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30/12/2016 | FRANCE | N°15PA04811

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 30 décembre 2016, 15PA04811


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à lui verser une somme de 220 788 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1315679/5-3 du 28 octobre 2015, le Tribunal administratif de Paris n'a fait droit à ses prétentions qu'à hauteur de 2 000 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés resp

ectivement le 28 décembre 2015 et le 5 septembre 2016, M.C..., représenté par MeB..., demande à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à lui verser une somme de 220 788 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1315679/5-3 du 28 octobre 2015, le Tribunal administratif de Paris n'a fait droit à ses prétentions qu'à hauteur de 2 000 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 28 décembre 2015 et le 5 septembre 2016, M.C..., représenté par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement no 1315679/5-3 du 28 octobre 2015 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner le Centre national de la recherche scientifique à lui verser une indemnité d'un montant de 220 788 euros en réparation des préjudices matériels et moraux qu'il estime avoir subis ;

3°) de mettre à la charge du CNRS la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité pour insuffisance de motivation et omission de réponse à différents moyens correspondant, chacun, à un fait générateur distinct ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'une partie de la créance relative à la réparation du préjudice tenant au fait que mention d'une sanction disciplinaire a figuré sur le site interne du CNRS plusieurs années après son annulation contentieuse était prescrite ;

- il existe un lien de causalité direct entre la sanction illégale qui lui a été infligée et sa réorientation professionnelle, rendue difficile du fait du comportement du CNRS, ce qui l'a contraint à abandonner le domaine de recherche sur lequel il travaillait depuis une dizaine d'années pour la sociologie, qu'il a dû abandonner pour la philosophie en 2004 ; il n'a bénéficié ni de l'immunité au bénéfice de laquelle il pouvait prétendre en tant qu'il dénonçait des faits de harcèlement exercés sur une collègue, ni de la protection fonctionnelle ;

- pour l'ensemble de ces motifs, il a subi un préjudice professionnel et de carrière, ses droits à pension ont été réduits, son état de santé a été altéré dès 2002, il a été porté atteinte à sa réputation et il a été victime d'une subornation de témoin sans pouvoir bénéficier de la protection fonctionnelle.

Par un mémoire en défense et un mémoire en duplique, enregistrés les 11 avril et 18 novembre 2016, le Centre national de la recherche scientifique, représenté par la SCP Meier-Bourdeau-Lécuyer, conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la mise à la charge de M. C...d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, par la voie de l'appel incident, conclut à ce que la Cour réforme le jugement attaqué en ce qu'il l'a condamné à verser à M. C...une somme de 2 000 euros.

Il soutient qu'aucun moyen d'appel n'est fondé et que, s'agissant de sa condamnation par le tribunal à verser 2 000 euros à M.C..., la créance de ce dernier était en tout état de cause atteinte par la prescription quadriennale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 ;

- le décret n° 84-1185 du 27 décembre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Auvray,

- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., pour M.C....

Une note en délibéré, enregistrée le 7 décembre 2016, a été présentée par Me B...pour M.C....

1. Considérant que M.C..., chargé de recherche de 1ère classe et alors affecté au Laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur (LIMSI) situé à Orsay (91405), s'est vu infliger, par décision du 27 juin 2002 du directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), la sanction du déplacement d'office portant affectation au Laboratoire heuristique et diagnostic des systèmes complexes (HEUDIASYC), situé à Compiègne (60203), où il a pris ses fonctions le 7 juillet 2003 ; que, par lettre du 8 septembre 2003, M. C...a sollicité un changement d'affectation avec réorientation thématique de ses recherches en vue d'une affectation au Centre de recherche psychotropes, santé mentale, société (CESAMES), situé à Paris 5ème, à quoi il a été donné satisfaction le 17 mai 2004 ; que, par ailleurs, d'une part, le Tribunal administratif d'Amiens a, par jugement du 19 décembre 2006 devenu définitif, prononcé l'annulation de la décision du 27 juin 2002 ayant prononcé la mutation d'office du requérant, d'autre part, le Tribunal correctionnel d'Evry a, par jugement du 14 avril 2008 confirmé par arrêt du 10 février 2012 de la Cour d'appel de Paris, reconnu coupable des faits de subornation de témoin le responsable d'un département auquel était rattaché le LIMSI ; que, par courrier du 1er juillet 2013, M. C...a, en vain, saisi le président du CNRS d'une demande tendant au versement d'une indemnité de 220 788 euros en réparation des divers préjudices qu'il estime avoir subis du fait des circonstances susrappelées ; que l'intéressé relève appel du jugement du 28 octobre 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris n'a fait droit à ses prétentions qu'à hauteur de 2 000 euros ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que M. C... soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé et entaché d'omission à statuer pour ne faire état ni de ses arrêts de maladie, ni de la dégradation de ses conditions de travail, ni de la condamnation de son supérieur pour subornation de témoin et n'avoir pas statué sur les préjudices résultant de la sanction du déplacement d'office ainsi que de la méconnaissance de son " immunité " dans la dénonciation du harcèlement dont était victime une collègue ;

