La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/03/2015 | FRANCE | N°14PA01982

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 19 mars 2015, 14PA01982


Vu la requête, enregistrée le 2 mai 2014, présentée par le préfet de police ;

Le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1316789/5-3 du 26 mars 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris, à la demande de Mme E...C..., a annulé son arrêté du

22 octobre 2013 retirant à Mme C...sa carte de résident valable du 18 novembre 2005 au

17 novembre 2015, lui refusant l'admission au séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et en fixant son pays de destination ;

2

°) de rejeter la demande présentée par Mme C...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Il ...

Vu la requête, enregistrée le 2 mai 2014, présentée par le préfet de police ;

Le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1316789/5-3 du 26 mars 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris, à la demande de Mme E...C..., a annulé son arrêté du

22 octobre 2013 retirant à Mme C...sa carte de résident valable du 18 novembre 2005 au

17 novembre 2015, lui refusant l'admission au séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et en fixant son pays de destination ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'arrêté du 22 octobre 2013 portant retrait de la carte de résident de Mme C...n'était pas légalement fondé et ce alors même que la délivrance dudit titre à l'intéressée avait été fondée sur une reconnaissance de paternité frauduleuse ;

- c'est à tort que les premiers juges ont enjoint au préfet de police de restituer à

Mme C...sa carte de résident et condamné l'État à verser à celle-ci une somme de

1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2014, présenté pour MmeC..., par MeA..., qui conclut au rejet de la requête du préfet de police, faisant valoir qu'aucun des moyens invoqués par le préfet de police n'est fondé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mars 2015 :

- le rapport de M. Romnicianu, premier conseiller ;

1. Considérant que MmeC..., ressortissante ivoirienne née le 5 mars 1963 à Abidjan, est entrée en France le 22 janvier 2000 selon ses déclarations ; qu'elle a sollicité en 2005, en qualité de parent d'enfant de nationalité française, une carte de résident sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, titre de séjour qui lui a été délivré par le préfet de police la même année, valable du

18 novembre 2005 au 17 novembre 2015 ; que, toutefois, par arrêté du 22 octobre 2013, le préfet de police a procédé au retrait de ce titre de séjour et a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; que le préfet de police relève appel du jugement du

26 mars 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et lui a enjoint de restituer à Mme C...son certificat de résidence ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée " ; qu'aux termes de l'article L. 314-9 du même code : " La carte de résident peut être accordée : (...) 2° À l'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire mentionnée au 6° de l'article L. 313-11, sous réserve qu'il remplisse encore les conditions prévues pour l'obtention de cette carte de séjour temporaire et qu'il ne vive pas en état de polygamie " ;

3. Considérant que si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou du 2° de l'article

L. 314-9 du même code, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ;

4. Considérant que la décision contestée du préfet de police portant retrait de la carte de résident dont était titulaire Mme C...en sa qualité de parent d'un enfant français repose sur le motif que la nationalité française du fils de MmeC..., Benjamin Ayéreby C...B..., n'était pas démontrée en raison de ce qu'une enquête des services de police a établi que le père allégué de l'enfant, M. D...B..., avait procédé le 10 octobre 2002 à une reconnaissance frauduleuse de paternité ; que, pour annuler cette décision préfectorale, les premiers juges ont considéré que le préfet de police, qui n'avait pas versé au dossier de première instance les résultats de l'enquête de police, n'apportait pas la preuve du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité du 10 octobre 2002 et qu'il ne pouvait donc légalement procéder au retrait de la carte de résident de Mme C...en se fondant seulement sur l'absence de vie commune entre Mme C...et M.B... ;

5. Considérant, toutefois, que le préfet de police verse au dossier, pour la première fois en appel, l'audition du 13 septembre 2012 de Mme C...par les services de police judiciaire, le rapport de synthèse de l'ensemble des auditions par ces mêmes services ainsi que l'assignation à comparaître de Mme C...et M. B...diligentée par le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Paris ; qu'il ressort de ces pièces que, lors de son audition,

Mme C...a déclaré ne pas être certaine de la paternité de l'enfant du fait de la relation qu'elle entretenait avec un autre homme à cette époque ; qu'au surplus, elle a indiqué n'avoir jamais formé une communauté de vie avec M.B..., lequel ne contribue pas à l'entretien et à l'éducation de l'enfant qu'il n'a plus revu depuis sa naissance, et qu'enfin, la reconnaissance de paternité du 10 octobre 2002 faite par M. B...lui avait permis d'obtenir un titre de séjour ainsi que la nationalité française pour son fils ; que Mme C...ne produit, au soutien de ses allégations selon lesquelles M. B...contribuerait effectivement à l'entretien de Benjamin Ayéreby C...B..., que des attestations de proches et des photographies dénuées de valeur probante, au demeurant contradictoires avec les déclarations susmentionnées lors de son audition du 13 septembre 2012 ; que le rapport de synthèse des services de police révèle que M. B...a procédé à vingt-cinq reconnaissances de paternité, dont une contre rémunération, et ce pour vingt-une femmes différentes, toutes de nationalité étrangère ; que vingt-quatre de ces reconnaissances de paternité effectuées par M. B...ont été considérées par les services de police comme frauduleuses, dont celle faite au bénéfice du fils de Mme C...qui fait, dès lors, l'objet d'une action en contestation par le ministère public ;

