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26/05/2015 | FRANCE | N°14PA04966

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 26 mai 2015, 14PA04966


Vu la requête, enregistrée le 8 décembre 2014, présentée par le préfet de police ; le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1410592 du 6 novembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de M. C...B...en annulant l'arrêté du préfet de police du 26 mai 2014 lui refusant sa demande de titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de des

tination, d'autre part, en lui faisant injonction de délivrer à l'intéress...

Vu la requête, enregistrée le 8 décembre 2014, présentée par le préfet de police ; le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1410592 du 6 novembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de M. C...B...en annulant l'arrêté du préfet de police du 26 mai 2014 lui refusant sa demande de titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination, d'autre part, en lui faisant injonction de délivrer à l'intéressé un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en qualité de salarié dans un délai de trois mois, enfin en mettant à la charge de l'Etat la somme de

1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que les circonstances retenues par le Tribunal administratif de Paris ne sauraient suffire à démontrer, par elles-mêmes, qu'en refusant à M. B...l'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié sur le fondement des dispositions de l'article

L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, telles que précisées par les points 2.2.1 et 2.2.2 de la circulaire du 28 novembre 2012, il aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de M.B... ; qu'en effet, l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée ne peut justifier la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile si ledit contrat de travail n'est accompagné du formulaire CERFA portant demande d'autorisation de travail pour un salarié étranger en France visé par les services de la main d'oeuvre étrangère ; que, d'autre part, l'étranger qui sollicite son admission exceptionnelle au séjour au regard de la circulaire du 28 novembre 2012 doit répondre cumulativement aux points 2.2.1 et 2.2.2 de ladite circulaire ; que c'est à tort que le tribunal a annulé pour ce motif, l'arrêté en litige ; que c'est également à tort qu'en conséquence de cette annulation, le Tribunal administratif de Paris lui a enjoint de délivrer à M. B...un titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a condamné l'Etat à verser à l'intéressé la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2015, présenté pour M. B... par MeA... ; M. B...soutient que :

Sur l'annulation de l'arrêté attaqué et confirmation du jugement du Tribunal administratif de Paris attaqué par le préfet de police :

- l'arrêté méconnaît la circulaire du 28 novembre 2012 et plus précisément le point 2.2.1 et 2.2.2 ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le préfet de police ne donne aucune indication utile sur les raisons pour lesquelles il se serait écarté des lignes directrices de la circulaire et qu'il remplit les conditions d'admission exceptionnelle au séjour ;

- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation globale du requérant ;

Sur les demandes indemnitaires :

- le requérant sollicite la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subi depuis le refus du préfet de régulariser sa situation en qualité d'étudiant d'abord et de salarié ensuite ;

Vu le mémoire de production, enregistré le 5 février 2015, présenté pour M. B... ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 23 février 2015, présenté par le préfet de police, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens que précédemment ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 4 mars 2015, présenté pour M. B..., qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la circulaire NOR INTK1229185C du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 sur les conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 mai 2015 :

- le rapport de M. Luben, président assesseur,

- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., pour M. B...;

1. Considérant que M.B..., ressortissant thaïlandais, né le 18 avril 1977 à Nakhon Pathom (Thaïlande), entré en France le 1er septembre 2008 selon ses déclarations, s'est vu délivrer le 23 septembre 2008 une carte de séjour portant la mention " étudiant " qui a été renouvelée à quatre reprises jusqu'au 22 septembre 2011 ; que M. B...s'est maintenu en situation irrégulière depuis le 22 octobre 2012, date d'expiration de son titre de séjour portant la mention " étudiant " ; qu'il a sollicité, le 13 février 2014, la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié " auprès du préfet de police qui a examiné sa demande au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avant de la rejeter par un arrêté en date du 26 mai 2014 ; que, par un jugement du 6 novembre 2014, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ; par une requête enregistrée à la Cour le

8 décembre 2014, le préfet de police relève appel de ce jugement ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant que, dans le cas où un texte prévoit l'attribution d'un avantage sans avoir défini l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre, l'autorité compétente peut, alors qu'elle ne dispose pas en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en oeuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation ; que, dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l'avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées ; qu'en revanche, il en va autrement dans le cas où l'administration peut légalement accorder une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit ; que s'il est loisible, dans ce dernier cas, à l 'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures, l'intéressé ne saurait se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif ;

