Vu, I, la requête, enregistrée le 22 janvier 2013, sous le n° 13PA00267, présentée pour la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), dont le siège est Tour Winterthur,
102 Terrasse Boieldieu à Paris La Défense Cedex (92085), par Me Le Heuzey ; la société ERDF demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1109865/3-1 du 20 novembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée, solidairement avec la société Gaz Réseau Distribution France (GRDF), à verser à la société Auto Radio Vision une somme de 57 500 euros en réparation des préjudices liés aux travaux de dévoiement entrepris au cours de l'année 2009 au droit du commerce qu'elle exploite ;
2°) de rejeter la demande de première instance de la société Auto Radio Vision ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la ville de Paris et la RATP à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;
4°) de mettre à la charge de la société Auto Radio Vision la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.....................................................................................................................
Vu, II, la requête, enregistrée le 25 janvier 2013, sous le n° 13PA00342, présentée pour la société Gaz Réseau Distribution France (GRDF), par Me Pintat ; GRDF conclut à l'annulation du jugement du 20 novembre 2012 du Tribunal administratif de Paris, au rejet de la demande de première instance de la société Auto Radio Vision, à la condamnation de la société Auto Radio Vision à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, à ce que la ville de Paris et la RATP soient condamnées solidairement à la garantir de l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à son encontre et à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
...........................................................................................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mai 2014, présentée pour la société GRDF, par Me Pintat ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 2014 :
- le rapport de M. Sorin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Heuzey, avocat de la société ERDF, de MeB..., substituant Me Pintat, avocat de la société GRDF et de MeA..., substituant
Me Falala, avocat de la ville de Paris ;
1. Considérant que les requêtes susvisées, enregistrées sous les n°s 13PA00267 et 13PA00342, sont relatives au même litige, soulèvent les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que la société Auto Radio Vision, placée en liquidation judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 3 avril 2013 et représentée par la SELAFA MJA, exploitait un commerce d'équipements électroniques automobiles, situé 14 boulevard Soult à Paris ; qu'estimant avoir subi un préjudice résultant des dommages occasionnés par les travaux de construction de la ligne de tramway T3, elle a déposé le 26 février 2010 une demande d'indemnisation devant la commission de règlement amiable instaurée en juillet 2004 et destinée à se prononcer sur les litiges résultant de la réalisation desdits travaux ; que, par une décision du 21 mai 2010, la commission a rejeté cette demande au motif que la ville de Paris n'était pas maître d'ouvrage des travaux litigieux, ceux-ci consistant en un dévoiement de câbles réalisé par les concessionnaires du service public de l'énergie au cours de l'année 2009 ; que la société Auto Radio Vision a alors adressé le 29 juin 2009 aux sociétés GRDF et ERDF, gestionnaires des réseaux de gaz et d'électricité et maîtres d'ouvrage des travaux de dévoiement, une demande d'indemnisation reçue le 2 juillet 2009 qui a également été rejetée par courrier en date du
1er octobre 2010 ; que la commission du règlement amiable, une nouvelle fois saisie, a confirmé le 5 novembre 2010 son incompétence pour connaître de la demande d'indemnisation de la société Auto Radio Vision ; que celle-ci a alors saisi le Tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 20 septembre 2012, a solidairement condamné les sociétés ERDF et GRDF à verser à la société Auto Radio Vision la somme de 57 500 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2010, en réparation des préjudices résultant pour elle desdits travaux de dévoiement réalisés au cours de l'année 2009 à proximité du magasin qu'elle exploitait ; que les sociétés ERDF et GRDF relèvent régulièrement appel de ce jugement ;
Sur la recevabilité de la requête de GRDF enregistrée sous le n° 13PA00342 :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R.751-4. Si le jugement a été signifié par huissier de justice, le délai court à dater de cette signification à la fois contre la partie qui l'a faite et contre la partie qui l'a reçue " ; qu'il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié le
23 novembre 2012 à la société GRDF dont la requête susvisée n'a été enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel que le 25 janvier 2013, soit après l'expiration du délai d'appel de deux mois qui lui était imparti en application de l'article R. 811-2 du code de justice administrative ; que cette requête n'est donc pas recevable ;
Sur la requête de la société ERDF enregistrée sous le n° 13PA00267 :
4. Considérant que les conclusions de la société GRDF présentées dans le cadre de la requête introduite par la société ERDF, qui lui a été communiquée, doivent être regardées comme des conclusions en appel provoqué et sont par suite recevables ;
En ce qui concerne la responsabilité :
5. Considérant que la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers ; qu'il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est pas sérieusement contesté, que les sociétés ERDF et GRDF ont réalisé, en qualité de maîtres d'ouvrages, des travaux de dévoiement des câbles des réseaux qu'elles exploitent au droit du fonds de commerce de la société Auto Radio Vision, respectivement du 8 juin au 26 juin 2009 et du 4 décembre au
