Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler les décisions par lesquelles le proviseur du lycée polyvalent Saint-Exupéry et le président ordonnateur du GRETA tertiaire 94 lui ont refusé, le 6 septembre 2010, l'accès au lycée afin d'y suivre la formation continue au brevet de technicien supérieur (BTS) " assistante de gestion PME/PMI " en raison du port d'un signe religieux, confirmées oralement par le proviseur de l'établissement le 20 septembre 2010 et par une décision du président du GRETA du 23 septembre 2010, ainsi que la décision du 25 janvier 2011 par laquelle le recteur de l'académie de Créteil a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1106254/5 du 19 novembre 2013, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 février 2014, Mme B..., représentée par Me Suffern, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 novembre 2013 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du proviseur du lycée polyvalent Saint-Exupéry et du président ordonnateur du GRETA Tertiaire 94 lui refusant l'accès au lycée afin d'y suivre la formation continue au brevet de technicien supérieur (BTS) " assistante de gestion PME/PMI " ainsi que la décision du 25 janvier 2011 du recteur de l'académie de Créteil rejetant son recours hiérarchique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du Tribunal administratif de Melun est irrégulier dès lors que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de ce que seule une loi pouvait interdire, de manière générale et absolue, aux stagiaires des GRETA le port de signes religieux ;
- la demande introductive d'instance n'est pas tardive ;
- les décisions attaquées sont entachées d'une erreur de droit, car les stagiaires des GRETA, n'étant pas concernés par les dispositions de la loi du 15 mars 2004 introduites à l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'interdiction générale et absolue du port de signes religieux ;
- une telle interdiction ne saurait être imposée que par une loi ;
- le simple port de signes religieux ne permet pas de conclure à l'existence d'une menace à l'ordre public ou au bon fonctionnement du lycée qui justifierait qu'il soit ainsi porté atteinte à sa liberté de manifester sa religion ;
- ni le contexte actuel de tension invoqué par le recteur, ni le côtoiement, très limité, des élèves du lycée avec les stagiaires des GRETA ne permettent de justifier une telle interdiction ;
- les décisions ont été prises en méconnaissance du principe de liberté religieuse, protégé tant par le droit interne que par l'article 9 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'interdiction du port d'un signe religieux faite à un stagiaire en formation professionnelle d'un GRETA constitue une discrimination à raison de la religion au sens du 2° de l'article 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, de l'article 225-1 du code pénal et des articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le courrier du 22 décembre 2008 du ministre de l'éducation nationale, sur lequel se fonde la décision du recteur de l'académie de Créteil, est lui-même illégal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2014, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 10 avril 2014, Mme B...reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens.
Elle soutient en outre que :
- le côtoiement entre élèves du lycée et stagiaires du GRETA, qui est éventuel, sporadique et très limité, ne saurait suffire à caractériser un risque pour le bon fonctionnement du service public ;
- des femmes de confession musulmane portant le foulard ont pu assister à des formations organisées par des GRETA au sein d'établissements scolaires publics sans que leur présence n'occasionne de troubles pour le bon fonctionnement du service public de l'éducation nationale ;
- son exclusion du GRETA constitue une discrimination illégale à raison de la religion ;
- dès lors que le ministre et le directeur du GRETA refusent de produire le règlement intérieur du GRETA Tertiaire 94, il y a lieu de considérer qu'il comporte une interdiction générale et absolue du port de signes ou tenues religieux par les stagiaires du GRETA.
Une ordonnance, en date du 14 avril 2015, a fixé la clôture de l'instruction, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, au 4 mai 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'éducation ;
- le code pénal ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Petit,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me Suffern, représentant MmeB....
