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27/11/2012 | FRANCE | N°11PA03323

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 27 novembre 2012, 11PA03323


Vu la requête, enregistrée le 22 juillet 2011, présentée pour M. Philippe B, demeurant ... à Landas (59310), par la SCP Bighinatti Beltaire et Associés ; M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0809112/1 du 13 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du

5 mai 2008 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour inaptitude physique et de la décision du ministre du travail du 28 octobre 2008 rejetant son recours hiérarchique ;

2°) d'annuler, pour excè

s de pouvoir, lesdites décisions ;

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Vu la requête, enregistrée le 22 juillet 2011, présentée pour M. Philippe B, demeurant ... à Landas (59310), par la SCP Bighinatti Beltaire et Associés ; M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0809112/1 du 13 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du

5 mai 2008 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour inaptitude physique et de la décision du ministre du travail du 28 octobre 2008 rejetant son recours hiérarchique ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, lesdites décisions ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 octobre 2012 :

- le rapport de Mme Bailly, rapporteur,

- et les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public ;

1. Considérant qu'à la suite de la dégradation de ses relations de travail avec le président et la directrice générale de la société WGI, ayant pour objet social la vente de fournitures et d'équipements industriels divers, M. B, qui y exerçait les fonctions de directeur national des ventes, a été placé en arrêt de maladie du 2 janvier au 4 mars 2008 ; que le 5 mars suivant, lors de la visite de reprise, le médecin du travail l'a déclaré inapte à tous postes dans l'entreprise, sans possibilité de proposition d'aptitude résiduelle, en précisant qu'il intervenait dans le cadre de l'article R. 241-51-1 du code du travail, pour cause de " danger immédiat " ; qu'après avoir proposé à l'intéressé un reclassement dans un emploi de VRP, son employeur l'a convoqué le 17 mars 2008 à un entretien préalable puis, eu égard à la protection exceptionnelle dont bénéficiait M. B en tant qu'ancien candidat aux élections de délégués du personnel, il a sollicité de l'inspecteur du travail compétent l'autorisation de le licencier pour inaptitude physique ; que M. B relève régulièrement appel du jugement du 13 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 5 mai 2008 autorisant un tel licenciement et de la décision du ministre du travail du 28 octobre 2008 rejetant son recours hiérarchique contre celle-ci ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société WGI :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : "La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours.";

3. Considérant que la requête d'appel de M. B ne constitue pas la reproduction littérale de sa demande de première instance mais énonce à nouveau, de manière plus précise, les moyens dirigés contre la décision contestée ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que le requérant se serait borné à reprendre les moyens présentés devant les premiers juges sans critiquer les motifs du jugement attaqué doit être écartée ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " ; qu'aux termes de l'article L. 1152-2 de ce code : " Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. " ; qu'enfin aux termes de l'article L. 1152-3 : " Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul. " ;

5. Considérant, d'autre part, qu'en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement du salarié, compte tenu notamment des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, ainsi que de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail ; qu'au nombre de ces dernières figurent les dispositions précitées du code du travail prohibant le harcèlement moral ; qu'il suit de là qu'il appartient à l'inspecteur du travail de vérifier, lorsque le salarié en fait état lors de l'enquête contradictoire, si celui-ci subit des agissements répétés de harcèlement moral, cette circonstance, si elle est établie, devant le conduire à refuser l'autorisation d'un tel licenciement ;

6. Considérant que M. B soutient que son inaptitude physique, résultant des troubles anxio-dépressifs et de l'anxiété généralisée dont il souffre, est la conséquence du harcèlement moral subi dans l'entreprise durant le deuxième semestre de l'année 2007, non pris en compte par l'administration alors qu'il en faisait état ; qu'il ressort des pièces du dossier que les éléments produits par l'intéressé sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre ; que, cependant, le comportement du président et de la directrice générale de la société WGI ne peut être apprécié sans qu'il soit également tenu compte de l'attitude de M. B ;

7. Considérant qu'il est constant qu'à compter du 1er juillet 2007, date à laquelle

M. B, qui se trouvait précédemment sous l'autorité directe du président de la société WGI, a été placé par le conseil d'administration sous la responsabilité de la directrice générale de la société, épouse du président, les relations de travail entretenues par l'intéressé avec sa hiérarchie se sont rapidement et gravement dégradées ; que l'employeur fait valoir que cette situation conflictuelle est liée à la volonté farouche de M. B de se venger d'avoir été écarté de la direction générale et que l'intéressé " est plus le harceleur que le harcelé " ;

