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12/04/2016 | FRANCE | N°14PA05152

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 12 avril 2016, 14PA05152


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MmeF..., veuve de M. D...C..., M. A... C..., Mme B...C..., M. G... C...et M. E... C..., leurs enfants, qui ont repris en qualité d'ayants droits l'instance engagée par M. D...C...de son vivant, ont demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, à titre principal, d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le ministre de la défense a refusé d'indemniser celui-ci sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais

nucléaires français et d'enjoindre au ministre de les indemniser des préj...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MmeF..., veuve de M. D...C..., M. A... C..., Mme B...C..., M. G... C...et M. E... C..., leurs enfants, qui ont repris en qualité d'ayants droits l'instance engagée par M. D...C...de son vivant, ont demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, à titre principal, d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le ministre de la défense a refusé d'indemniser celui-ci sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et d'enjoindre au ministre de les indemniser des préjudices subis par M. D... C...en raison de son exposition aux rayonnements ionisants, à hauteur de la somme totale de 54 665 517 Francs CFP, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin d'évaluer ces préjudices et, à titre infiniment subsidiaire, de condamner l'État à les indemniser de ces préjudices et d'enjoindre au ministre de procéder à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont il était atteint ;

Par un jugement n° 1300167/1 du 23 septembre 2014, le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné l'État à verser aux consorts C...une indemnité totale de 8 656 474 Francs CFP en réparation des préjudices subis par M. D...C....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 19 décembre 2014, 10 février et 12 février 2016, le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement susvisé du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) et de rejeter la demande présentée par les consorts C...devant le Tribunal administratif de la Polynésie française ;

Il soutient que :

- les mesures de protection et de surveillance, tant internes qu'externes, dont a bénéficié M. C... étaient suffisantes ;

- la méthode utilisée par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a été correctement appliquée ;

- le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de l'intéressé a été évalué comme étant négligeable, de sorte que la présomption de causalité instituée par la loi a été renversée.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement les 22 décembre 2015 et 12 février 2016, Mme F...veuveC..., M. A... C..., Mme B...C..., M. G... C...et M. E... C..., représentés par le cabinet Teissonière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de la défense sont non fondés.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé partiellement sur un moyen relevé d'office tiré de la méconnaissance par les premiers juges de leur office.

Par ordonnance du 15 février 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 mars 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dellevedove,

- les conclusions de M. Cantié, rapporteur public,

- et les observations de Me Mélin, avocat des consortsC....

1. Considérant que M. D...C..., né le 19 octobre 1938, recruté localement par le ministère de la défense, a été employé par le centre d'expérimentation du Pacifique du 4 novembre 1966 au 28 octobre 1992 en qualité de matelot, pilote de baleinière ; que, jusqu'à son affectation au port de Papeete en 1984, il a embarqué sur divers navires de la marine nationale ayant pour mission d'assurer le transport de matériels et de troupes notamment sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, ainsi que la collecte d'échantillons marins et le ravitaillement lors des campagnes d'essais nucléaires atmosphériques menées sur ces atolls ; que M. C...est décédé le 18 décembre 2012 des suites d'un cancer de l'oesophage, dont le diagnostic a été établi en 1992 ; que, par un jugement du 22 juin 2012, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé la décision du 25 juillet 2011 par laquelle le ministre de la défense a refusé de l'indemniser sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, saisi à nouveau par M.C..., le ministre de la défense a, par une décision implicite, puis par la décision explicite contestée du 26 décembre 2013, prise conformément à la recommandation émise le 9 avril 2013 par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), refusé à nouveau de l'indemniser sur ce même fondement au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont il était atteint était négligeable ; que le ministre de la défense fait appel du jugement du 23 septembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné l'État à verser à ses ayants droits susvisés, ayant repris l'instance, une somme de 8 656 474 FCFP en réparation du préjudice résultant de la maladie de M. C...;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que lorsque sont présentées dans la même instance des conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision et des conclusions relevant du plein contentieux tendant au versement d'une indemnité pour réparation du préjudice causé par l'illégalité fautive que le requérant estime constituée par cette même décision, cette circonstance n'a pas pour effet de donner à l'ensemble des conclusions le caractère d'une demande de plein contentieux ;

