Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mattout Entreprise a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) à lui verser la somme de 506 615,49 euros, augmentée des intérêts moratoires, au titre du règlement de deux marchés de travaux conclus les 7 septembre 2004 et 4 mai 2006 et concernant la gare de Marseille Saint-Charles, ou de prescrire une expertise en vue d'une indemnisation sur le terrain de la responsabilité extra-contractuelle.
Par un jugement n° 1305175/3-3 du 20 janvier 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et, faisant droit aux conclusions reconventionnelles de la SNCF, l'a condamnée à verser à celle-ci la somme de 130 936,18 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2009, ces intérêts étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 20 mars 2013 ainsi qu'à chaque nouvelle échéance annuelle ultérieure.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 mars 2015 et un mémoire enregistré le 29 février 2016, la société Mattout Entreprise, représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 20 janvier 2015 ;
2°) d'ordonner une expertise afin de déterminer, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle de la SNCF, le montant des dépenses utiles et du préjudice subi ;
3°) de mettre à la charge de la SNCF le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, le litige ne peut être réglé sur le terrain contractuel , les marchés étant entachés de nullité en raison d'un vice d'une particulière gravité affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; la SNCF a méconnu en effet les obligations de publicité et de mise en concurrence qui s'imposaient à elle pour la conclusion de ces marchés ; l'attribution du lot O8 H était soumise à l'article 1er de la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 et au décret n° 93-990 du 3 août 1993 ; ces dispositions ont été méconnues, eu égard à la valeur totale cumulée des lots de l'ouvrage, l'attribution du lot 15 devait respecter les dispositions de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et de son décret d'application n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 ; la liquidation judiciaire de l'attributaire initial du lot ne constituait pas une hypothèse permettant à la SNCF de se dispenser d'une publicité préalable et d'une nouvelle mise en concurrence de ce lot ;
- une expertise est nécessaire pour évaluer le montant du préjudice subi du fait de la faute commise par la SNCF ainsi que le montant des dépenses qui ont été utiles à celle-ci.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 février 2016, SNCF Mobilités conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Mattout au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 février 2016, la clôture de l'instruction a été reportée au 1er mars 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications ;
- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ;
- le décret n° 93-990 du 3 août 1993 relatif aux procédures de passation des contrats et marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications ;
- le décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 relatif aux marchés passés par les entités adjudicatrices mentionnées à l'article 4 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ;
- l'arrêté du 9 février 1994 relatif aux seuils de publicité des marchés publics et de certains contrats soumis à des règles de publicité ;
- le cahier des clauses et conditions générales (CCCG) applicables aux marchés de travaux de la SNCF du 24 octobre 2001 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Petit,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., pour la société Mattout Entreprise et de Me A..., pour la SNCF.
1. Considérant que, par deux lettres de commande du 7 septembre 2004 et du 4 mai 2006, cette dernière faisant suite à une lettre d'intention de commande du 3 juin 2005, la SNCF, agissant en qualité de maître d'ouvrage et de maître d'oeuvre, a confié, dans le cadre du projet du pôle transport Marseille Saint Charles, à la société Mattout Entreprise, deux marchés concernant d'une part, le lot n° 08H, relatif à la réalisation de " travaux de revêtement pierre du socle " nécessaires au projet d'aménagement du fond de Gare et Honnorat, pour un montant de 817 653,77 euros HT et d'autre part, le lot n° 15, relatif à la réalisation de " travaux de revêtement de sol en pierre naturelle de Montcaume ", pour un montant de 2 716 403,18 euros HT ; que la société Mattout Entreprise a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la SNCF, au titre du règlement de ces marchés, au paiement d'une somme de 9 013 euros HT, au titre du lot n° 08H et la somme de 467 602, 49 euros HT au titre du lot n° 15, puis, dans le dernier état de ses écritures, à écarter les marchés en raison de l'irrégularité entachant leur passation et d'ordonner une expertise afin de régler le litige sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle et de l'enrichissement sans cause ; que la SNCF a conclu, devant le tribunal administratif, à l'irrecevabilité de cette demande et a présenté des conclusions reconventionnelles ; que par un jugement du 20 janvier 2015, le Tribunal administratif a estimé que le litige devait être réglé sur le fondement des stipulations contractuelles, que les conclusions relatives au lot n° 08H étaient tardives et que celles relatives au lot n°15 étaient également irrecevables, le décompte définitif étant devenu intangible ; qu'il a, en conséquence, rejeté la demande de la société Mattout et, faisant droit aux conclusions reconventionnelles de la SNCF, condamné la société Mattout à verser à la SNCF la somme de 130 936,18 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2009 et de la capitalisation des intérêts ; que la société Mattout fait appel de ce jugement ;
2. Considérant que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;
