Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Polynésie Française a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, sur le fondement de la responsabilité décennale, à titre principal, de condamner la société Boyer et la société Polynésienne, de l'Eau, de l'Electricité et des Déchets (SPEED), à hauteur de leurs manquements respectifs, à procéder sous astreinte au remplacement intégral de l'émissaire de rejet en mer des eaux traitées de la zone touristique de Haapiti, à évacuer les éléments défectueux de l'ouvrage et à procéder au nettoyage du site, le coût de la maîtrise d'oeuvre restant à leur charge, ou à titre subsidiaire, de condamner ces sociétés à réaliser sous astreinte les travaux de réparation prescrits par le rapport du bureau d'études Créocéan d'avril 2010, à évacuer les éléments défectueux de l'ouvrage et à procéder au nettoyage du site, le coût de la maîtrise d'oeuvre restant à leur charge, et à titre infiniment subsidiaire, de prononcer la mesure d'expertise requise par ces sociétés et, en tout état de cause, de les condamner solidairement à lui verser la somme de 16 617 378 FCFP, à parfaire, correspondant au surcoût provisoire déjà supporté par la collectivité publique résultant des désordres de l'ouvrage.
Par un jugement n° 1100307/1 du 9 février 2012, le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné solidairement les sociétés Boyer et Speed à verser à la Polynésie française la somme de 8 308 689 FCFP TTC sur le fondement de la garantie décennale et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
La Polynésie française a demandé à la Cour administrative d'appel de Paris de réformer le jugement susvisé en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande, d'y faire intégralement droit et de condamner les sociétés Boyer et Speed à lui verser au titre de la garantie décennale une somme correspondant au coût du remplacement de l'émissaire, évalué à 300 millions de FCFP (2 509 414,40 euros), ou, si mieux n'aime, à réaliser à leur charge les travaux correspondants, auxquels doit s'ajouter la somme correspondant au surcoût lié aux réparations provisoires qu'elle a dû supporter, d'un montant de 16 617 378 FCFP (138 999,63 euros).
Par un arrêt n° 12PA02534 du 10 juin 2014, rectifié par une ordonnance du 30 juin 2014, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement, condamné les sociétés Boyer et Speed à verser chacune à la Polynésie française la somme de 5 539 126 FCFP, soit 46 418,55 euros, et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par une décision n° 384414 du 25 janvier 2016, enregistrée le 5 février 2016 au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris sous le n° 16PA00595, le Conseil d'État, statuant sur recours de la Polynésie française, a cassé l'arrêt précité n° 12PA02534 en tant qu'il statuait sur l'évaluation du montant du préjudice et a renvoyé l'affaire devant la Cour dans la mesure de la cassation ainsi prononcée.
Par un mémoire de reprise d'instance et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mars et 15 avril 2016, la Polynésie française, représentée par la SCP de Chaisemartin-Courjon, demande à la Cour :
1°) de condamner les sociétés Boyer et Speed à lui verser chacune la somme de 138 723 391 FCFP TTC, soit 1 162 518 euros, assortie des intérêts de droit et de leur capitalisation ;
2°) de mettre à la charge des sociétés Boyer et Speed, chacune, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun conflit d'intérêts ou manque d'objectivité n'entache les rapports établis par la société Créocéan, qui n'est titulaire d'aucun engagement pour la maîtrise d'oeuvre des futurs travaux de réhabilitation de l'émissaire qui feront l'objet d'un marché public de maîtrise d'oeuvre soumis à la concurrence ;
- les constructeurs ne sauraient sérieusement soutenir que l'ouvrage, initialement conçu pour rejeter les effluents en mer, serait en état de fonctionnement, alors même que la dégradation de l'ouvrage conduit à rejeter les effluents dans le lagon et, par voie de conséquence, à limiter la capacité de traitement de la station d'épuration ;
- le montant initial du préjudice doit être actualisé en raison de l'aggravation des dommages au montant de 317 791 000 FCFP HT pour la reconstruction totale de l'ouvrage, justifiée par référence au nouveau rapport d'expertise de la société Créocéan d'août 2014, complété en mars 2016, tandis que la reconstruction partielle de l'ouvrage avec rejet des eaux dans le lagon, d'un coût moindre, supposerait la réalisation d'un traitement supplémentaire et présenterait des risques pour l'environnement, les solutions de réhabilitation de l'ouvrage existant, très coûteuses, n'étant pas de nature à en assurer la pérennité ;
- au coût de reconstruction de l'ouvrage doivent être ajoutés le coût de l'enlèvement de l'ancien ouvrage, à hauteur de 10 000 000 FCFP, le coût de la maîtrise d'oeuvre des travaux, à hauteur de 29 501 190 FCFP, ainsi que les dépenses qui ont été nécessaires pour les études réalisées, soit 11 000 000 FCFP ;
- le coût total de 368 292 190 FCFP HT doit être supporté à raison d'un tiers par chacune des sociétés Boyer et Speed, soit 138 723 391 FCFP TTC chacune, le partage des responsabilités étant devenu définitif.
Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2016, la Sarl Boyer, représentée par la Selarl Altana, conclut, à titre principal, au rejet des conclusions de la Polynésie française renvoyées par le Conseil d'État, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit ordonné une mesure d'expertise destinée à permettre la Cour de se prononcer sur les préjudices invoqués par le maître d'ouvrage et leur quantum et, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la réalité du préjudice doit être remise en cause dès lors que l'ouvrage est en service dans sa partie lagonaire, alors même que le maître d'ouvrage n'a pas réalisé les travaux dont l'indemnisation a été prescrite par les premiers juges ;
- les rapports produits par la société Créocéan manquent d'objectivité en raison du conflit d'intérêts qui pèse sur cette société, prestataire de service du maître d'ouvrage ;
- le maître d'ouvrage ne saurait s'appuyer sur l'évaluation trop imprécise du préjudice contenue dans le rapport de 2010 pour exiger la reprise de l'intégralité de l'ouvrage, dont seulement une partie est affectée par les désordres, à hauteur d'un montant sans commune mesure avec le montant du marché, qui est de nature à constituer un enrichissement sans cause du maître d'ouvrage ;
- le chiffrage contenu dans le rapport de 2016 ne saurait pas davantage être retenu dès lors qu'il se rapporte à la réalisation d'un ouvrage de conception et de tracé différents, prenant en compte les dégradations intervenues depuis 2010 imputables aux carences du maître d'ouvrage ;
- à titre subsidiaire, la mission de l'expert diligenté par la Cour devra inclure la détermination de la part des désordres résultant de l'absence de réalisation des travaux financés par la condamnation prononcée en première instance et en appel ;
- à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour retiendrait le chiffrage du rapport, le coût des éléments relatifs aux études et aux travaux de réparation déjà pris en compte dans la condamnation prononcée par la Cour dans son arrêt précédent devront être imputés sur ce quantum.
Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2016, la SAS Speed, représentée par la Scp Waquet, Farge, Hazan, conclut, à titre principal, au rejet des demandes de la Polynésie française, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise soit ordonnée afin d'évaluer le préjudice subi par le maître d'ouvrage et, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les conclusions indemnitaires du maître d'ouvrage présentées dans son mémoire de reprise d'instance devront être écartées comme irrecevables car le nouveau quantum demandé au titre de la destruction et de la reconstruction de l'ouvrage existant excède le montant de 300 millions de francs CFP réclamé en première instance, ainsi que celles, nouvelles en appel, tendant à l'indemnisation d'une somme de 11 millions de francs CFP au titre des dépenses nécessaires à la réalisation d'expertises ;
- les rapports de la société Créocéan sur lesquels s'appuie le maître d'ouvrage manquent de clarté, de précision et de valeur probante concernant l'évaluation de la reprise intégrale de l'ouvrage proposé ainsi que d'objectivité, cette société intervenant également comme maître d'oeuvre ;
- les désordres n'affectent qu'une portion de l'émissaire, spécialement celle correspondant au franchissement de la passe, en sorte que le maître d'ouvrage ne saurait justifier la nécessité du remplacement intégral de l'ouvrage en se bornant à faire état d'une hypothétique dégradation dans sa partie lagonaire, ledit ouvrage étant en état de fonctionnement dans cette partie depuis sa réception en 2005, ou une corrosion généralisée, celle-ci étant imputable à sa propre négligence pour n'avoir pas mis en oeuvre les mesures de réparation partielle retenues par les premiers juges ;
- en tout état de cause, dans l'hypothèse d'une reconstruction intégrale de l'ouvrage, une plus-value importante devrait être déduite du coût de reconstruction, l'ouvrage nouveau reconstruit proposé par le maître d'ouvrage étant d'un coût quatre fois plus élevé que le prix figurant au marché initial, car constitué de matériaux plus onéreux et empruntant un tracé différent, partiellement enterré, de nature à lui conférer une durée de vie plus élevée, alors que la solution du rejet actuel en lagon est viable et acceptable, même si elle suppose la réalisation d'un traitement supplémentaire.