3. Considérant qu'il ressort des termes du mémoire introductif d'instance présenté par M. C... que la demande formulée par l'intéressé tendait, à titre principal, à l'annulation de la décision implicite de rejet du ministre de la défense susvisée et ne contenait pas de conclusion tendant à la condamnation de l'État ; que, si le mémoire de reprise d'instance produit par les consorts C...contenait expressément des conclusions à fin de condamnation de l'État à les indemniser intégralement des préjudices subis par M. D...C..., présentées à titre infiniment subsidiaire, auxquelles le Tribunal administratif de la Polynésie française a fait partiellement droit, il ne s'est pas prononcé sur les conclusions présentées dans ce même mémoire, à titre principal, tendant à l'annulation de la décision susmentionnée du ministre de la défense du 26 décembre 2013, qui s'est substituée à la décision implicite de refus susmentionnée, alors que lesdites conclusions présentées à titre infiniment subsidiaire ne pouvaient avoir pour effet de donner à l'ensemble des conclusions le caractère d'une demande de plein contentieux ; qu'en conséquence, le Tribunal administratif de la Polynésie française ayant estimé à tort qu'il était saisi d'un recours de plein contentieux alors que les requérants avaient formé devant lui, à titre principal, un recours pour excès de pouvoir assorti d'une demande d'injonction a méconnu le champ de son office ; que, par suite, ce jugement est entaché d'une irrégularité et doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les consorts C...devant le Tribunal administratif de la Polynésie française ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable à la date de la décision contestée : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...). / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable (...) / III. (...) le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de (...) donner. (...) le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. (...) " ; que le décret susvisé du 11 juin 2010 pris pour l'application de cette loi comporte en annexe la liste des maladies mentionnées à l'article 1er de la loi ; qu'aux termes de l'article 7 de ce décret, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. / La documentation relative aux méthodes retenues par le comité d'indemnisation est tenue à la disposition des demandeurs. " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Algérie et en Polynésie française, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs et la dose reçue de rayonnements ionisants ;

6. Considérant qu'il est constant qu'en raison de son affectation en Polynésie française pendant la période des essais nucléaires et de la nature de la maladie dont il est décédé, M. D... C...réunissait les conditions propres à le faire bénéficier, ainsi que ses ayants droit, de la présomption de causalité prévue par la loi ; que les consorts C...soutiennent que le ministre ne pouvait remettre en cause cette présomption en s'appuyant sur la méthodologie du CIVEN en l'absence de mesures de surveillance individuelle de contamination externe ou interne suffisantes, alors qu'il séjournait dans le périmètre des retombées d'essais nucléaires ;

7. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

8. Considérant que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires, s'appuie dans son principe sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prend en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence basée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires, et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 4 et 6, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du dossier médical de M. C... et de la recommandation susmentionnée du CIVEN, et il n'est pas contesté que, entre le 4 novembre 1966 et le 13 février 1969, période au cours de laquelle ont eu lieu huit essais nucléaires atmosphériques, l'intéressé a fait l'objet d'une surveillance dosimétrique externe partielle, par le port de dosimètres individuels, qui a révélé une irradiation totale de 4,15 mSv, à laquelle le CIVEN a ajouté, conformément à sa méthodologie, les doses équivalentes à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels de valeur nulle, soit au total une dose équivalente de 6,55 mSv sur cette période ; que M. C...a été l'objet, le 28 avril 1969, au titre de la surveillance de la contamination interne, d'un examen d'anthroporadiamétrie qui s'est révélé normal ; que, toutefois, au cours des campagnes de tirs réalisées de 1970 à 1974, au cours desquelles ont eu lieu 31 essais nucléaires atmosphériques, M. C...n'a fait l'objet d'aucune mesure de surveillance individuelle externe ou interne ; que le CIVEN lui a attribué forfaitairement une dose de 3 mSv correspondant à sa présence durant ces campagnes de tirs, sans se référer expressément à une valeur de dosimétrie d'ambiance, dose à laquelle il a ajouté une dose de 5 mSv pour tenir compte des retombées de l'essai " Centaure " intervenu le 17 juillet 1974, en raison de la localisation de son domicile à cette époque, soit un niveau de dose de 8 mSv sur cette même période de 1970 à 1974, soit un niveau de dose d'exposition aux rayonnements ionisants retenue au total pour M. C... de 14,55 mSv ; que, compte tenu des conditions de présence de l'intéressé sur les sites expérimentations nucléaires, de la nature des fonctions exercées, de la nature de sa maladie, de la date à laquelle elle a été constatée, ainsi que du niveau de l'exposition retenue correspondant à la dose précitée, le CIVEN a estimé que la probabilité d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont M. C... a été atteint, évaluée selon les recommandations de l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), était de 0,30 %, soit inférieure à 1 %, et en a déduit que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. C...pouvait être considéré comme négligeable ;

