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30/05/2011 | FRANCE | N°10PA03619

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 30 mai 2011, 10PA03619


Vu le recours, enregistré le 20 juillet 2010, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0913626 en date du 21 juin 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite de rejet intervenue le 22 juin 2009 et née du silence gardé sur la demande indemnitaire de M. Jean-Claude A en date du 15 avril 2009, relative au dommage moral résultant de la privation de ses droits à une pratique religieuse normale, et a condamné l'Etat à verser à ce d

ernier une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi ;

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Vu le recours, enregistré le 20 juillet 2010, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0913626 en date du 21 juin 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite de rejet intervenue le 22 juin 2009 et née du silence gardé sur la demande indemnitaire de M. Jean-Claude A en date du 15 avril 2009, relative au dommage moral résultant de la privation de ses droits à une pratique religieuse normale, et a condamné l'Etat à verser à ce dernier une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi ;

2°) de rejeter la demande présentée par l'intéressé devant le tribunal ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 avril 2011 :

- le rapport de M. Privesse, rapporteur,

- les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public,

- et les observations de Me Trizac, représentant M. A ;

Considérant que, par une lettre en date du 15 avril 2009, reçue par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE le 22 avril suivant, M. A a demandé à l'Etat la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la violation de ses droits fondamentaux au respect de sa vie spirituelle et à la pratique de sa religion ; qu'une décision implicite de rejet étant née le 22 juin 2009 du silence gardé pendant deux mois par le ministre, l'intéressé a introduit un recours auprès du Tribunal administratif de Paris afin notamment d'annuler ladite décision implicite, celui-ci accueillant ce recours en fixant son préjudice moral à la somme de 3 000 euros ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE relève régulièrement appel dudit jugement en date du 21 juin 2010, en faisant notamment valoir que, l'administration n'étant pas tenue d'accorder un agrément à l'aumônier d'une religion qui ne comporterait pas un nombre suffisant de pratiquants détenus, l'intéressé n'a pas été empêché de satisfaire aux exigences de sa vie spirituelle et religieuse, et ne justifie pas d'un préjudice personnel et direct ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE soutient que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en estimant qu'aucune stipulation conventionnelle pourvue d'effet direct et aucune disposition législative ou réglementaire n'a prévu de conditionner la désignation d'un aumônier à des motifs autres que ceux qui s'attachent à l'ordre public, alors que toute association qui exercerait un culte ne serait pas nécessairement en droit de revendiquer le statut d'association cultuelle et que toute demande d'agrément suppose pour l'administration pénitentiaire de pouvoir organiser le culte en fonction des attentes de la population pénale, et non pas des sollicitations des associations cultuelles en question ; que ce n'est que lorsqu'une prison accueille un nombre suffisant de détenus appartenant à une même religion, qu'un représentant de celle-ci peut être agréé, et qu'en conséquence il ne pouvait être satisfait à la demande de M. A de s'entretenir avec un aumônier du culte des Témoins de Jéhovah, très peu présent en milieu pénitentiaire ; qu'ainsi, M. A ne peut se prévaloir d'aucun préjudice personnel, direct et certain, alors que l'absence d'un aumônier de son culte ne pouvait faire obstacle à l'exercice de celui-ci ; qu'au demeurant, il ne peut être organisé des cultes collectifs quotidiens au sein des établissements pénitentiaires ;

Considérant d'une part, qu'aux termes des stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. / La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, et à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'en outre, il résulte des dispositions des articles 1er, 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat, en premier lieu, que les associations revendiquant le statut d'association cultuelle doivent avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte, en deuxième lieu, qu'elles ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet telles que l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte et, en troisième lieu, que le fait que certaines des activités de l'association pourraient porter atteinte à l'ordre public s'oppose à ce que ladite association bénéficie du statut d'association cultuelle ;

Considérant d'autre part, qu'aux termes de l'article D. 432 du code de procédure pénale : " Chaque détenu doit satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle. / Il peut à ce titre participer aux offices ou réunions organisés par les personnes agréées à cet effet. " ; qu'aux termes de l'article D. 433 du même code : " Le service religieux est assuré, pour les différents cultes, par des aumôniers désignés par le directeur régional qui consulte à cet effet l'autorité religieuse compétente, et après avis du préfet./ (...) " ; que les articles D. 434 à D. 439 dudit code précisent les conditions dans lesquelles les aumôniers agréés et leurs auxiliaires sont autorisés à intervenir en milieu carcéral, pour organiser des offices et des réunions ou pour s'entretenir, sur place ou par voie épistolaire, avec les détenus ; qu'enfin, aux termes de l'article D. 404 du code de procédure pénale : " Sous réserve des motifs liés au maintien de la sécurité ou au bon ordre de l'établissement, le chef d'établissement ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille d'un condamné ou à son tuteur. Toute autre personne peut être autorisée à rencontrer un condamné, s'il apparaît que ces visites contribuent à l'insertion sociale ou professionnelle de ce dernier " ;