Un mémoire, enregistré le 4 mai 2016, a été présenté pour la société Boyer.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dellevedove,
- les conclusions de M. Cantié, rapporteur public,
- les observations de Me Chabrun-Lepany, avocat de la Polynésie française,
- les observations de Me Hazan, avocat de la société Speed,
- et les observations de Me Panien-Ferouelle, avocat de la société Boyer.
Une note en délibéré, enregistrée le 19 mai 2016, a été présentée pour la société Boyer.
1.Considérant que la Polynésie française, maître d'ouvrage, a conclu un marché de maîtrise d'oeuvre le 11 mars 1999 avec la Société Polynésienne de l'Eau, de l'Electricité et des Déchets (Speed) relatif à l'assainissement collectif des eaux usées de la zone touristique de Haapiti, pour un montant initial de 44 022 608 FCFP HT, qui a été porté à 56 535 977 FCFP HT par un avenant approuvé le 22 juillet 2003 ; que la Polynésie française a par ailleurs conclu, le 19 février 2004, un marché de travaux avec la société Boyer pour la réalisation d'un émissaire de rejet en mer des eaux usées traitées, pour un montant initial de 62 497 200 FCFP HT avec un délai d'exécution de huit mois à compter du 27 février 2004, date de notification de ce marché ; qu'après la levée de toutes les réserves, les ouvrages ont été réceptionnés le 5 décembre 2006, avec effet à compter du 15 avril 2005 ; que des désordres importants affectant la partie maritime de l'émissaire ont été constatés en 2009, qui se sont aggravés à la suite du passage d'un cyclone en 2010 ; qu'ils sont caractérisés essentiellement par des ruptures, des perforations et un phénomène de corrosion généralisée de la canalisation, accompagnés de déplacements des lests, d'affouillements et d'arrachements de ses supports ; que, par le jugement susvisé du 9 février 2012, dont la Polynésie française fait appel, le Tribunal administratif de la Polynésie française a jugé que la responsabilité décennale des deux sociétés était engagée, mais que le maître d'ouvrage avait commis des fautes justifiant que seule la moitié du préjudice subi soit mise à la charge solidaire des deux sociétés ; que, par un arrêt du 10 juin 2014, la cour de céans a annulé le jugement du 9 février 2012 pour irrégularité, jugé que la part de responsabilité des sociétés Speed et Boyer devait être fixée à un tiers chacune et fixé le montant total de l'indemnisation à 16 617 378 F CFP TTC ; que, par une décision du 25 janvier 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour du 10 juin 2014 en tant qu'il statue sur l'évaluation du montant du préjudice, renvoyé l'affaire à la cour, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, et rejeté le surplus des pourvois incidents et provoqués de la société Speed et de la société Boyer ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant que la Polynésie française, dans le premier état de ses écritures d'appel, avait demandé à la Cour administrative d'appel de Paris de réformer le jugement susvisé en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande, d'y faire intégralement droit et de condamner sur le fondement de la garantie décennale les sociétés Boyer et Speed à lui verser une somme correspondant au coût du remplacement de l'émissaire évalué à 300 millions de FCFP (2 509 414,40 euros), par référence au rapport de la société Créocéan d'avril 2010, ou, si mieux n'aime, à réaliser à leur charge les travaux correspondants, ainsi qu'au surcoût lié aux réparations provisoires qu'elle a dû selon elle supporter, à hauteur du montant susmentionné de 16 617 378 FCFP (138 999,63 euros) ;
3. Considérant que par l'arrêt susmentionné du 10 juin 2014, rectifié par une ordonnance du 30 juin 2014, la Cour de céans a annulé ce jugement, et par voie d'évocation a condamné les sociétés Boyer et Speed à verser chacune à la Polynésie française la somme de 5 539 126 FCFP, soit 46 418,55 euros, correspondant à leur part de responsabilité, que la Cour a fixée à un tiers du montant du préjudice qu'elle a retenu, à hauteur seulement de la somme de 16 617 378 FCFP et a rejeté le surplus des conclusions des parties, notamment celles de la Polynésie française tendant à l'indemnisation du coût du remplacement complet de l'émissaire ;