10. Considérant que le ministre de la défense, s'appuyant notamment sur l'étude technique et médicale de la situation de M. C...établie le 16 décembre 2014 par le CIVEN, fait valoir que, compte tenu de ses missions, de sa situation pendant les essais, des mesures effectuées sur les différents sites et de l'expérience acquise sur la période 1966-1969 en termes de dosimétrie d'ambiance et de mesures de surveillance individuelle, les mesures de surveillance externe et interne individuelles dont a bénéficié M. C...étaient suffisantes au regard des principes exposés au point 7 ; qu'il ressort, toutefois, des pièces du dossier que l'intéressé n'a fait l'objet d'aucune mesure de surveillance individuelle externe ou interne au cours des campagnes d'essais de 1970 à 1974 et que des différences importantes et des incohérences peuvent être constatées, sur la période précédente, entre les valeurs des dosimétries d'ambiance relevées sur les ravitailleurs Berry et Blavet, à bord desquels M. C...a exercé ses fonctions, et les valeurs constatées sur les dosimètres individuels qu'il portait, de nature à faire regarder comme insuffisantes les dosimétries d'ambiance relevées sur ces navires pour rendre compte de l'exposition de l'intéressé aux rayonnements ionisants ; que, si le ministre soutient que, à partir des campagnes d'essais de l'année 1970, seuls les bâtiments pénétrant en zone contrôlée, définie comme la zone où les personnels étaient susceptibles de recevoir une dose individuelle supérieure à 15 mSv par an, faisaient l'objet d'une surveillance dosimétrique d'ambiance et que M.C..., n'ayant pas travaillé sur ces navires, n'aurait jamais pénétré en zone contrôlée, il ne l'établit pas, alors qu'il ressort des pièces du dossier et notamment de l'étude du 16 décembre 2014 que l'intéressé n'ait pas, dans le cadre de ses missions, fait escale sur l'atoll de Mururoa au cours des jours suivant les essais ; que compte tenu des incohérences précitées et de l'absence de précision suffisante apportée par le ministre s'agissant de la localisation des navires concernés, l'absence de dosimétrie d'ambiance à bord pour évaluer l'exposition subie par M. C...ne saurait être justifiée sur la période des campagnes de tirs de 1970 à 1974 à partir de l'expérience acquise sur la période précédente et des mesures collectives effectuées sur les différents sites ; que la circonstance que l'examen d'anthroporadiamétrie dont M. C...a fait l'objet le 28 avril 1969, soit près de huit mois après le dernier essai de la campagne de l'année 1968, se soit avéré normal, n'est pas de nature, dans ces conditions, à justifier l'absence de tout examen de surveillance de sa contamination interne au titre des campagnes de tirs de 1970 à 1974, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'au cours de ces années des retombées radioactives significatives ne pouvaient être exclues, le CIVEN ayant d'ailleurs lui-même attribué à l'intéressé une dose forfaitaire de 5 mSv pour tenir compte seulement des retombées de l'essais " Centaure " au regard de la localisation de son domicile, ainsi qu'il a déjà été dit ; qu'ainsi, le ministre de la défense n'établit pas, comme il lui appartient de le faire en vertu des principes exposés au point 7, en l'absence de mesures de surveillance individuelles de la contamination interne ou externe de M. C...et en l'absence de données relatives à la situation des personnes se trouvant dans une situation comparable du point de vue du lieu et de la date de séjour, que de telles mesures n'étaient pas nécessaires au cours des campagnes de tir de l'année 1970 à 1974 au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, ni que le CIVEN pouvait se borner, selon les principes exposés au point 8, à attribuer les doses forfaitaires susmentionnées, pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de l'intéressé ; que, dans ces conditions, le ministre de la défense ne peut être regardé comme ayant apporté la preuve du caractère négligeable, au sens des dispositions susmentionnées, du risque attribuable aux essais nucléaires, ni, par voie de conséquence, démontré que la présomption d'imputabilité de la maladie de M. C...aux rayonnements ionisants devait être écartée ; que, dès lors, le ministre de la défense ne pouvait légalement refuser pour ce motif d'indemniser ses ayants droit sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 ; que, par suite, la décision contestée du 26 décembre 2013 est illégale et doit être annulée ; que la circonstance, à la supposer établie, que M. C...ait eu un antécédent éthylo-tabagique de nature à influer sur le risque de survenue de sa maladie cancéreuse, qui n'a pas été mentionnée par le CIVEN ni par le ministre dans la décision attaquée, est sans incidence en l'absence de mesures de surveillance suffisantes de nature à permettre d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction issue de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale : " I - Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui se prononce par une décision motivée dans un délai de huit mois suivant le dépôt du dossier complet (...) / VI. - Les modalités de fonctionnement du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, les éléments que doit comporter le dossier présenté par le demandeur, ainsi que les modalités d'instruction des demandes, et notamment les modalités permettant le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, sont fixés par décret en Conseil d'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article 5 de la loi précitée du 5 janvier 2010 : " L'indemnisation est versée sous forme de capital. / Toute réparation déjà perçue par le demandeur à raison des mêmes chefs de préjudice, et notamment le montant actualisé des pensions éventuellement accordées, est déduite des sommes versées au titre de l'indemnisation prévue par la présente loi. " ; qu'aux termes du III de l'article 54 de la loi du 18 décembre 2013 : " Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires continue d'instruire les demandes d'indemnisation, dans la composition qui est la sienne à la date de promulgation de la présente loi, jusqu'à l'entrée en vigueur du décret en Conseil d'Etat prévu au VI de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 précitée, puis des décrets de nomination correspondant à la nouvelle composition du comité " ; que le décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, pris en application du VI de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 prévoit, dans son article 12 que : " le comité peut faire réaliser des expertises. Lorsque le comité recourt à des expertises médicales, le demandeur est convoqué (...). Il peut se faire assister d'un médecin de son choix. / (...) Le rapport de l'expert médical chargé de l'examen du demandeur doit être adressé dans les vingt jours au comité d'indemnisation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ainsi qu'au demandeur, par l'intermédiaire du médecin qu'il désigne et, le cas échéant, au médecin qui l'a assisté (...) " ; qu'aux termes de l'article 17 de ce décret : " les modalités de fonctionnement et les règles de procédure définies par le présent décret ne s'appliquent qu'à compter de l'installation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires dans les conditions prévues par le III de l'article 54 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 susvisée " ; que les membres du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ont été désignés par un décret du 24 février 2015, publié au Journal officiel du 26 février 2015 ;

