Vu le recours, enregistré le 3 septembre 2012, présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice, qui demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0905167/6 du 19 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Melun, saisi par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, a, d'une part, annulé la décision implicite de la garde des sceaux, ministre de la justice, ayant rejeté sa demande, en date du 13 mars 2009, tendant au remboursement des indemnités versées en réparation du meurtre commis sur la personne de Mme B...D...par M. G...E..., détenu en libération conditionnelle, d'autre part, condamné l'Etat à lui verser la somme de 241 550, 38 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2009, et, enfin, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de réduire le montant de la condamnation susceptible d'être mise à la charge de l'Etat à une somme n'excédant pas 65 175, 19 euros ;
..................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale, dans sa rédaction issue notamment des lois
n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes et n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 novembre 2013 :
- le rapport de M. Sorin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour le FGTI ;
1. Considérant que M. G...E...a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la Cour d'assises du Rhône le 2 octobre 1990 pour un assassinat commis le 1er juin 1984 ; qu'eu égard à son comportement en détention et à son projet professionnel, il a été admis au bénéfice d'une libération semi-conditionnelle à compter du 8 juillet 2003, puis, en vertu d'un jugement de la juridiction régionale de la libération conditionnelle de Colmar du 3 juillet 2003, au bénéfice d'une libération conditionnelle à compter du 1er décembre 2003 ; que, le 2 juin 2005, soit durant cette seconde période, il a, avec un complice, M. C...F..., agressé, enlevé, séquestré et assassiné Mme B...D... ; que M. E...et M. F... ont été condamnés à raison de ces faits par la Cour d'assises de Seine-et-Marne, en vertu d'un arrêt du 18 juin 2008, respectivement, à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de vingt-deux ans et à une peine de trente ans de réclusion criminelle ; que, par un arrêt du même jour, la Cour d'assises, statuant sur l'action civile, les a également condamnés, solidairement, à verser aux consorts D...une somme de 255 350, 38 euros ; que, le 12 janvier 2009, la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions a mis à la charge du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) la somme de 241 550, 38 euros, à verser aux consortsD... ; que, par application de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le FGTI a demandé à l'Etat de lui rembourser l'intégralité de cette somme, en faisant valoir que la responsabilité sans faute de celui-ci était engagée sur le fondement du risque spécial créé par la libération conditionnelle de M. E... ; que, par un jugement du 19 avril 2012, dont la garde des sceaux, ministre de la justice, relève régulièrement appel, le Tribunal administratif de Melun a fait droit à cette demande ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Considérant que, s'il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de connaître d'actions mettant en cause la responsabilité pour faute de l'Etat du fait du fonctionnement du service public de la justice judiciaire, il appartient à la juridiction administrative de connaître des actions fondées sur la responsabilité sans faute de l'Etat ; qu'est recherchée, en l'espèce, la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement du risque spécial créé pour les tiers par le régime législatif de libération conditionnelle, en vue de la réparation du préjudice résultant d'un crime commis par un détenu bénéficiant de ce régime ; que, dès lors, et sans qu'y fasse obstacle le fait que les décisions de libération conditionnelle revêtent, dans le régime juridique issu des lois du 15 juin 2000 et du 9 mars 2004 susvisées, un caractère juridictionnel et non celui de mesures d'administration judiciaire, la juridiction administrative est compétente pour statuer sur les conclusions présentées sur ce fondement par le FGTI, subrogé dans les droits des consortsD... ;
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
3. Considérant que la mise en oeuvre du régime de la libération conditionnelle, instauré à des fins d'intérêt général, est à l'origine d'un risque spécial pour les tiers susceptible d'engager, même en l'absence de faute, la responsabilité de l'Etat ; que ce risque doit être regardé comme réalisé et, partant, de nature à engager la responsabilité de l'Etat, lorsqu'une infraction est commise par un ancien détenu durant toute la période pendant laquelle il bénéficie d'un tel régime, qu'il se soit soustrait ou non aux obligations inhérentes à celui-ci ; que c'est, dès lors, à bon droit que, alors même que le crime commis par M. E...l'a été un an et demi après la libération conditionnelle de l'intéressé et non dans la période qui a immédiatement suivi celle-ci, les premiers juges ont estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée à l'égard du FGTI ;
4. Considérant que si, en vue d'obtenir une réduction du montant de la condamnation de l'Etat, la garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir que les actes criminels sont en partie imputables à un complice de M.E..., une personne morale de droit public ne peut être totalement ou partiellement exonérée de sa responsabilité sans faute qu'en cas de force majeure ou de faute de la victime ; que le fait d'un tiers, fût-il co-auteur direct du dommage, est sans incidence sur l'engagement de cette responsabilité ; que, par suite, et sans préjudice de la faculté dont elle dispose d'intenter toute action récursoire qu'elle s'estimerait fondée à exercer, la garde des sceaux, ministre de la justice, ne saurait utilement se prévaloir des agissements de M. F...pour obtenir la réduction du montant de la condamnation de l'Etat ;
Sur les préjudices des consortsD... :
5. Considérant qu'en vertu des articles 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits, volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut, sous certaines conditions se trouvant réunies en l'espèce, obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne auprès d'une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, juridiction civile instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance ; que le dernier alinéa de l'article 706-9 du même code dispose que les indemnités allouées à ce titre sont versées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ; qu'aux termes de l'article 706-11 de ce code : " Le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes (...) " ;
6. Considérant, toutefois, que la nature et l'étendue des réparations incombant à une collectivité publique ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par l'autorité judiciaire dans un litige auquel cette collectivité n'a pas été partie, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public ;
7. Considérant, en premier lieu, que la garde des sceaux, ministre de la justice, ne conteste pas le jugement frappé d'appel en tant qu'il a condamné l'Etat à verser au FGTI une somme de 10 350, 38 euros au titre de l'indemnisation des préjudices matériels subis par l'époux de Mme D...et une somme de 1 200 euros au titre du remboursement de la prise en charge de frais d'instance exposés devant le juge judiciaire par les consortsD... ;
8. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'en fixant à la somme de 50 000 euros le montant du préjudice moral subi par l'époux de MmeD..., à la somme de 90 000 euros le montant total des préjudices subis par la fille de celle-ci, âgée de onze ans et demi à l'époque des faits, et à la somme de 30 000 euros le montant des préjudices moraux subis respectivement par chacun des parents et par le frère de MmeD..., les premiers juges ont, dans les circonstances de l'espèce, fait une juste appréciation de ces préjudices ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a fait intégralement droit à la demande du FGTI ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le FGTI dans la présente instance et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours de la garde des sceaux, ministre de la justice, est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
''
''
''
''
2
12PA03752