4. Considérant que, par l'arrêt susmentionné du 25 janvier 2016, le Conseil d'État a annulé cet arrêt en tant seulement qu'il statue sur l'évaluation du montant du préjudice au motif que la Cour ne pouvait écarter comme irrecevables les conclusions de la Polynésie française tendant à ce que les constructeurs soient condamnés solidairement à lui verser la somme de 300 millions de FCFP ;
5. Considérant que, dans ses écritures de reprise d'instance, la Polynésie française doit être regardée, par référence au second rapport établi en août 2014 par la société Créocéan, comme demandant à la Cour de fixer le montant du préjudice indemnisable à une somme toutes taxes comprises correspondant au montant de 368 292 190 FCFP HT, comprenant la somme de 317 791 000 FCFP HT représentant le coût actualisé du remplacement intégral de l'émissaire endommagé, la somme de 10 millions de FCFP HT correspondant au coût d'enlèvement de l'ancien ouvrage, la somme de 29 501 190 FCFP HT représentant le coût de la maîtrise d'oeuvre des travaux, ainsi que la somme de 11 millions de FCFP HT représentant le montant des dépenses qu'elle aurait consenties pour les études successives réalisées ; que, sur la base du partage de responsabilité retenu, la Polynésie française sollicite, en conséquence, le versement par chacun des constructeurs de la somme de 138 723 391 FCFP TTC ;
6. Considérant que, compte tenu du motif de cassation et de la limite du renvoi prononcée par le Conseil d'État qui porte exclusivement sur l'évaluation des préjudices, le précédent arrêt de la Cour est devenu définitif s'agissant de la nature décennale des désordres, de leur imputabilité aux constructeurs, et des parts de responsabilité imputées aux constructeurs et au maître d'ouvrage fixées pour chacune à un tiers du montant du préjudice indemnisable ; qu'il y a lieu seulement pour la Cour de statuer sur l'évaluation du montant du préjudice ;
Sur l'évaluation du montant du préjudice :
7. Considérant que la responsabilité des maîtres d'oeuvre en raison des malfaçons constatées dans les travaux ne peut trouver sa sanction, sur la base des principes régissant la responsabilité décennale des constructeurs, dans l'obligation d'exécuter eux-mêmes les réparations ; que, par suite, dans le cas où le juge, saisi de conclusions tendant à la condamnation des maîtres d'oeuvre et des entrepreneurs à une telle obligation, retient l'imputabilité, en totalité ou en partie, aux maîtres d'oeuvre des désordres allégués, il lui appartient, même en l'absence de conclusions expresses tendant à cette fin, de condamner les maîtres d'oeuvre à une réparation en argent dans la limite du coût des travaux ;
8. Considérant que la Polynésie française est recevable à demander, en appel, par référence au second rapport de la société Créocéan d'août 2014, complété en mars 2016, la réévaluation du préjudice indemnisable et par suite de l'indemnité qu'elle demandait en première instance par référence au premier rapport de cette même société d'avril 2010, l'aggravation des dommages ayant pour origine les conditions de construction de l'ouvrage donnant lieu à réparation au titre de la garantie décennale ; qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutiennent les constructeurs, l'aggravation des désordres constatés sur l'ouvrage se rattache aux mêmes vices de conception et de réalisation et aux mêmes fautes du maître d'ouvrage que ceux à l'origine des désordres apparus en 2009 et sont donc de nature à engager également la responsabilité décennale des sociétés Speed et Boyer selon les parts de responsabilité susmentionnées qui sont devenues définitives ;