3. Considérant qu'outre que le tribunal n'était pas tenu de répondre à tous les arguments qui lui étaient soumis, il résulte des termes mêmes du jugement entrepris qu'il est suffisamment motivé, qu'il mentionne d'ailleurs la condamnation pénale pour faits de subornation de témoin aux points 1 et 12 ainsi que la dégradation des conditions de travail de l'intéressé aux points 6 et 10, et n'est entaché d'aucune omission à statuer tant en ce qui concerne la sanction du déplacement d'office que le refus d'octroi de la protection fonctionnelle, le jugement condamnant en outre le CNRS à verser à M. C...une somme de 2 000 euros précisément en raison du maintien de la mention, sur un site interne au CNRS, de cette sanction après son annulation par voie contentieuse ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Considérant que M. C...a, en 1989, intégré le Laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur (LIMSI), situé à Orsay (Essonne), pour y effectuer une thèse sur " la modélisation informatique de l'expression et de la localisation spatiale en langage naturel ", qu'il a, en 1993, été nommé maître de conférences rattaché au LMSI, dépendant de la section 34, puis chargé de recherche de première classe en 1998 ; que l'intéressé soutient qu'à compter de l'arrivée, le 1er janvier 2001, d'un nouveau directeur à la tête du LIMSI, les conditions de travail se sont dégradées tant pour lui que pour une collègue ; que l'état de santé de cette dernière devenant préoccupant, il a alors engagé, auprès des instances dirigeantes du LIMSI et du CNRS, des démarches à fin de signalement, lesquelles se sont révélées vaines, ce qui l'a décidé à interpeller, le 5 mars 2002, le directeur du LIMSI à la demande de qui il a été suspendu de ses fonctions le 7 mars 2002 compte tenu de la violence de l'altercation qui s'en est suivie ; que le requérant s'est ensuite vu infliger, par décision du 27 juin 2002, la sanction de la mutation d'office, avec affectation au Laboratoire heuristique et diagnostic des systèmes complexes (HEUDIASYC) situé à Compiègne où il n'a pris ses fonctions que le 7 juillet 2003 après des congés de maladie et mise en demeure datée du 18 juin 2003 ; que l'intéressé a, dès le 8 septembre 2003, demandé un changement d'affectation au sein du Centre de recherches psychotropes, santé mentale, société (CESAMES), situé à Paris, puis sollicité, en conséquence, son rattachement à une section pertinente pour évaluer ses travaux, au regard de sa nouvelle orientation professionnelle ; que M. C...soutient que son dossier administratif a été perdu entre les sections 34 et 36 et que, faute de rattachement à une section pertinente, il n'a pu faire l'objet d'une évaluation entre 2004 et 2013, année au cours de 1aquelle c'est la section 35 qui a finalement accepté de l'évaluer ; que le requérant estime qu'en lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle qu'il avait sollicitée à l'occasion d'une instance pénale qu'il avait engagée, à l'encontre de deux membres du LIMSI, pour subornation de témoin lors de la procédure disciplinaire dont il avait fait l'objet en 2002, le CNRS a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; qu'enfin, M. C...fait grief à l'administration d'avoir maintenu, jusqu'en 2016, la mention, sur un site interne du CNRS, de la sanction disciplinaire qui lui avait été infligée le 27 juin 2002 alors qu'elle avait été annulée par jugement rendu le 19 décembre 2006 par le Tribunal administratif d'Amiens et relève que cette négligence a nui à sa réputation ainsi qu'à sa carrière ;