3. Considérant que pour écarter l'application des stipulations contractuelles, la société Mattout Entreprise soutient que les marchés en litige lui ont été attribués en violation des obligations de publicité et de mise en concurrence résultant, pour le lot n°8H, de la loi du 11 décembre 1992 et du décret du 3 août 1993 et pour le lot n° 15, de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et du décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 susvisés ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 50 du décret n°2005-1308 du 20 octobre 2005 susvisé : " Les marchés et les accords-cadres pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d'appel à concurrence a été envoyé à la publication antérieurement à la date de publication du présent décret demeurent... " ; que, d'une part, le lot n° 8H a été attribué avant la publication de ce décret ; que, d'autre part, la société Mattout a, le 7 avril 2005, donné son accord à la reprise du marché correspondant au lot n° 15 ; que la SNCF lui a ensuite confirmé, le 3 juin 2005, soit antérieurement à la date de publication du décret du 20 octobre 2005, son intention de lui passer commande ; que, dans ces conditions, seules les dispositions de la loi du 11 décembre 1992 et du décret du 3 août 1993 sont applicables au présent litige ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 décembre 1992 alors en vigueur : " Est soumise à des mesures de publicité ainsi qu'à des procédures de mise en concurrence définies par décret en Conseil d'Etat la passation des contrats de fournitures et de travaux, dont le montant est égal ou supérieur à des seuils fixés par arrêté du ministre chargé de l 'économie et des finances et que se proposent de conclure avec un fournisseur ou un entrepreneur, lorsqu'ils exercent les activités mentionnées à l'article 2, les organismes suivants : (régis, pour leur passation, par les dispositions du décret n° 93-990 du 3 août 1993) 3°) Les exploitants publics et les établissements publics ayant un caractère industriel et commercial (régis, pour leur passation, par les dispositions du décret n° 93-990 du 3 août 1993) " ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 3 août 1993 susvisé : " Il ne peut être recouru à une procédure sans mise en concurrence préalable que dans les cas suivants : (régis, pour leur passation, par les dispositions du décret n° 93-990 du 3 août 1993) 5° Urgence impérieuse, résultant d'événements imprévisibles, lorsqu'elle n'est pas compatible avec les délais exigés dans les procédures ouvertes ou restreintes (régis, pour leur passation, par les dispositions du décret n° 93-990 du 3 août 1993) " ; qu'aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 février 1994 susvisé : " Le seuil est fixé à 32 700 000 F hors TVA (régis, pour leur passation, par les dispositions du décret n° 93-990 du 3 août 1993) " ; qu'aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Pour les contrats de travaux, le montant à comparer au seuil fixé à l'article 4 du présent arrêté est déterminé dans les conditions ci-après : On entend par ouvrage le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique. Lorsqu' un ouvrage est réparti en plusieurs lots faisant l'objet chacun d'un contrat, la valeur cumulée de tous les lots doit être prise en compte pour l'application du seuil. Lorsque cette valeur dépasse le montant du seuil, il peut être dérogé à l'application des dispositions relatives aux mesures de publicité et de mise en concurrence pour les lots dont la valeur estimée est inférieure à 6 500 000 F hors TVA et pour autant que le montant cumulé de ces lots n'excède pas 20 p. 100 de la valeur cumulée de tous les lots. La valeur estimée des fournitures nécessaires à l'exécution des travaux et mises à disposition de l'entrepreneur par la personne responsable du marché ou la personne qui se propose de conclure un contrat est prise en compte dans le montant à comparer au seuil " ;
6. Considérant, d'une part, que si le montant du lot n° 8H, égal à 817 653,77 euros HT, était inférieur au seuil d'application des procédures formalisées fixé par les dispositions précitées, la SNCF ne conteste pas sérieusement que ce lot composait, avec d'autres lots, un unique ouvrage, correspondant à l'aménagement du fond de gare du pôle Transports Marseille Saint-Charles ; que le montant à prendre en compte pour l'application du seuil était ainsi la valeur cumulée de tous les lots ; que, toutefois, le montant du lot n° 8H, inférieur à 6 500 000 F HT, était susceptible de bénéficier de la dérogation prévue à l'article 6 de l'arrêté du 9 février 1994 ; qu'en admettant même que cette dérogation ait été exclue en raison du montant cumulé des lots dont la valeur estimée était inférieure à 6 500 000 F hors TVA, lequel aurait excédé 20 p. 100 de la valeur cumulée de tous les lots, il résulte de l'instruction que la SNCF avait consulté plusieurs entreprises avant d'attribuer le marché et que plusieurs offres lui avaient été présentées ; que, dans ces conditions, le vice qui résulterait de l'absence de mise en oeuvre d'une procédure formalisée ne présente pas un degré de gravité tel que le litige ne pourrait être réglé sur le fondement des stipulations contractuelles ;
7. Considérant, d'autre part, que le montant du marché correspondant au lot n° 15, égal à 2 716 403,18 euros HT, excédait le seuil précité de 6 500 000 F HT permettant, sous certaines conditions, de passer le marché sans procédure formalisée ; qu'il est constant que ce marché a été passé de gré à gré ; que le non respect par la SNCF des procédures de passation appropriées au montant du marché qui est sans incidence sur les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, ne peut être regardé à lui seul comme un vice d'une particulière gravité ; qu'au demeurant, il résulte de l'instruction que l'absence de mise en concurrence résulte de la défaillance du précédent titulaire de ce lot, placé en redressement puis en liquidation judiciaire, dont le marché, qui avait été passé selon la procédure d'appel d'offres, a dû être résilié le 11 avril 2005 ; que dans ces conditions, compte tenu des circonstances dans lesquelles l'illégalité a été commise, il ne résulte pas de l'instruction, que par exception au principe rappelé au point 2, le litige ne pourrait être réglé sur le fondement des stipulations contractuelles ;
8. Considérant que la société Mattout ne conteste pas, en appel, l'irrecevabilité de ses conclusions de première instance fondées sur la responsabilité contractuelle de la SNCF, retenue par les premiers juges ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Mattout n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande et a fait droit aux conclusions reconventionnelles de la SNCF ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Mattout le versement à SNCF Mobilités de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Mattout est rejetée.
Article 2 : La société Mattout versera à SNCF Mobilités la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mattout Entreprise et à SNCF Mobilités.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- Mme Petit, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 mai 2016.
Le rapporteur,
V.PETITLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P.TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA01194