6. Considérant qu'au regard de l'ensemble des ces éléments, le préfet de police doit être regardé comme établissant par des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes que la reconnaissance de paternité souscrite le 10 octobre 2002 par M. B...à l'égard du fils de Mme C...présente un caractère frauduleux et ce alors même que la procédure judiciaire engagée à cet effet est en cours et que l'enfant n'a pas encore été déchu de la nationalité française ; qu'ainsi, il appartenait au préfet de police de faire échec à cette fraude et de retirer la carte de séjour temporaire qui lui avait été délivrée sur le fondement du 2° de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le moyen tiré de ce que le préfet de police n'apportait pas la preuve du caractère frauduleux du titre de séjour obtenu par Mme C...pour annuler la décision préfectorale du 22 octobre 2013 rapportant ledit titre de séjour ;

8. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C...devant le Tribunal administratif de Paris à l'encontre de ladite décision ;

En ce qui concerne les autres moyens de la demande de première instance :

9. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté comporte dans ses visas et ses motifs les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et qui permettent de vérifier que l'administration préfectorale a procédé à un examen de la situation particulière de

Mme C...au regard des stipulations et des dispositions législatives et réglementaires applicables ; que par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que cette décision serait insuffisamment motivée ou entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;

10. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 312-2 du même code : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article

L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3 (...) " ;

11. Considérant que le retrait d'une carte de résident à un étranger n'entre pas dans les cas de consultation obligatoire de la commission du titre de séjour prévus par les dispositions précitées de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il en résulte que le moyen tiré de ce que la décision du 22 octobre 2013 du préfet de police serait irrégulière faute d'avoir été précédée de la consultation de la commission du titre de séjour doit être écarté ;

12. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

13. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C...a vécu dans son pays d'origine au moins jusqu'à l'âge de 37 ans ; que sa seule attache personnelle et familiale en France est son enfant, Benjamin Ayéreby C...B..., et ce alors même que son premier fils, Emmanuel Koffi, réside en Côte d'Ivoire, le pays d'origine de Mme C...; qu'elle ne démontre pas une insertion particulière en France ; que, par suite, la décision contestée n'a pas porté au droit de Mme C...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'ainsi, cette décision n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

14. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 3-1° de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;

15. Considérant que Mme C...soutient que son enfant est né en France, d'un père français et qu'il y est scolarisé ; que, toutefois, il résulte de ce qui précède que Mme C...n'apporte pas la preuve que son fils entretiendrait des liens avec son prétendu père, M.B..., et ce quand bien même sa reconnaissance de paternité du 10 octobre 2002 n'avait encore été annulée par le Tribunal de Grande Instance de Paris à la date de l'arrêté attaqué ; que, par ailleurs, rien ne fait obstacle à ce que Mme C...emmène son enfant avec elle dans son pays d'origine ; qu'il n'est pas démontré que cet enfant, né en 2003, ne pourrait pas poursuivre sa scolarité en Côte d'Ivoire ; qu'ainsi, Mme C...n'est pas fondée à soutenir que l'intérêt supérieur de son enfant n'aurait pas été pris en compte par l'arrêté attaqué ; que les stipulations précitées de l'article 3-1° de la convention internationale des droits de l'enfant n'ont, dans les circonstances de l'espèce, pas été méconnues ;

16. Considérant, en cinquième lieu, que Mme C...ne saurait utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'encontre de la décision du 22 octobre 2013 litigieuse, laquelle ne constitue pas un refus opposé à une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de cet article ;

17. Considérant, en sixième lieu, qu'au vu des éléments susmentionnés, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la décision litigieuse sur la situation personnelle de MmeC... ;

18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 octobre 2013 ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1316789/5-3 du 26 mars 2014 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme C...devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...C...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2015 à laquelle siégeaient :

Mme Vettraino, président de chambre,

M. Romnicianu, premier conseiller,

M. Gouès, premier conseiller,

Lu en audience publique le 19 mars 2015.

Le rapporteur,

M. ROMNICIANULe président,

M. VETTRAINO

Le greffier,

E. CLEMENT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

7

N° 11PA00434

2

N° 14PA01982


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 14PA01982
Date de la décision : 19/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: M. Michel ROMNICIANU
Rapporteur public ?: Mme BONNEAU-MATHELOT
Avocat(s) : GOBA

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-03-19;14pa01982 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award