5. Considérant que le CNRS soutient, pour sa part, que la sanction de la mutation d'office, pour être disproportionnée, n'en était pas moins régulière dans ses motifs, que c'est l'intéressé qui a souhaité donner une nouvelle orientation thématique à ses travaux de recherche par courrier du 8 septembre 2003, estimant que, contrairement à ce que prétend M.C..., l'HEUDIASYC, où il a été muté d'office, traitait en réalité des mêmes thématiques que le LIMSI, que l'administration lui a donné satisfaction en l'affectant au Laboratoire CESAMES à compter du 1er mai 2004, que c'est l'intéressé qui a négligé de formuler une demande de changement de section, alors pourtant que pareille démarche incombe exclusivement au chercheur en vertu de la décision n° 05 0043DAJ du 10 octobre 2005, que la motion " d'exclusion " émise le 16 mai 2002 par le conseil du LIMSI, loin de révéler un climat d'hostilité ou de constituer un quelconque comportement vexatoire de l'administration à l'encontre de M.C..., n'est que la conséquence du comportement violent adopté par ce dernier le 5 mars 2002 à l'égard du directeur du LIMSI et que c'est à juste titre que la protection fonctionnelle a été refusée à l'intéressé dans le cadre de l'instance pénale qu'il a engagée pour subornation de témoin commise à l'occasion de la procédure disciplinaire engagée contre lui en 2002 dès lors, d'une part, qu'il n'a pas fait l'objet de menaces, de violences ou d'injures à l'occasion de ses fonctions, d'autre part, que la subornation de témoin dont a été reconnu coupable un agent du CNRS relève de la faute personnelle et non de la faute de service ;

6. Considérant, en outre, que le CNRS oppose, en cause d'appel comme en première instance, l'exception de prescription quadriennale à la demande indemnitaire formée le 1er juillet 2013 par M. C...au motif que la créance dont ce dernier se prévaut " est née par l'effet du jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 19 décembre 2006 passée en force de chose jugée " ; que l'intimé invoque également l'irrecevabilité des conclusions de M.C..., d'une part, dans la mesure où ce dernier entend " se placer sur le terrain du prétendu défaut d'exécution de la chose jugée par le Tribunal administratif d'Amiens en 2006, qui a annulé la décision de mutation d'office " dès lors que de telles conclusions relèvent des dispositions de l'article L. 911-4 du code de justice administrative et que la présente instance ne tend point à la recherche de l'exécution du jugement dont s'agit, d'autre part, dans la mesure où le contentieux n'est pas lié s'agissant des préjudices qu'il aurait subis entre le 1er juillet 2013 et le 28 décembre 2015, la réclamation préalable du requérant datant du 1er juillet 2013, et dans la mesure où les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la subornation de témoin sont nouvelles en appel ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...) et des établissements publics, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) " et qu'aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même, soit par l'intermédiaire de son représentant légal, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance (...) " ;

8. Considérant que le fondement juridique d'une demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'un agent public soutient subir du fait d'un comportement globalement fautif adopté sur une longue période par l'administration est distinct de celui susceptible de fonder une demande de réparation de chacun des préjudices résultant des agissements fautifs ou à l'illégalité fautive de chacune des décisions dont l'ensemble tend à établir l'existence d'un comportement vexatoire ; que, par la présente requête, M. C...ne demande pas à la Cour d'assurer l'exécution du jugement rendu le 19 décembre 2006 par le Tribunal administratif d'Amiens, mais de condamner le CNRS à l'indemniser des préjudices, tant matériels et moraux, qu'il estime avoir subis entre 2002 et 2015 ; que, contrairement à ce que soutient le CNRS, le requérant est recevable à actualiser, en cause d'appel, le montant des préjudices déjà invoqués en première instance, qui se rattachent nécessairement aux mêmes faits générateurs ; qu'il suit de là qu'il y a lieu d'écarter tant la fin de non-recevoir que l'exception de prescription quadriennale opposées par le CNRS ;