31 décembre 2009, soit au total quarante-cinq jours, occasionnant des nuisances sonores et visuelles et créant une gêne substantielle dans l'accès de la clientèle à ce fonds, lesquelles ont eu pour conséquence une perte de chiffre d'affaires ; que ces dommages présentent le caractère d'un préjudice anormal et spécial ; que si la société Auto Radio Vision fait valoir que les mêmes gênes lui ont été occasionnées au cours des mois d'avril, mai, juillet, octobre et novembre 2009, les documents qu'elle produit ne permettent pas d'imputer ces gênes à l'une ou l'autre desdites sociétés ; que, par suite, la responsabilité sans faute des sociétés ERDF et GRDF ne peut être regardée comme engagée à l'égard de la société Auto Radio Vision, qui a la qualité de tiers à l'égard desdits travaux publics, que sur une période de quarante-cinq jours au cours de l'année 2009 ;
7. Considérant que les sociétés ERDF et GRDF étant à l'origine des difficultés d'accès au fonds de commerce exploité par la société Auto Radio Vision sur des durées respectives de
18 et 27 jours, il y a lieu de les condamner respectivement à 40% et 60% du montant de l'indemnisation destinée à réparer le dommage subi par ladite société ;
En ce qui concerne le préjudice subi :
8. Considérant que la société Auto Radio Vision ne saurait utilement demander réparation pour son compte du préjudice subi par son gérant et découlant de ce qu'il n'a pu être rémunéré en raison des difficultés financières qu'elle a connues ;
9. Considérant, en revanche, les sujétions anormales d'exploitation mentionnées au point 6 se sont traduites, ainsi qu'il a été dit, par une baisse de fréquentation du commerce en cause et une diminution corrélative de son chiffre d'affaires au cours de l'année 2009 ; que les travaux de dévoiement des réseaux s'étant déroulés aux mois de juin et de décembre 2009 sur une période totale de quarante-cinq jours, il y a lieu de retenir une perte de chiffre d'affaires proportionnellement subie sur cette durée de quarante-cinq jours, dont il sera fait une juste appréciation en la fixant à la somme de 100 000 euros ; qu'il y a lieu, par suite, d'imputer sur ce montant un coefficient de 25% correspondant à la marge commerciale nette habituellement réalisée par les commerces d'équipements automobiles et de retenir en conséquence un préjudice s'élevant à 25 000 euros ; que ce préjudice ne saurait en revanche, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, être regardé comme ayant été compensé par la plus-value du fonds de commerce de la société Auto Radio Vision, les travaux de dévoiement n'ayant, par eux-mêmes, eu aucune incidence sur la valeur de ce fonds ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner respectivement les sociétés ERDF et GRDF à verser à la société Auto Radio Vision une somme de 10 000 euros et une somme de 15 000 euros ;
En ce qui concerne les appels en garantie formés par les sociétés ERDF et GRDF contre la ville de Paris et la RATP :
10. Considérant, d'une part, que le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public doit supporter sans indemnité la charge résultant du déplacement et de la modification de ses ouvrages lorsque ce déplacement ou cette modification sont la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé, en vue d'en faciliter ou d'en améliorer la gestion conformément à sa destination, et que, d'autre part, sauf en cas d'insolvabilité du concessionnaire, la responsabilité de la collectivité publique concédante d'un ouvrage public ne peut être recherchée en raison des dommages causés par l'existence ou par la réalisation dudit ouvrage ;
11. Considérant qu'il résulte des principes ainsi rappelés qu'il appartient aux sociétés ERDF et GRDF, en leur double qualité d'occupantes du domaine public routier et de concessionnaires, sur ce domaine, de la construction, du fonctionnement et de l'exploitation des réseaux publics parisiens de distribution d'électricité et de gaz, de supporter les charges résultant du dévoiement de ces réseaux, y compris les charges résultant de l'engagement de leur responsabilité sans faute, dès lors, d'une part, que ce dévoiement est un préalable nécessaire aux travaux d'installation d'un tramway ayant pour effet de faciliter la circulation et le transport des usagers sur la voie publique et qui doivent par suite être regardés comme entrepris dans l'intérêt du domaine public routier occupé, et, d'autre part, qu'il n'est ni établi ni même allégué que ces sociétés seraient insolvables ; que, par suite, les appels en garantie formés par les sociétés ERDF et GRDF contre la ville de Paris et la RATP ne peuvent qu'être rejeté ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise demandée par la société Auto Radio Vision, de condamner les sociétés ERDF et GRDF à lui verser, respectivement, les sommes de 10 000 euros et de 15 000 euros ; qu'il y a lieu de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire au présent arrêt ;
En ce qui concerne les intérêts :
13. Considérant que la société Auto Radio Vision a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes de 10 000 euros et 15 000 euros dues respectivement par les sociétés ERDF et GRDF, à compter du 2 juillet 2010, date de la réception de sa demande préalable par ces sociétés ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge des sociétés ERDF et GRDF, qui ne sont pas dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes demandées par la SELAFA MJA, par la RATP et par la ville de Paris, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SELAFA MJA les sommes demandées au même titre par les sociétés ERDF et GRDF ;
D E C I D E :
Article 1er : La société ERDF est condamnée à verser à la SELAFA MJA, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Auto Radio Vision, la somme de 10 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2010.
Article 2 : La société GRDF est condamnée à verser à la SELAFA MJA, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Auto Radio Vision, la somme de 15 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2010.
Article 3 : Le jugement n° 1109865/3-1 du Tribunal administratif de Paris du 20 novembre 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société ERDF est rejeté.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société GRDF est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par la SELAFA MJA sont rejetées.
Article 7 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
''
''
''
''
2
N°S 13PA00267, N° 13PA00342