Vu la requête, enregistrée le 14 février 2012, présentée pour la société internationale de diffusion et d'édition (SIDE), dont le siège est 1-3 avenue du Bouton d'or à Sucy-en-Brie Cedex (94386), par MeB... ; la société internationale de diffusion et d'édition demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°0911778/7-1 du 15 décembre 2011 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 20 427 857 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'octroi d'une aide illégale à la coopérative d'exportation du livre français (CELF) ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer cette somme, ou, subsidiairement, d'ordonner une expertise ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mars 2014 :
- le rapport de Mme Petit, premier conseiller,
- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public,
- les observations de Me B...pour la société internationale de diffusion et d'édition,
- et les observations de Me A...de la SCP Lyon-Caen-Thiriez, pour le ministère de la culture et de la communication ;
1. Considérant que la coopérative d'exportation des livres français (CELF), aujourd'hui en liquidation, assurait un rôle de commissionnaire à l'exportation de livres de langue française ; qu'elle a bénéficié, entre 1980 et 2002, de subventions de la part de l'Etat, destinées, notamment, à favoriser les commandes de faible montant émanant de libraires situés à l'étranger ; que la société internationale de diffusion et d'édition (SIDE), qui exerçait la même activité de commissionnaire à l'exportation, a saisi d'une plainte la Commission européenne, au motif que, selon elle, ces subventions correspondaient à une aide d'Etat au sens du droit de l'Union européenne, non notifiée à la Commission, et incompatible avec le marché commun ; que la Commission a estimé, par une décision du 18 mai 1993, que les subventions en cause n'étaient pas de nature à affecter les échanges intra communautaires ; qu'un arrêt du 18 septembre 1995 du Tribunal de première instance a annulé cette décision en tant que celle-ci concernait les aides versées pour compenser le surcoût du traitement des petites commandes de livres en langue française ; que le Tribunal de première instance a ensuite annulé, le 28 février 2002, une nouvelle décision de la Commission, en date du 10 juin 1998, qui avait, à nouveau, admis la légalité de l'aide accordée au CELF ; qu'une troisième décision de la Commission du
20 avril 2004, admettant la légalité de cette aide, a été annulée par un arrêt du 15 avril 2008 du Tribunal de première instance ; qu'enfin, par une décision du 14 décembre 2010, la Commission a estimé que l'aide avait été octroyée illégalement, à défaut de notification par les autorités françaises, et qu'elle n'était pas compatible avec le marché intérieur, dès lors qu'il n'était pas démontré qu'elle respectait le critère de proportionnalité avec les surcoûts invoqués en matière de petites commandes ; que cette décision est devenue définitive ;
2. Considérant que, parallèlement à ces procédures, la SIDE a saisi la juridiction administrative française de recours tendant à ce qu'il soit mis fin au versement des aides, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de procéder à la récupération des montants versés au CELF et à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi ; que, par un arrêt du
5 octobre 2004, devenu définitif, la cour de céans a, notamment, rejeté les conclusions indemnitaires de la société SIDE, au motif que, si l'aide n'avait pas été notifiée à la Commission européenne, en méconnaissance de l'article 93 du Traité de Rome, la Commission l'avait estimée compatible avec le marché intérieur ; qu'à la suite d'un arrêt du 12 février 2008 de la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur des questions préjudicielles dont l'avait saisie le Conseil d'Etat, la SIDE a estimé que lui était reconnu un droit à obtenir réparation du préjudice causé par l'illégalité de l'aide ; qu'elle a saisi, à nouveau, le ministre de la culture, puis le Tribunal administratif de Paris, d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat ; que, par un jugement du 15 décembre 2011, le tribunal a rejeté cette demande en estimant que, si l'Etat avait commis une faute en accordant au CELF une aide d'Etat non notifiée préalablement à la Commission et incompatible avec le marché intérieur, le lien de causalité entre cette faute et le préjudice commercial allégué par la société SIDE n'était pas établi ; que la SIDE fait appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Considérant, en premier lieu, que la circonstance que le Tribunal administratif de Paris n'aurait pas respecté le délai raisonnable de jugement, garanti notamment par l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement ; que, de même, si la société requérante soutient qu'elle a présenté sa première demande indemnitaire dès 1997, la durée totale des procédures engagées devant les instances européennes, ainsi que devant la juridiction administrative française, est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué et se rattache, le cas échéant, à des litiges distincts ;
4. Considérant, en second lieu, qu'il ressort de la procédure suivie en première instance que le ministre de la culture a produit un premier mémoire en défense dans lequel il a soutenu, à titre principal, que la demande de la SIDE se heurtait à l'autorité de la chose jugée par la cour de céans en 2004, et, à titre subsidiaire, que les pièces produites par la requérante ne suffisaient pas à établir la réalité d'un préjudice commercial résultant de l'aide accordée par l'Etat au CELF ; que, dans un second mémoire en défense enregistré le 22 septembre 2011, veille de la date de clôture de l'instruction, le ministre de la culture a soutenu, à nouveau, que le lien de causalité entre les résultats financiers de la SIDE et l'aide d'Etat n'était pas établi ; que le Tribunal administratif a rouvert l'instruction et a reporté la clôture au 13 octobre 2011 ; que, eu égard au contenu des mémoires qui avaient déjà été produits par les parties ainsi que des pièces qui y étaient jointes, la nouvelle date de clôture de l'instruction fixée par le Tribunal n'a pas privé la SIDE, qui a d'ailleurs présenté un nouveau mémoire le 13 octobre 2011, de la possibilité de répliquer utilement au ministre ; .
Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires de la société SIDE :
5. Considérant qu'il ressort de la décision de la Commission européenne du
14 décembre 2010 et d'une décision du Conseil d'Etat du 30 décembre 2011 que les subventions accordées au CELF, entre 1980 et 2002, correspondaient à une aide d'Etat incompatible avec le marché intérieur, qui n'a pas été préalablement notifiée à la Commission, et son montant a excédé la compensation du coût des petites commandes ; que la SIDE en déduit que cette différence a permis au CELF de baisser ses taux de marge et d'attirer ses propres clients sur l'ensemble des autres segments du " marché pertinent ", à savoir l'exportation de livres français ; qu'elle fait valoir que, dans la mesure où ce marché correspondait à un duopole, les avantages dont a bénéficié le CELF se sont nécessairement traduits, en ce qui la concerne, par des pertes de clientèle ;
6. Considérant que, si la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur des questions préjudicielles que lui avait adressées le Conseil d'Etat à propos de l'obligation, pour les Etats membres, de procéder à la récupération d'une aide d'Etat n'ayant pas été préalablement notifiée à la Commission, a précisé, dans son arrêt C-1999/06 du 12 février 2008, que " dans le cadre de son droit national, le juge national peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'État membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution, ultérieurement. Il peut également être amené à accueillir des demandes d'indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l'aide ", elle n'a pas entendu, par cette observation générale, reconnaître, en l'espèce, à la SIDE un droit à indemnisation ; qu'il appartient, dès lors, à la société d'établir que l'aide d'Etat accordée au CELF lui a causé le préjudice commercial qu'elle allègue ;
7. Considérant que la circonstance que le marché du commissionnement à l'exportation de livres français était dominé par deux acteurs, le CELF et la SIDE, n'implique pas, à elle seule, que l'aide d'Etat accordée au premier ait fait perdre à la seconde des clients ; que le lien de causalité ne pourrait être établi qu'en démontrant que le CELF a capté une partie de la clientèle de la société SIDE grâce à des prix plus attractifs et rendus possibles par les subventions dont il a bénéficié ; que la société requérante a produit des documents issus de sa propre comptabilité, mais admet elle-même qu'elle ne dispose pas de l'ensemble des éléments qui lui permettraient de justifier d'un lien entre, d'une part, l'évolution de son chiffre d'affaires et son bénéfice pendant la période au cours de laquelle l'aide a été accordée, et, d'autre part, les subventions accordées par l'Etat au CELF ; qu'aucun élément du dossier ne montre que le ministre de la culture disposerait de la totalité de la comptabilité du CELF relative aux années 1980 à 2002 ; qu'il n'y a pas lieu, par ailleurs, pour la Cour, d'inviter le liquidateur du CELF, qui n'est pas partie à l'instance, à produire cette comptabilité ; que, si la société requérante demande également à la Cour d'inviter la Commission européenne à produire tous éléments en sa possession, conformément à la Communication de la Commission relative à l'application des règles en matière d'aides d'Etat par les juridictions nationales, en date du 9 avril 2009, cette communication ne concerne, en tout état de cause, que le " contrôle, par les juridictions nationales, du respect de la réglementation en matière d'aides d'Etat ", et non les litiges indemnitaires introduits par des entreprises soutenant que des aides d'Etat leur ont causé un préjudice commercial ; que, pour l'ensemble de ces raisons, une expertise n'apparaît pas de nature à permettre la démonstration d'un lien de causalité entre l'aide d'Etat accordée au CELF et 1e préjudice allégué ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de chose jugée invoquée par le ministre, la SIDE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Etat au titre de ce mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société internationale de diffusion et d'édition est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 12PA00767