Quant au préjudice moral et aux troubles dans les conditions d'existence :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, de courriers du médecin du travail, que, depuis la fin de l'année 1998, M. C...a vainement appelé l'attention de sa hiérarchie en particulier sur la situation de souffrance au travail d'une collègue qui, comme l'a jugé le Tribunal administratif de Paris par jugement n° 0505875 du 26 mars 2008 devenu définitif, a été exposée à des comportements vexatoires et à des attitudes de dénigrement de la part du responsable de son groupe de recherche ; qu'en outre, il est constant, d'une part, que la décision du 27 juin 2002, par laquelle le directeur général du CNRS a infligé à M. C...la sanction de la mutation d'office, a été annulée pour erreur manifeste d'appréciation par le Tribunal administratif d'Amiens par jugement devenu définitif rendu le 19 décembre 2006, d'autre part, que, par jugement du 14 avril 2008 confirmé par un arrêt du 10 février 2012 de la Cour d'appel de Paris, le Tribunal correctionnel d'Evry a condamné un responsable du CNRS du chef de subornation de témoin à l'occasion de la procédure disciplinaire diligentée en mars 2002 à l'encontre du requérant, de troisième part, que ce n'est qu'au cours de l'année 2016 que l'administration a supprimé d'un site interne au CNRS la mention de la sanction disciplinaire infligée à M.C..., mention qui, durant de longues années y compris après son annulation contentieuse, a contribué à porter atteinte à la réputation professionnelle de l'intéressé et rendu plus difficile la poursuite de sa carrière ; que, contrairement à ce que soutient l'administration, il ne résulte pas de l'instruction que le Laboratoire LIMSI et le Laboratoire HEUDIASYC traiteraient de thématiques identiques ou, à tout le moins, extrêmement proches, ce qui a sinon contraint, du moins fortement incité M. C...à demander, le 8 septembre 2003, une réorientation professionnelle en vue d'une affectation au CESAMES ; que si le CNRS fait valoir qu'il n'appartient en effet qu'au chercheur de solliciter une demande de changement de section, il résulte de l'instruction que M.C..., rattaché à la section 34 depuis son affectation au LIMSI, a bien formulé une telle demande de changement de section ainsi qu'il résulte notamment d'un courriel du 16 janvier 2006 qui, adressé à l'intéressé, fait état de l'envoi de son dossier au responsable de la section 36 ; que ne faisant pas l'objet d'évaluation depuis 2004 et sans nouvelles quant à son rattachement à une autre section, M. C...a sollicité, le 28 février 2011, une clarification de sa situation ; que l'intéressé ayant été finalement rattaché à la section 35, après un refus de cette dernière en date du 12 juillet 2012, ce n'est qu'au printemps de l'année 2013 que, depuis 2004, il a été de nouveau évalué ; que, compte tenu des agissements fautifs sus-relatés de l'administration et de l'atteinte à la réputation tant personnelle que professionnelle qui en ont résulté sur la période courue de 2002 à 2015 et eu égard à la nature de l'activité de M.C..., il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'appelant, en la portant de 2 000 à 30 000 euros ; qu'il suit de là que les conclusions d'appel incident du CNRS, tendant à ce que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il l'a condamné à verser à M. C...une indemnité de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral, ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;

Quant au préjudice de carrière :

10. Considérant que M. C...sollicite la condamnation du CNRS à l'indemniser du préjudice financier qu'il estime avoir subi du fait de l'important retard dans l'évolution de sa carrière et, en particulier, de la perte de chance d'accéder au grade de directeur de recherche de 2ème classe auquel, selon lui, il eût dû être promu dès l'année 2006 ; que l'intéressé soutient que ce préjudice de carrière résulte notamment du refus de procéder à son évaluation durant plusieurs années et de l'atteinte à sa réputation de chercheur dont il a été victime durant plus de dix ans, ainsi que de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de changer d'orientation, abandonnant ainsi un domaine dans lequel il s'était spécialisé depuis plus de dix ans ;

11. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 36 du décret du 30 décembre 1983 : " Les directeurs de recherche sont recrutés par concours sur titres et travaux ouverts dans chaque établissement scientifique et technologique (...), en vue de pourvoir un ou plusieurs emplois d'une discipline ou d'un groupe de disciplines relevant de la compétence de l'une des instances d'évaluation crées dans l'établissement (...) ", d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que, chaque année, le CNRS a ouvert plusieurs concours d'accès au grade de directeur de recherche de 2ème classe (DR2) ;

12. Considérant que M. C...soutient que, dès 2002, il était sur le point d'obtenir l'habilitation à diriger des recherches, condition nécessaire pour obtenir le poste de directeur de recherche en 2006 ; que si les fiches documentaires versées aux débats, qui couvrent une période s'achevant à l'année 1999-2000, établissent que l'intéressé a fait l'objet d'excellentes appréciations, il ne résulte cependant pas de l'instruction que le requérant, s'il avait poursuivi ses travaux dans son domaine d'activité initial, aurait eu une chance sérieuse d'accéder dès 2006 au grade de directeur de recherche de 2ème classe, eu égard notamment au caractère sélectif de la procédure de recrutement prévue à l'article 36 du décret du 30 décembre 1983, le CNRS relevant, de surcroît, que l'intéressé n'a fait acte de candidature qu'une seule fois, en 2007, sans succès, à ce grade de directeur de recherche ;