9. Considérant que l'évaluation des dommages subis par la Polynésie française du fait des désordres dont est affecté l'ouvrage en cause, doit être faite à la date où, leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à les réparer ; que, toutefois, si le premier rapport établi par la société Créocéan comporte un diagnostic des désordres en cause, seul le second rapport, qui tient compte d'ailleurs de l'aggravation des désordres, comporte l'ensemble des éléments nécessaires à l'évaluation du préjudice indemnisable par référence notamment aux prix d'ouvrages similaires réalisés en Polynésie française et non sérieusement contestés ; qu'il y a donc lieu d'évaluer ce préjudice à la date de ce second rapport d'août 2014, lequel définit avec une précision suffisante la nature et l'étendue des travaux nécessaires ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des deux rapports susmentionnés de la société Créocéan versés au dossier, et il n'est pas sérieusement contesté, que les solutions de réparation de l'ouvrage existant, compte tenu de la nature et de l'importance des désordres dont il est affecté, et notamment du phénomène de corrosion généralisée de la partie de l'ouvrage réalisée en acier, ainsi que du caractère inadapté de son tracé au regard des forts courants observés et aux mouvements sédimentaires du substrat, de nature à engendrer la ruine de l'ouvrage, apparaissent insusceptibles d'assurer la pérennité de cet ouvrage sur une durée de vie de 20 ans, normalement escomptée pour ce type d'ouvrage selon les règles de l'art, à un moindre coût que les solutions de reconstruction de l'ouvrage selon un tracé proche plus adapté et avec un matériau, le polyéthylène haute densité (PEHD), non corrodable ; qu'en se bornant à avancer des considérations générales, des critiques ponctuelles et à invoquer la partialité de la société Créocéan, sans étayer leurs allégations par aucun élément probant, les sociétés Boyer et Speed ne critiquent pas sérieusement les constats, les solutions et les estimations objectives et circonstanciées contenues dans le rapport d'août 2014, la seule circonstance que cette société ait été retenue pour réaliser d'autres prestations de maîtrise d'oeuvre par la Polynésie française n'étant pas par elle-même de nature à disqualifier la teneur de ses rapports, soumis au débat contradictoire des parties ;
11. Considérant que sur la base de ce rapport de la société Créocéan d'août 2014, il y a lieu de chiffrer le montant des travaux strictement nécessaires pour remédier aux désordres à la somme de 317 791 000 FCFP HT, permettant la reconstruction de l'ouvrage avec rejet des effluents en mer, cette exigence ayant été prévue initialement au marché, auquel il y a lieu d'ajouter l'estimation des travaux indissociables de dépose des éléments de l'ouvrage existant qui ne sont pas réutilisables et qui peuvent présenter un risque pour les activités nautiques, soit un montant total de travaux de 327 791 000 FCFP HT ; qu'il y a lieu d'ajouter à ce montant des travaux les frais de maîtrise d'oeuvre nécessaires, pareillement indissociables du coût des travaux, correspondant à 9 % de ce coût selon les prix habituellement pratiqués pour ces opérations d'infrastructures, soit 29 501 190 FCFP HT ; que le montant total de cette opération de reconstruction, maîtrise d'oeuvre comprise, s'élève donc à la somme de 403 740 175 FCFP TTC ;
12. Considérant, toutefois, que les constructeurs font valoir à juste titre qu'une telle reconstruction s'éloigne des caractéristiques de l'ouvrage prévu par le marché de travaux initial, d'un montant global de 62 497 200 FCFP HT ; que, si une simple réfection de l'ouvrage à l'identique ne garantirait pas le maître de l'ouvrage contre le renouvellement des désordres et la ruine de l'ouvrage, ainsi qu'il a été dit, la reconstruction totale de l'ouvrage décrite au point 11, pour le montant de 403 740 175 FCFP TTC, qui constitue le seul moyen de remédier aux malfaçons constatées en respectant l'exigence de rejet des effluents en mer, représente, notamment par son tracé et les matériaux utilisés, une amélioration considérable de la durabilité de l'ouvrage par rapport aux prévisions du marché, le tracé et l'emploi de l'acier s'étant révélés défectueux, et apporte ainsi audit ouvrage une plus-value qui doit être déduite