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22/09/2015 | FRANCE | N°14PA05228

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 22 septembre 2015, 14PA05228


Vu la requête, enregistrée le 24 décembre 2014, présentée par le préfet de police de Paris ; le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1402002/5-3 du 15 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 9 décembre 2013 refusant de délivrer un titre de séjour à M. A...B..., lui a enjoint de délivrer à celui-ci un titre de séjour, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M.

B...devant le tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que :

- le jugement a...

Vu la requête, enregistrée le 24 décembre 2014, présentée par le préfet de police de Paris ; le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1402002/5-3 du 15 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 9 décembre 2013 refusant de délivrer un titre de séjour à M. A...B..., lui a enjoint de délivrer à celui-ci un titre de séjour, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation et d'une omission à statuer ;

- l'arrêté du 15 octobre 2014 n'est entaché d'aucune erreur de droit, est suffisamment motivé et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le motif de l'absence de communauté de vie peut être substitué au motif tiré du défaut de stabilité et d'ancienneté de la vie commune entre les époux retenu par l'arrêté contesté ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 février 2015, présenté pour M. B..., demeurant, ..., par Me Gayraud, qui conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne, et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé, est entaché d'une erreur de droit au regard de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 et des articles L. 121-1 et L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2015, présenté par le préfet de police qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 31 juillet 2015, présenté pour M. B..., qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 8 novembre 2012 dans l'affaire C-40/11 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 septembre 2015 :

- le rapport de M. Dellevedove, premier conseiller,

- les conclusions de M. Cantié, rapporteur public,

- et les observations de Me Gayraud, avocat de M. B...;

1. Considérant que M.B..., ressortissant japonais né le 11 juin 1984, est entré en France le 14 août 2012 sous couvert d'un visa de long séjour valable du 14 août 2012 au 14 août 2013 ; qu'il a épousé une ressortissante allemande le 9 août 2013 ; qu'il a sollicité, le 14 novembre 2013, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 121-1 et L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par un arrêté du 9 décembre 2013, le préfet de police lui a refusé la délivrance de ce titre ; que le préfet de police fait appel du jugement du 15 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ; que M. B...conclut au rejet de la requête et demande à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union " ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que, après avoir rappelé les textes applicables et les faits de l'espèce, les premiers juges ont répondu à l'ensemble des moyens et conclusions dont ils étaient saisis ; qu'ils n'avaient pas à répondre à l'ensemble des arguments présentés en défense par le préfet et ont suffisamment précisé les motifs les ayant conduit à estimer que le refus de séjour opposé à M. B...avait méconnu les dispositions de l'article L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, les moyens tirés de l'insuffisante motivation du jugement attaqué et de l'existence d'une omission à statuer doivent être écartés ;

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la directive susvisée du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres : " Aux fins de la présente directive, on entend par : / 1) 'citoyen de l'Union' : toute personne ayant la nationalité d'un État membre ; / 2) 'membre de la famille' : le conjoint (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 de cette directive : " 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de séjourner sur le territoire d'un autre État membre pour une durée de plus de trois mois : / a) s'il est un travailleur salarié ou non salarié dans l'État membre d'accueil, ou / b) s'il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil au cours de son séjour, et d'une assurance maladie complète dans l'État membre d'accueil / (...) 2. Le droit de séjour prévu au paragraphe 1 s'étend aux membres de la famille n'ayant pas la nationalité d'un État membre lorsqu'ils accompagnent ou rejoignent dans l'État membre d'accueil le citoyen de l'Union, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, points a), b) ou c) (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issu de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, qui a notamment procédé à la transposition, dans l'ordre juridique interne, des objectifs de la directive du 29 avril 2004 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne (...) a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : / 1° S'il exerce une activité professionnelle en France ; / (...) 4° S'il est un descendant direct âgé de moins de vingt et un ans ou à charge, ascendant direct à charge, conjoint, ascendant ou descendant direct à charge du conjoint, accompagnant ou rejoignant un ressortissant qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 121-3 de ce même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le membre de famille visé aux 4° ou 5° de l'article L. 121-1 selon la situation de la personne qu'il accompagne ou rejoint, ressortissant d'un Etat tiers, a le droit de séjourner sur l'ensemble du territoire français pour une durée supérieure à trois mois. / S'il est âgé de plus de dix-huit ans ou d'au moins seize ans lorsqu'il veut exercer une activité professionnelle, il doit être muni d'une carte de séjour. Cette carte, dont la durée de validité correspond à la durée de séjour envisagée du citoyen de l'Union dans la limite de cinq années, porte la mention : " carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union ". Sauf application des mesures transitoires prévues par le traité d'adhésion à l'Union européenne de l'Etat dont il est ressortissant, cette carte donne à son titulaire le droit d'exercer une activité professionnelle " ;