Quant au préjudice de retraite :

13. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les conclusions à fin d'indemnisation du préjudice, allégué par M.C..., tiré de ce que ses droits à pension auraient été supérieurs s'ils avaient été liquidés sur le traitement afférent au grade de directeur de recherche, ne peuvent qu'être rejetées ; qu'en tout état de cause, un tel préjudice n'est pas suffisamment certain pour ouvrir droit à indemnisation dès lors qu'il est constant que l'intéressé est né le 4 mai 1966 ;

Quant au préjudice résultant du refus du bénéfice de la protection fonctionnelle :

14. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dans sa rédaction alors applicable : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / Lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle " ;

15. Considérant que les dispositions citées au point précédent établissent à la charge des collectivités publiques et au profit de leurs agents, lorsqu'ils sont victimes d'attaques dans l'exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ; que les agissements répétés de harcèlement moral sont de ceux qui peuvent permettre à l'agent public qui en est l'objet ou qui les dénonce d'obtenir la protection fonctionnelle ;

16. Considérant que M. C...a, par lettre du 17 juillet 2006, sollicité en vain du directeur général du CNRS le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre d'une plainte avec constitution de partie civile qu'il avait déposée devant le juge pénal pour dénoncer les faits commis à l'occasion de la procédure disciplinaire engagée contre lui en mars 2002, faits qui ont donné lieu, comme il a été précédemment dit, à la condamnation d'un responsable du CNRS du chef de subornation de témoin par jugement du 14 avril 2008 du Tribunal correctionnel d'Evry confirmé par arrêt du 10 février 2012 de la Cour d'appel de Paris ;

17. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'intimé, la circonstance que la subornation de témoin dont un membre du CNRS a été reconnu coupable par le juge répressif relèverait de la faute personnelle détachable du service n'est pas de nature à faire obstacle à ce que l'agent public qui a été victime d'un tel agissement bénéficie de la protection fonctionnelle ;

18. Considérant que si M. C...avait droit à la protection fonctionnelle compte tenu des agissements de l'administration qui, décrits au point 9, sont en outre consécutifs aux signalements que l'intéressé avait faits à sa hiérarchie quant à une situation de harcèlement moral, reconnue par le Tribunal administratif de Paris par jugement du 26 mars 2008, dont était victime une collègue, il résulte toutefois des termes du courrier du 17 juillet 2006 mentionné au point 16 que M. C...n'a sollicité le bénéfice de cette protection que dans le cadre de la plainte avec constitution de partie civile pour subornation de témoins, dénonciation calomnieuse, faux et usage de faux qu'il avait lui-même déposée ; que, dans ces conditions, comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges, les faits dénoncés par l'intéressé à l'appui de sa demande de protection fonctionnelle ne relevaient pas du champ d'application des dispositions précitées de l'article 11 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 ; que, par suite, les conclusions de M. C...tendant à ce que la Cour condamne le CNRS à lui rembourser les frais afférents à cette procédure pénale ne peuvent qu'être rejetées ;

19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C...est seulement fondé à demander que le montant de l'indemnité que le CNRS a été condamné à lui verser par le jugement attaqué soit porté de 2 000 à 30 000 euros ; qu'il y a lieu de réformer en conséquence le jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CNRS le versement, au profit de M.C..., d'une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par ce dernier à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que le versement d'une quelconque somme soit mise à la charge de M. C...qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le Centre national de la recherche scientifique est condamné à verser à M. C...une somme de 30 000 (trente mille) euros.

Article 2 : Le jugement n° 1315679/5-3 du 28 octobre 2015 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le Centre national de la recherche scientifique versera à M. C...une somme de 2 500 (deux mille cinq cents) euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions d'appel incident du Centre national de la recherche scientifique ainsi que ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au Centre national de la recherche scientifique.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2016 à laquelle siégeaient :

M. Krulic, président de chambre,

M. Auvray, président-assesseur,

M. Legeai, premier conseiller,

Lu en audience publique le 30 décembre 2016.

Le rapporteur,

B. AUVRAY

Le président,

J. KRULICLe greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 15PA04811


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA04811
Date de la décision : 30/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique.


Composition du Tribunal
Président : M. KRULIC
Rapporteur ?: M. Brice AUVRAY
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : LYSIAS PARTNERS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-12-30;15pa04811 ?
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