Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 octobre 2014 par laquelle Mme F...E..., vice-présidente de l'Assemblée nationale, lui a infligé la sanction du rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, ainsi que la décision du 12 novembre 2014, intervenue sur recours gracieux, par laquelle le Bureau de l'Assemblée nationale a confirmé cette sanction, et de condamner l'Etat à lui verser la somme d'un euro symbolique au titre de son préjudice moral, ainsi qu'une somme égale au quart de l'indemnité parlementaire dont il a été privé pendant un mois.
Par un jugement n° 1500257/7 du 24 juin 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 24 août 2015, 10 février 2016 et 22 juin 2016, M.B..., représenté par Me G...A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 15000257 du 24 juin 2015 ;
2°) d'inviter l'Académie française à éclairer la Cour, en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative ;
3°) d'annuler la décision du 6 octobre 2014 par laquelle MmeE..., vice-présidente de l'Assemblée nationale, lui a infligé la sanction du rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, ainsi que la décision du 12 novembre 2014 par laquelle le Bureau de l'Assemblée nationale a confirmé cette sanction ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme d'un euro symbolique et une somme équivalente au quart de l'indemnité parlementaire dont il a été privé pendant un mois ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le rejet du recours gracieux formé contre cette sanction a été pris par le Bureau de l'Assemblée nationale, qui ne présente pas le caractère d'une juridiction indépendante ;
- il a droit à un recours juridictionnel et à un procès équitable au sens des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la juridiction administrative est compétente pour statuer sur la légalité des sanctions infligées aux membres de l'Assemblée nationale, qui sont des mesures unilatérales prises sur le fondement de prérogatives de puissance publique ;
- l'incompétence retenue par les premiers juges constitue un déni de justice ;
- le jugement attaqué est irrégulier car il ne comporte pas une formule exécutoire régulière ;
- la sanction attaquée a été prise par une autorité incompétente car le président de l'Assemblée nationale n'était pas absent et les conditions pour une suppléance n'étaient pas réunies ;
- elle est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de mise en oeuvre d'une procédure contradictoire permettant le respect des droits de la défense ;
- elle est entachée d'irrégularité en ce qu'elle n'est pas motivée ;
- elle est dépourvue de base légale ;
- elle méconnaît l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, l'usage des termes " Madame le président " étant conforme à la langue française ;
- elle porte atteinte à la liberté d'expression consacrée par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle constitue une peine automatique contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- elle est disproportionnée ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir ;
- l'illégalité de cette sanction engage la responsabilité sans faute de l'Etat ;
- il a subi un préjudice moral, qui doit être indemnisé à hauteur d'un euro, et un préjudice matériel représentant un quart de l'indemnité parlementaire dont il a été privé pendant un mois.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 16 novembre 2015 et 29 février 2016, l'Assemblée nationale, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de M. B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le président de l'Assemblée nationale a été régulièrement désigné dans la formule exécutoire du jugement attaqué ;
- le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs fait obstacle à la compétence de la juridiction administrative ;
- le litige n'est pas au nombre de ceux limitativement énumérés par l'ordonnance du 17 novembre 1958 comme relevant de la compétence du juge administratif ;
- le vice-président qui supplée le Président de l'Assemblée nationale est investi de tous les pouvoirs de celui-ci ;
- les règles de procédure invoquées sont inapplicables à la police des débats de l'Assemblée nationale ;
- l'intéressé a été informé de ce qu'il encourrait une sanction en cas de réitération des termes employés ;
- la sanction en cause est sans lien avec la langue française ;
- elle ne porte pas atteinte au droit d'expression d'un parlementaire ;
- le requérant ne justifie pas d'un grief défendable au sens de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la sanction est proportionnée aux faits reprochés ;
- elle ne révèle aucun détournement de pouvoir ;
- elle ne peut engager la responsabilité de l'Etat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;
- le règlement de l'Assemblée nationale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even,
- les conclusions de M. Cantié, rapporteur public,
- les observations de Me Margaroli, avocat de M.B...,
- et les observations de Me Jouy-Chamontin, avocat de l'Assemblée nationale.
1. Considérant que M.B..., député, a fait l'objet, lors de la séance publique de l'Assemblée nationale du 6 octobre 2014, de la sanction du rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal sur le fondement de l'article 71, alinéa 2, du règlement de l'Assemblée nationale, prononcée par MmeE..., vice-présidente de l'Assemblée nationale, présidente de séance, qui a été confirmée par le Bureau de cette Assemblée le 12 novembre 2014 ; que l'intéressé relève appel du jugement du 24 juin 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction et de cette décision du Bureau, ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices en résultant, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Sur le moyen tiré de l'irrégularité de la formule exécutoire figurant au sein du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R 751-1 du code de justice administrative : " Les expéditions de la décision délivrées aux parties portent la formule exécutoire suivante : " La République mande et ordonne au (indiquer soit le ou les ministres, soit le ou les préfets soit le ou les autres représentants de l'Etat désignés par la décision) en ce qui le (les) concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. " ; que si M. B...soutient que la formule exécutoire du jugement attaqué du 24 juin 2015 comporte de manière erronée la mention du président de l'Assemblée nationale, alors que seul le ministre chargé des relations avec le Parlement pouvait être chargé de l'exécution de cette décision juridictionnelle, cette circonstance, relative à la notification du jugement, est sans incidence sur sa régularité ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
3. Considérant que le règlement de l'Assemblée nationale détermine les peines disciplinaires applicables à ses membres ; que le régime de sanction ainsi prévu fait partie du statut des parlementaires, dont les règles particulières découlent de la nature de leurs fonctions ; que ce régime se rattache à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ; qu'il en résulte qu'il n'appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d'une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci, lesquelles sont des actes parlementaires et non des décisions administratives ; que ce principe s'applique tant aux conclusions tendant à l'annulation de ces sanctions qu'à celles tendant à la réparation des préjudices résultant de la mise en oeuvre de ce régime disciplinaire ; que ni les articles 13 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales portant respectivement sur le droit à un recours effectif et à un procès équitable, ni la circonstance qu'en vertu de la tradition constitutionnelle française aucune juridiction ne puisse être saisie d'un tel litige, ne sauraient avoir pour conséquence d'autoriser le juge administratif à se déclarer compétent ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, ni de solliciter l'avis de l'Académie française en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, les frais exposés par M. B...non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions de l'Assemblée nationale fondées sur ces mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2: Les conclusions de l'Assemblée nationale présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B...et au président de l'Assemblée nationale.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- M. Privesse, premier conseiller,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 juillet 2016.
Le président rapporteur,
B. EVENL'assesseur le plus ancien,
JC. PRIVESSE
Le greffier,
AL. CALVAIRE
La République mande et ordonne au ministre chargé des relations avec le Parlement en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA03424