1. Considérant que Mme B...a été autorisée à participer, en septembre 2010, au titre de la formation continue, au brevet de technicien supérieur (BTS) " assistante de gestion PME/PMI " proposée par le GRETA Tertiaire 94 et dispensée dans les bâtiments du lycée Antoine de Saint-Exupéry à Créteil ; qu'elle s'est vue, le premier jour de cette formation, refuser l'accès aux cours par le proviseur du lycée et le représentant du GRETA, en raison du port d'un " foulard islamique " ; que le président du GRETA a, le 23 septembre 2010, confirmé l'interdiction faite à Mme B...de suivre la formation si elle était revêtue de ce foulard ; que le recours hiérarchique formé à l'encontre de ces décisions a été rejeté par une décision du recteur de l'académie de Créteil du 25 janvier 2011 ; que Mme B...fait appel du jugement du 19 novembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions ;
Sur la légalité des décisions en litige :
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi " ; qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances... " ;
3. Considérant que le principe de la laïcité de l'enseignement public, qui résulte notamment des dispositions précitées et qui est l'un des éléments de la laïcité de l'Etat et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l'enseignement soit dispensé dans le respect, d'une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d'autre part, de la liberté de conscience de ceux qui les suivent ; que, toutefois, il résulte des normes constitutionnelles précitées que la liberté d'expression des stagiaires d'un groupement d'établissements publics locaux d'enseignement (GRETA), qui suivent un enseignement public dans le cadre de la formation continue, ne saurait leur permettre d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, à l'égard des autres usagers du service public, ni de perturber les activités d'enseignement ou le rôle éducatif des enseignants, ou de troubler l'ordre dans l'établissement ou le bon fonctionnement du service public ;
4. Considérant que s'il ressort des pièces du dossier que les stagiaires du GRETA suivant l'enseignement du BTS " gestion PME/PMI " au Lycée Saint-Exupéry, auquel s'était inscrite Mme B..., suivent des formations spécifiques dans des salles de cours qui leur sont réservées, ces stagiaires sont cependant amenés à utiliser en partie des locaux également fréquentés par les élèves de ce lycée et que l'enseignement de ce BTS, était dispensé à temps plein, entre 8h30 et 17h30 ; qu'ainsi, dans les conditions dans lesquelles se déroulait cet enseignement, les stagiaires du GRETA étaient amenés à rencontrer les élèves de ce lycée ; que la présence simultanée, dans l'enceinte d'un même établissement, de ces élèves, qui sont soumis, en application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, à l'interdiction de port de signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, et d'une stagiaire du GRETA portant un tel signe, était dès lors, dans les circonstances de l'espèce, de nature à troubler l'ordre dans cet établissement ; qu'il ressort des pièces du dossier que, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, le proviseur du lycée puis le président du GRETA et le recteur de l'académie de Créteil auraient pris les mêmes décisions à l'égard de la requérante s'ils s'étaient fondés sur ce seul motif ;
5. Considérant, en .deuxième lieu, qu'aux termes du second alinéa de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'il résulte de ce qui précède que les décisions en litige sont fondées, ainsi qu'il a été dit, sur la nécessité d'assurer l'ordre dans l'établissement; qu'elles ne portent pas une atteinte excessive à sa liberté de manifester sa religion au regard de l'intérêt général poursuivi ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ces décisions auraient méconnu les stipulations de l'article 9 de ladite convention ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 susvisée portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, (...), une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.(...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi : " Sans préjudice de l'application des autres règles assurant le respect du principe d'égalité : (...) ; 2° Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur ( ...) la religion ou les convictions (...) est interdite en matière (... ) de formation professionnelle et de travail (...) " ; que les décisions litigieuses ont été prises en vue d'assurer le bon fonctionnement du service public de l'éducation en préservant l'ordre dans l'établissement et ne sauraient être regardées comme constitutives d'une discrimination religieuse dont Mme B...aurait été victime ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les décisions contestées seraient constitutives d'une discrimination fondée sur son appartenance à une religion ;
7. Considérant, enfin, qu'à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation des décisions attaquées, Mme B...excipe de l'illégalité de la décision qui serait contenue dans un courrier du 22 décembre 2008 du ministre de l'éducation nationale adressé au président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ; que, cependant, ladite décision, qui est dépourvue de tout caractère réglementaire, ne constitue pas la base légale des décisions attaquées ; que, par suite, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision du 22 décembre 2008 ne peut qu'être écarté ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée au président du GRETA Tertiaire 94, au lycée polyvalent Antoine de Saint-Exupéry, au recteur de l'académie de Créteil et au défenseur des droits.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- Mme Petit, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 octobre 2015.
Le rapporteur,
V. PETITLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
A-L. CHICHOVSKY PASSUELLO
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA00582