Considérant en premier lieu, que si la liberté de culte en milieu carcéral s'exerce sous réserve des prérogatives dont dispose l'autorité administrative aux fins de préserver l'ordre et la sécurité au sein des établissements pénitentiaires, aucune disposition législative ou réglementaire ne conditionne la désignation d'un aumônier à un nombre minimum de détenus susceptibles de recourir à son assistance spirituelle ; que par suite, en opposant de façon générale, ainsi que cela ressort du recours ministériel et des diverses pièces du dossier, l'insuffisance du nombre de détenus se revendiquant de la confession des Témoins de Jéhovah, pour refuser à M. A une assistance spirituelle de la part d'un ministre de ce culte, l'administration pénitentiaire s'est fondée sur un motif qui n'était pas de nature à justifier légalement une telle décision ;

Considérant en deuxième lieu, qu'aucune disposition du code de procédure pénale n'interdit à un ministre du culte de présenter une demande de permis de visite d'un détenu au titre de l'article D. 404 précité ; qu'il apparaît, au vu des pièces versées au dossier, que M. A n'a sollicité, lorsqu'il était à la Maison de Luynes, qu'un simple permis de visite de la part d'un ministre du culte des Témoins de Jéhovah, lequel ne lui a été accordé, selon ses dires mêmes, qu'à la fin de l'année 2003 ; qu'en tout état de cause, et malgré les difficultés auxquelles il dit s'être heurté de la part des autorités pénitentiaires, il apparaît que le délai s'écoulant entre le 11 juin 2003, date de la demande de visite de M. A, et janvier 2004, mois durant lequel celui-ci a reçu l'assistance spirituelle de M. B, aumônier, n'était pas suffisamment long pour présenter un caractère disproportionné par rapport à l'obligation de l'administration pénitentiaire de satisfaire aux exigences de la vie religieuse, morale ou spirituelle découlant des textes sus-rappelés ;

Considérant en troisième lieu, qu'à la suite de son transfert à la Maison de Muret, M. A a présenté une nouvelle demande en juillet 2005 pour être visité par un ministre du culte de sa religion ; que cependant, si un tel ministre a parallèlement demandé son agrément à l'administration pénitentiaire, M. A n'a pu obtenir la visite de celui-ci qu'à compter du mois d'avril 2006, soit près de 10 mois plus tard ; qu'en outre, si le 1er mars 2006, l'intimé a demandé à cette même administration par l'intermédiaire de son conseil, à ce qu'un office religieux soit célébré, de façon exceptionnelle, le jeudi 13 avril 2006, l'administration n'établit ni qu'un tel office ne pouvait être matériellement organisé dans les locaux pénitentiaires, ni que cet office n'aurait pu concerner que M. A ; que de la même façon, le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ne justifie pas les nouveaux refus d'organiser un tel office religieux, également de façon exceptionnelle, à la fin de l'année 2007 et au début de 2010, autrement qu'en faisant valoir l'absence d'aumônier agréé alors que l'administration disposait d'au moins une demande en ce sens ; que ces quatre circonstances, marquant à la fois le non-respect des textes sus-rappelés, et l'absence de prise en compte de façon locale des attentes religieuses, morales ou spirituelles des détenus, notamment de M. A, sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est seulement fondé à soutenir que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris ne pouvait retenir la responsabilité de l'Etat qu'à raison des fautes commises par l'administration pénitentiaire à l'occasion du séjour de M. A dans la Maison de Muret ;

Sur le préjudice de M. A, et les conclusions reconventionnelles de celui-ci à ce titre :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que le délai d'environ 10 mois qui s'est écoulé entre la demande de visite de la part d'un ministre du culte de M. A, et la visite elle-même de celui-ci, ainsi que les trois tentatives de celui-ci afin d'obtenir en 2006, 2007 et 2010 que soit organisé dans les locaux pénitentiaires de Muret un office religieux exceptionnel, alors qu'il n'est pas établi par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE que la possibilité n'y soit pas déjà offerte, ont provoqué de manière directe et certaine une souffrance morale chez l'intéressé, purgeant une peine de longue durée ; que les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A, du fait des fautes commises par l'administration pénitentiaire, en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 3 000 euros ; que par suite, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce sens, et de rejeter les conclusions reconventionnelles de M. A à ce titre ;

Sur les conclusions de M. A tendant au versement de frais irrépétibles :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en faveur de M. A au titre des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : Le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. A la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions incidentes de M. A est rejeté.

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N° 10PA03619


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 10PA03619
Date de la décision : 30/05/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-03-07 Droits civils et individuels. Libertés publiques et libertés de la personne. Liberté des cultes.


Composition du Tribunal
Président : M. ROTH
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PRIVESSE
Rapporteur public ?: Mme SEULIN
Avocat(s) : CELINAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2011-05-30;10pa03619 ?
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