3. Considérant, s'agissant de la délivrance des titres de séjour, qu'il appartient au législateur, sous réserve des conventions internationales, de déterminer les conditions dans lesquelles les étrangers sont autorisés à séjourner sur le territoire national ; que, si les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d' asile régissant la délivrance des titres de séjour n'imposent pas au préfet, sauf disposition spéciale contraire, de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui ne remplit pas les conditions auxquelles est subordonné le droit d'obtenir ce titre, la faculté pour le préfet de prendre, à titre gracieux et exceptionnel, une mesure favorable à l'intéressé pour régulariser sa situation relève de son pouvoir d'appréciation de l'ensemble des circonstances de l'espèce ; qu'il est loisible au ministre de l'intérieur, chargé de mettre en oeuvre la politique du Gouvernement en matière d'immigration et d'asile, alors même qu'il ne dispose en la matière d'aucune compétence réglementaire, d'énoncer des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l'exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d'appréciation ; que c'est toutefois au préfet qu'il revient, dans l'exercice du pouvoir dont il dispose, d'apprécier dans chaque cas particulier, compte tenu de l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle de l'étranger, l'opportunité de prendre une mesure de régularisation favorable à l'intéressé ;

4. Considérant qu'en dehors des cas où il satisfait aux conditions fixées par la loi, ou par un engagement international, pour la délivrance d'un titre de séjour, un étranger ne saurait se prévaloir d'un droit à l'obtention d'un tel titre ; que s'il peut, à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision préfectorale refusant de régulariser sa situation par la délivrance d'un titre de séjour, soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales que le ministre de l'intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en oeuvre de leur pouvoir de régularisation ;

5. Considérant, par suite, qu'en estimant, par le jugement attaqué, que la décision attaquée portant refus de titre de séjour était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des lignes directrices énoncées au point 2.2.1 de la circulaire susvisée du

28 novembre 2012, le Tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit ;

6. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article

L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) " ;

7. Considérant qu'il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels et, à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " ; que dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat lui permettant d'exercer une activité caractérisée par des difficultés de recrutement et figurant sur la liste établie au plan national par l'autorité administrative, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi ; qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu laisser à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels que celui-ci fait valoir ; qu'il lui appartient d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément sur la situation personnelle de l'étranger, tel que, par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., entré en France en 2008 en qualité d'étudiant, a obtenu des titres de séjour régulièrement renouvelés jusqu'en octobre 2012 ; que les pièces produites, à savoir notamment des récépissés de demande de carte de séjour, des cartes de séjour et de nombreux bulletins de salaire, permettent de caractériser la présence continue de M. B...sur le territoire français depuis au moins cinq ans à la date de l'arrêté attaqué ; que M. B... produit en outre un contrat de travail d'une durée d'un mois, en date du 30 juillet 2009, en qualité de serveur, puis un contrat à durée indéterminée en date du 1er octobre 2009, un nouveau contrat à durée indéterminée signée le 1er octobre 2011, ainsi que des fiches de salaire pour la période comprise entre juin 2009 et mai 2014, lesquelles mentionnent qu'il travaille pour la même entreprise depuis le mois de juillet 2009, soit une ancienneté de plus de trente mois ; que la circonstance que l'attestation signée, le 9 février 2014, par l'employeur de M. B... indique qu'il occupe un emploi de " responsable de salle " depuis le 1er octobre 2011, alors que les fiches de paye produites par M. B...ne font état de cette fonction qu'à partir d'avril 2013, ne permet pas d'établir l'inauthenticité de ces fiches de paye, alors qu'en tout état de cause, les fiches de paye fournies pour la période comprise entre octobre 2011 et avril 2013 mentionnent une activité de " service en salle " ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, et nonobstant les circonstances que, d'une part, M. B..., en situation irrégulière à partir de novembre 2012, a exercé son activité professionnelle sans l'accord préalable de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), et, d'autre part, que les responsabilités professionnelles confiées à M. B... ne sont pas en adéquation avec les études universitaires qu'il a suivies dans le domaine de la linguistique, le préfet de police, en refusant la délivrance du titre de séjour sollicité, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué en date du 6 novembre 2014, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté en date du 26 mai 2014 ;

Sur les conclusions indemnitaires présentées par M.B... :

10. Considérant qu'en principe, un défendeur n'est pas recevable à présenter, dans un litige tendant à l'annulation d'un acte pour excès de pouvoir, des conclusions reconventionnelles contre le demandeur ; que, par suite, les conclusions susvisées présentées par

M. B...doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : Les conclusions reconventionnelles présentées par M. B...sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2015, à laquelle siégeaient :

M. Krulic, président,

M. Luben, président assesseur,

Mme Amat, premier conseiller,

Lu en audience publique le 26 mai 2015.

Le rapporteur,

I. LUBEN

Le président,

J. KRULIC

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA04966


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA04966
Date de la décision : 26/05/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. KRULIC
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : SAK

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-05-26;14pa04966 ?
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