12. Considérant que les motifs qui s'attachent à l'annulation, par le présent arrêt, de la décision du ministre de la défense du 26 décembre 2013 impliquent seulement mais nécessairement que la procédure instituée par la législation susmentionnée soit reprise et que le CIVEN présente une proposition d'indemnisation aux consortsC..., après avoir, le cas échéant, fait réaliser une expertise ;

Sur les dépens et les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que la présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentées à ce titre par les consorts C...ne peuvent qu'être rejetées ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, soit 300 euros chacun, au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 23 septembre 2014 et la décision du ministre de la défense du 26 décembre 2013 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de présenter aux consorts C...une proposition d'indemnisation des préjudices subis par M. D... C...du fait de l'affection dont il est décédé, dans le délai de quatre mois, à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à chacun des consorts C...susvisés une somme de 300 euros chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense, à MmeF..., veuveC..., à M. A... C..., à Mme B...C..., à M. G... C..., à M. E... C...et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Copie en sera adressée à la Caisse générale de prévoyance des affaires maritimes, à l'Etablissement national des invalides de la marine et au haut-commissaire de la république en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 22 mars 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- M. Dellevedove, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 avril 2016.

Le rapporteur,

E. DELLEVEDOVELe président,

B. EVEN

Le greffier,

A-L. CALVAIRE

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA05152


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA05152
Date de la décision : 12/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Diverses sortes de recours - Recours pour excès de pouvoir - Recours ayant ce caractère.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Faits n'engageant pas la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Ermès DELLEVEDOVE
Rapporteur public ?: M. CANTIE
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-04-12;14pa05152 ?
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