement pathologique, soit on ne s'y adapte pas et on se rend pathologique, banni et exilé. Une reprise de son travail dans de bonnes conditions me semble irréalisable du fait de l'absence de concertation entre B...et sa hiérarchie " ; qu'il s'évince de l'ensemble de ces faits que M. B... doit être regardé comme ayant été victime de harcèlement moral du fait de problèmes dans l'organisation du service technique de la commune et dans la gestion des ressources humaines ayant conduit à la dégradation de l'état de santé de l'intéressé avec une souffrance liée aux conditions de travail, alors même que la commune intimée fait valoir que l'intéressé a pu se montrer irrespectueux et irascible envers son supérieur hiérarchique ; que, par suite, la décision du 16 décembre 2013 du maire de la commune de Noisiel doit être annulée ;

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

5. Considérant que les préjudices résultant d'agissements constitutifs de harcèlement moral doivent faire l'objet d'une réparation au bénéfice de l'agent qui en est victime ; qu'en ce qui concerne le préjudice moral, il en sera fait une juste appréciation en mettant à la charge de la commune de Noisiel une somme de 2 000 euros à verser à M. B..., majorée des intérêts au taux légal dus à compter du 17 octobre 2013, date de réception par l'intimée de la demande indemnitaire préalable formulée le 14 octobre 2013 ; que s'agissant du préjudice financier, pour lequel la commune de Noisiel a lié le contentieux devant le tribunal, le requérant, en se bornant à faire état d'une baisse de 5 929,92 euros de sa rémunération brute au titre de l'année 2013 par rapport à celle perçue au titre de l'année 2012, ne permet pas à la Cour d'en faire une exacte appréciation ; qu'il y a donc lieu de renvoyer M. B... devant la commune de Noisiel pour que celle-ci lui alloue une somme, majorée des intérêts dus à compter du 6 février 2014, date d'introduction de sa demande devant le tribunal, correspondant à la perte de rémunération nette qu'il a subie en 2013 par rapport à l'année 2012, perte qui résulte de son placement en congé de maladie en lien avec le harcèlement moral dont il a été l'objet, déduction faite, s'il y a lieu, des sommes que la commune, qui dans ses écritures admet l'imputabilité au service, lui aurait déjà versées au titre du maintien de salaire au-delà de trois mois dû en cas de congé de maladie imputable au service ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ville de Noisiel une somme de 1 500 euros à verser au requérant sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de la commune de Noisiel visant à mettre à la charge du requérant, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1401140/9 du 16 mars 2016 du Tribunal administratif de Melun, ensemble la décision du 16 décembre 2013 du maire de la commune de Noisiel, sont annulés.

Article 2 : La commune de Noisiel est condamnée à verser au requérant, au titre de son préjudice moral, une somme de 2 000 euros majorée des intérêts au taux légal dus à compter du 17 octobre 2013.

Article 3 : La commune de Noisiel est condamnée à verser au requérant, au titre de son préjudice financier, une somme, majorée des intérêts au taux légal dus à compter du 6 février 2014, égale à la différence entre le revenu net qu'il a perçu en 2012 et le revenu net perçu en 2013, sous la déduction éventuelle mentionnée au point 5 du présent arrêt.

Article 4 : Une somme de 1 500 euros est mise à la charge de la commune de Noisiel, à verser au requérant sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la commune de Noisiel tendant à mettre à la charge du requérant une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M. A... B...et à la commune de Noisiel.

Délibéré après l'audience du 7 février 2017 à laquelle siégeaient :

M. Auvray, président de la formation de jugement,

M. Pagès, premier conseiller,

M. Legeai, premier conseiller,

Lu en audience publique le 28 février 2017.

Le rapporteur,

A. LEGEAI

Le président,

B. AUVRAY

Le greffier,

C. RENE-MINE

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-et-Marne en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA01631


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01631
Date de la décision : 28/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique.


Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: M. Alain LEGEAI
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : SELURL LEKS AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-02-28;16pa01631 ?
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