4. Considérant que, pour refuser de délivrer à M. B...une carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union, le préfet de police invoque dans ses mémoires produits en appel et qui ont été communiqué à l'intéressé, un autre motif que celui mentionné par la décision attaquée, tiré du défaut de stabilité et d'ancienneté de la vie commune entre les époux et soutient que l'intéressé ne remplissait donc pas les conditions prévues par l'article L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

5. Considérant, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans les motifs de ses arrêts C-127/08 du 25 juillet 2008 et C-40/11 du 8 novembre 2012, que le ressortissant d'un pays tiers, conjoint d'un citoyen de l'Union séjournant dans un État membre dont il n'a pas la nationalité, qui accompagne ou rejoint ce citoyen de l'Union, relève du champ d'application de la directive du 29 avril 2004, quels que soient le lieu et la date de leur mariage ainsi que la manière dont ce ressortissant d'un pays tiers est entré dans l'État membre d'accueil ; que " la notion de " membre de la famille " d'un citoyen de l'Union, définie à l'article 2, point 2, sous a), de cette directive repose sur sa seule qualité de conjoint et pas sur le constat d'une vie commune des époux ; que le conjoint du citoyen de l'Union entre dans le champ d'application de cette directive si le lien conjugal n'a pas été dissous, alors même que les époux seraient séparés ; que le lien conjugal ne peut être considéré comme dissous tant qu'il n'y a pas été mis un terme par l'autorité compétente et que tel n'est pas le cas des époux qui vivent simplement de façon séparée, même lorsqu'ils ont l'intention de divorcer ultérieurement, de sorte que le conjoint ne doit pas nécessairement habiter en permanence avec le citoyen de l'Union pour être titulaire d'un droit dérivé de séjour ;

6. Considérant que, contrairement à ce que soutient le préfet de police, il résulte des dispositions combinées des articles L. 121-1 et L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issus de la transposition par la loi de l'article 7 de la directive susvisée du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, éclairées notamment par les arrêts précités de la Cour de justice de l'Union européenne, que la délivrance d'une carte de séjour à un ressortissant d'un État tiers en sa qualité de conjoint d'un citoyen de l'Union européenne n'est subordonnée à aucune condition de communauté de vie entre les époux, ni à l'ancienneté et à la stabilité de cette vie commune ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est marié, le 9 août 2013, avec une ressortissante allemande, qui résidait en France à la date de l'arrêté contesté ; que, dans ces conditions, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, M. B...doit être regardé comme rejoignant son épouse au sens du 4° de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en lui refusant le séjour au motif que l'intéressé ne justifierait pas de l'ancienneté et de la stabilité de sa vie commune avec son épouse, le préfet de police, qui n'établit pas ni même n'allègue l'existence d'un abus de droit ou d'une fraude au mariage, a entaché son arrêté d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 9 décembre 2013 pour ce motif ;

Sur les conclusions de M.B... aux fins d'injonction :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;

9. Considérant que M. B...fait valoir que, en exécution du jugement du Tribunal administratif de Paris du 15 octobre 2014, le préfet de police lui a délivré un titre de séjour portant la mention " directive 96/71/CE ", laquelle concerne le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de service ; que, eu égard au motif d'annulation retenu, en l'absence d'éléments de droit ou de fait nouveaux, et dans la mesure où le préfet ne soutient pas que l'intéressé n'en remplirait pas les autres conditions, les motifs retenus par le présent arrêt impliquent que le préfet de police délivre à M. B...le titre de séjour mentionné à l'article L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portant la mention " carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union " ; qu'il y a lieu de prescrire cette injonction dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer un titre de séjour portant la mention " carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à M. B...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B...et au préfet de police de Paris.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- M. Privesse, premier conseiller,

- M. Dellevedove, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 septembre 2015.

Le rapporteur,

E. DELLEVEDOVELe président,

B. EVEN

Le greffier,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA05228


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA05228
Date de la décision : 22/09/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Ermès DELLEVEDOVE
Rapporteur public ?: M. CANTIE
Avocat(s) : GAYRAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-09-22;14pa05228 ?
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