8. Considérant qu'il est constant que M. B, qui avait, selon ses propres termes, des " divergences commerciales " avec la directrice générale, l'a, à plusieurs reprises, violemment prise à partie, en remettant en cause notamment les nouvelles orientations commerciales décidées par cette dernière, qui venaient à l'encontre des pratiques antérieures, en se faisant le porte-parole de certains membres de ses équipes de commerciaux qui revendiquaient des augmentations de salaire et en réclamant l'institution d'une représentation du personnel au sein de la société ; qu'il n'est cependant pas contesté que l'intéressé était, jusqu'au 1er juillet 2007, apprécié tant de sa hiérarchie que de l'ensemble des commerciaux de la société, qui comptaient sur les apports de celui-ci, s'agissant des méthodes de vente sur le terrain, ainsi que cela ressort des comptes rendus d'" entraînement " produits au dossier ; que si, ainsi que l'ont souligné les premiers juges, les deux parties s'accusaient mutuellement dès la fin juillet 2007 d'être à l'origine du climat conflictuel ambiant, il ressort cependant des pièces du dossier que la direction générale de la société a réagi aux contestations de M. B par des mesures vexatoires ; qu'ainsi, dès le 20 juillet 2007, le véhicule de fonction, neuf et haut de gamme, de l'intéressé, dont les fonctions l'amenaient à être en déplacement quatre jours par semaine, a été remplacé par un véhicule d'occasion d'une gamme inférieure ; que le 23 août, terme des congés d'été, l'employeur a décidé que M. B n'animerait plus, contrairement aux années précédentes, le séminaire annuel de rentrée destiné aux commerciaux de la société, prévu le lendemain ; que le 14 septembre, le mobilier de bureau de M. B a été, dans son intégralité, remplacé par du mobilier ancien auparavant attribué à son assistante, cette dernière se voyant attribuer celui de M. B ; que, par lettre du 20 septembre 2007, M. B a été informé que ses frais professionnels ne seraient désormais pris en charge sur justificatifs qu'à concurrence de 12 euros pour le déjeuner et 65 euros pour les soirées d'étape ; que, par lettre du 18 octobre suivant, la direction lui a également indiqué que son forfait téléphonique personnel ne serait plus pris en charge, comme il l'était par le passé ; qu'il ressort enfin des témoignages produits au dossier que l'employeur a fait pression sur des salariés afin que M. B ne soit pas élu en tant que délégué du personnel lors du scrutin de décembre 2007, intervenu à la suite de l'action de l'intéressé, engagée en juillet 2007, lors des premiers heurts avec la directrice générale, en vue de l'organisation d'une élection de délégués du personnel ;

9. Considérant que, quels que soient les excès commis par M. B, ceux-ci ne pouvaient justifier les mesures vexatoires prises à son encontre à compter de l'été 2007, lesquelles, par leur nature, leur intensité et leur fréquence, constituaient une réponse abusive, caractérisant une situation de harcèlement moral ; que, dès lors qu'en application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, de tels agissements risquaient d'entacher de nullité le licenciement qui aurait été prononcé, l'inspecteur du travail ne pouvait, dans ces circonstances, que refuser l'autorisation sollicitée par la société WGI pour laisser au salarié la possibilité de quitter l'entreprise par la procédure de résiliation judiciaire de son contrat de travail, procédure qu'il avait d'ailleurs enclenchée par la saisine du Conseil de prud'hommes le

4 février 2008 ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 5 mai 2008 autorisant la société WGI à le licencier pour inaptitude physique ainsi que de la décision du ministre du travail du 28 octobre 2008 rejetant le recours hiérarchique de l'intéressé ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la société WGI et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Melun du 13 mai 2011, la décision de l'inspecteur du travail du 5 mai 2008 autorisant la société WGI à licencier M. B pour inaptitude physique et la décision du ministre du travail du 28 octobre 2008 rejetant le recours hiérarchique de l'intéressé sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la société WGI présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 11PA03323


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 11PA03323
Date de la décision : 27/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-035-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Autres motifs. Inaptitude ; maladie.


Composition du Tribunal
Président : Mme MILLE
Rapporteur ?: Mme Pascale BAILLY
Rapporteur public ?: M. LADREYT
Avocat(s) : SCP BIGHINATTI BELTAIRE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2012-11-27;11pa03323 ?
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