du montant de la réparation due au maître d'ouvrage ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en évaluant cette plus-value à 50 % de la somme précitée et en fixant, par voie de conséquence, à 201 870 087 FCFP TTC le montant du préjudice indemnisable pour la réparation des désordres en cause ; qu'il n'y a pas lieu, en revanche, s'agissant d'un ouvrage qui n'a jamais pu faire l'objet d'une utilisation normale en raison des défectuosités qu'il comportait, dont les désordres sont apparus d'ailleurs quelques années seulement après son achèvement, d'appliquer un coefficient de réduction pour tenir compte de la vétusté de l'ouvrage ; qu'il y a lieu d'ajouter, cependant, à cette somme les frais des études réalisées pour le compte du maître d'ouvrage, confiées notamment à la société Créocéan, utiles à la résolution du présent litige, pour déterminer les causes des désordres et les travaux nécessaires pour y remédier, limités au montant de 9 772 641 FCFP TTC dont la Polynésie française justifie ; qu'à supposer que la Polynésie française n'ait pas entendu abandonner dans son mémoire de reprise d'instance ses conclusions antérieures tendant à l'indemnisation des frais de maîtrise d'oeuvre et des travaux provisoires à réaliser sur l'ouvrage en vue de rejeter temporairement les effluents dans le lagon, de tels chefs de préjudice, outre que leur réalité n'est pas établie, ne sauraient être retenus dès lors que seuls les travaux de reconstruction de l'ouvrage avec rejet des effluents en mer, dont l'indemnisation est admise par le présent arrêt dans les conditions susmentionnées, sont de nature à remédier durablement aux désordres en cause et à satisfaire aux exigences fonctionnelles du marché, ainsi qu'il a été dit ; que, dès lors, il y a lieu de fixer le préjudice indemnisable total au montant de 211 642 728 FCFP TTC, montant inférieur, en tout état de cause, aux prétentions de la Polynésie française présentées en première instance ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de prescrire une expertise judiciaire, qu'il sera fait une juste appréciation de la réparation due à la Polynésie française du chef des désordres susmentionnés en condamnant les sociétés Speed et Boyer à lui verser, chacune, une somme de 70 547 576 F CFP TTC au titre de la garantie décennale ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
14. Considérant que, en application de l'article 1153 du code civil, il y a lieu de fixer le point de départ des intérêts des indemnités précitées dues à la Polynésie française au 13 juin 2012, date d'enregistrement de la requête d'appel, date à laquelle elle a pareillement demandé la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date, cependant, il n'était pas dû plus d'une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à la date du 13 juin 2013, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par les sociétés Speed et Boyer et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacune des sociétés Speed et Boyer une somme de 1 500 euros, au titre des frais exposés par la Polynésie française et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La société Speed et la société Boyer sont condamnées à verser, chacune, une somme de 70 547 576 F CFP à la Polynésie française. Ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2012. Les intérêts échus le 13 juin 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : La société Speed versera à la Polynésie française la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Boyer versera à la Polynésie française la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Polynésie française, à la SAS Société Polynésienne de l'Eau, de l'Electricité et des Déchets et à la SA Boyer.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- M. Dellevedove, premier conseiller,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 juillet 2016.
Le rapporteur,
E. DELLEVEDOVE Le président,
B. EVEN
Le greffier,
A-L. CALVAIRE
La République mande et ordonne au ministre des Outre mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA00595