Vu le recours, enregistré le 3 février 2012, présenté par le ministre de la défense et des anciens combattants ; le ministre demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1014303/7-2 du 16 décembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris, en condamnant l'Etat (ministère de la défense) à verser à la société Assystem la somme de 540 005,34 euros portant intérêts à compter du 8 février 2010, n'a pas retenu de partage de responsabilité ;
2°) de réduire de moitié le montant de cette condamnation ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 2013:
- le rapport de M. Auvray, président-assesseur,
- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., pour la société Assystem Services ;
1. Considérant que, par contrat conclu le 20 octobre 2000 avec la société DCN International (DCNI), dont l'exécution était pour l'essentiel déléguée à la direction des constructions navales (DCN), alors service du ministère de la défense, la SAS Assystem Services s'était engagée à fournir des prestations d'assistance et de conseil au Pakistan concernant, notamment, la certification de sous-marins de classe " Agosta ", ainsi que des prestations associées dans le cadre du transfert de technologie ; que MM. B...etC..., salariés de la société Assystem Services, ont été parmi les victimes d'un attentat perpétré à Karachi le 8 mai 2002 alors qu'ils se trouvaient dans un autobus les menant de leur hôtel à leur lieu de travail ;
2. Considérant, d'une part, que, par jugement du 13 janvier 2005 devenu définitif, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de La Manche a ordonné la majoration des rentes d'incapacité au profit des deux salariés de la société Assystem Services et condamné celle-ci à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie les sommes dont cette dernière devrait faire l'avance ; qu'il résulte de l'instruction, et n'est du reste pas contesté que, conformément aux dispositions du sixième alinéa de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, la caisse régionale d'assurance maladie de Normandie a alors constitué la société Assystem Services débitrice des sommes de 119 159, 52 euros et de 80 081,82 euros représentant la majoration de rente incapacité due, respectivement, à M. B...et à M.C..., dès lors que l'accident est, selon le jugement du 13 janvier 2005 déjà mentionné rendu en matière de législation de la sécurité sociale, dû à une faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qui se sont substitués à lui dans la direction des deux salariés ;
3. Considérant, d'autre part, que, par jugement du 1er juillet 2008 devenu définitif, le Tribunal de grande instance de Créteil a condamné le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) à verser à M. C...et à divers membres de sa famille une somme globale, en principal, de 98 764 euros à titre de réparation des préjudices résultant de l'attentat dont il avait été victime et que, par arrêt du 12 décembre 2008, la Cour d'appel de Paris a, pour les mêmes raisons, condamné ce fonds à verser à M. B...et à divers membres de sa famille une somme globale, en principal, de 242 000 euros ; que, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 706-11 du code de procédure pénale, qui permettent au FGTI d'exercer un recours subrogatoire à l'encontre non seulement de l'auteur de l'infraction, mais également de toute personne tenue de réparer le dommage, notamment parce qu'elle y a concouru dans des conditions de nature à engager sa responsabilité, ce fonds a demandé à la société Assystem France, venue aux droits et obligations de la société Assystem Services, le remboursement des indemnités qu'il avait été condamné à payer en exécution de ces décisions de justice ; qu'il résulte de l'instruction que la société intimée a, entre le 17 décembre 2009 et le 17 juin 2010, procédé au remboursement intégral de ces sommes, majorées des intérêts de retard, représentant un total de 348 938,50 euros ;
4. Considérant que, à la suite du silence gardé par le ministre de la défense et des anciens combattants sur sa réclamation préalable signifiée le 8 février 2010 par exploit d'huissier et tendant au paiement d'une somme totale de 548 240,19 euros, la société Assystem France a introduit une requête devant le Tribunal administratif de Paris tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme, en principal, de 540 005,34 euros à titre de remboursement des sommes qu'elle avait elle-même versées à raison des différents chefs de préjudices subis par MM. B...etC..., estimant que la responsabilité de l'Etat était engagée, à titre principal, sur le terrain du risque et, à titre subsidiaire, sur celui de la faute de service ;
Sur le partage de responsabilité :
5. Considérant que le ministre, qui reconnaît le principe de la responsabilité sans faute de l'Etat sur le terrain du risque exceptionnel auxquels les salariés de la société Assystem, placés sous son contrôle, ont été exposés, se borne à soutenir, pour demander un partage de responsabilité, qu'en sa qualité d'employeur de MM. B...etC..., la société Assystem Services était tenue d'assurer leur sécurité, qu'en la matière, une obligation de résultat pesait sur elle, alors surtout qu'elle ne pouvait pas ignorer le climat d'insécurité qui régnait alors au Pakistan, notamment après l'attentat du 11 septembre 2001, et que si la société était liée par le contrat conclu avec la société DCN International, qui fixait des délais d'exécution, il lui eût toutefois été loisible, compte tenu des circonstances exceptionnelles, d'invoquer la force majeure pour ne pas encourir les sanctions contractuellement prévues que sont les pénalités de retard ou la résiliation ;
6. Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction qu'ainsi que l'a relevé le Tribunal des affaires de sécurité sociale de La Manche dans sa décision du 13 janvier 2005, la DCN se trouvait substituée à l'employeur dans la direction des deux salariés en cause, ce que corrobore, d'ailleurs, l'article 10.2 du contrat, aux termes duquel " les prestations peuvent être soumises à une annexe de sécurité établie par la Délégation générale à l'armement qui s'imposera aux parties, que lorsque les prestations sont à exécuter dans une zone sensible ou protégée sur site DCN ou sur site de l'utilisateur final (Pakistan), le cocontractant doit observer les dispositions particulières de sécurité propres à ces sites, qui lui sont communiquées par écrit par le responsable technique " ; que, si le ministre de la défense soutient que de telles stipulations ne faisaient pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que la société Assystem Services, en sa qualité d'employeur, critique les mesures de sécurité mises en place et en propose d'autres, l'intimée a pu légitimement se fier à l'évaluation des risques faite par les services de l'Etat, étant en outre précisé qu'elle n'était que l'un des sous-traitants présents sur le chantier ; qu'au surplus, si, après l'attentat du 11 septembre 2001, l'ensemble des personnels affectés au projet " Agosta " a été rapatrié sur ordre de la DCN, leur retour a été décidé par cette dernière dès le mois de novembre 2001, tandis qu'ainsi qu'il résulte de l'instruction, les mesures de sécurité étaient insuffisantes, faute notamment pour les personnels d'être logés sur le chantier ou, à tout le moins, de modification des itinéraires et des horaires des trajets des véhicules chargés de les transporter, compte tenu de la dégradation rapide de la situation sur place, marquée par l'assassinat de M. A...le 1er février 2002, puis par une série d'actes terroristes, avant que ne fût perpétré l'attentat en cause du 8 mai 2002 ; qu'enfin, si le ministre se prévaut d'un arrêt rendu le 13 mai 2009 par la Cour d'appel de Rennes qui ne retient la responsabilité de l'Etat qu'à hauteur de 50% s'agissant du même attentat, cette décision, qui, en tout état de cause, fait application de la législation de la sécurité sociale et ne statue pas sur une action récursoire, concerne, en outre, un salarié d'une autre société ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense et des anciens combattants n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris, en le condamnant à verser à la société Assystem France la somme de 540 005,34 euros portant intérêts au taux légal à compter du 8 février 2010, n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à ce que soit retenu un partage de responsabilité à hauteur de moitié avec la société intimée ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Assystem France et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.
Article 2: L'Etat versera à la société Assystem France, qui vient aux droits et obligations de la société Assystem Services, une somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 12PA00629