Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 septembre 2008 et 30 septembre 2009, présentés pour la société PROCTER ET GAMBLE HOLDING FRANCE SAS venant aux droits de la société PROCTER ET GAMBLE SERVICES FRANCE SAS dont le siège est 163-165 quai Aulagnier à Asnières-sur-Seine (92600), par Me Beetschen ; la société PROCTER ET GAMBLE HOLDING FRANCE SAS demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0303647/1-3 en date du 25 juillet 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 688 607,68 euros arrêtée au 31 décembre 2002 augmentée des intérêts légaux au 1er janvier 2003, intérêts portant eux-mêmes intérêts, en réparation du préjudice financier qu'elle a subi en raison de la mise en oeuvre de modalités édictées par l'Etat à la suite de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
2°) de prononcer la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 002 287,65 euros arrêtée au 31 décembre 2007 augmentée des intérêts légaux au 1er janvier 2008, intérêts portant eux-mêmes intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31décembre 1968 ;
Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;
Vu l'arrêté du 15 mars 1996 fixant le taux d'intérêt applicable à compter du 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;
Vu l'arrêt du 18 décembre 2007 de la Cour de justice des Communautés européennes rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedillac ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 avril 2010 :
- le rapport de M. Magnard, rapporteur,
- les conclusions de M. Egloff, rapporteur public,
- et les observations de Me Viardot se substituant à Me Beetschen pour la société PROCTER ET GAMBLE HOLDING FRANCE SAS ;
Considérant que la société PROCTER ET GAMBLE HOLDING FRANCE SAS, venant aux droits de la société PROCTER ET GAMBLE SERVICES FRANCE SAS, fait appel du jugement en date du 25 juillet 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 688 607,68 euros arrêtée au 31 décembre 2002 augmentée des intérêts légaux au 1er janvier 2003, intérêts portant
eux-mêmes intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi, de l'année 1993 à l'année 2002, à la suite de la mise en oeuvre des modalités de la suppression, prévue à l'article 271 A du code général des impôts, de la règle dite du décalage d'un mois en matière de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée et résultant, d'une part, du mécanisme de remboursement différé de la créance, d'autre part, de la rémunération insuffisante de cette créance provenant des taux de 4,5 %, 1 % et 0,1 % successivement fixés par arrêtés du ministre chargé du budget pour les intérêts échus en 1993 puis à compter du 1er janvier 1994 et du 1er janvier 1995 ; qu'elle demande à la cour la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 002 287,65 euros arrêtée au 31 décembre 2007 augmentée des intérêts légaux au 1er janvier 2008, intérêts portant eux-mêmes intérêts, correspondant à la différence entre le montant des intérêts effectivement perçus et le montant des intérêts calculés sur la base du taux de l'intérêt légal ;
Considérant que les premiers juges, qui ont répondu au moyen tiré de ce que le dispositif mis en place pour accompagner la suppression de la règle dite du décalage d'un mois constituait une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que ce dispositif portait au droit du contribuable au respect de ses biens une atteinte méconnaissant les stipulations de l'article 1er susmentionné ; qu'il y a lieu d'annuler pour ce motif le jugement attaqué, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le Tribunal administratif de Paris ;
Considérant que, par les dispositions de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993, le législateur a mis fin à la règle dite du décalage d'un mois , selon laquelle les assujettis ne pouvaient déduire immédiatement, de la taxe sur la valeur ajoutée dont ils étaient redevables, la taxe payée sur les biens ne constituant pas des immobilisations et sur les services, la déduction ne pouvant être opérée que le mois suivant ; qu'afin d'étaler sur plusieurs années l'incidence budgétaire de ce changement de règle, qui entraînait l'imputabilité sur la taxe due par les assujettis au titre du premier mois de sa prise d'effet, soit le mois de juillet 1993, de la taxe ayant grevé des biens et services acquis au cours de deux mois, soient les mois de juin et juillet 1993, les dispositions du II du même article 2 de la loi du 22 juin 1993, insérant dans le code général des impôts un article 271 A, ont prévu que, sous réserve d'exceptions et d'aménagements divers, les redevables devraient soustraire du montant de la taxe déductible ainsi déterminé celui d'une déduction de référence (...) égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction afférents aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui précèdent , que les droits à déduction de la sorte non exercés ouvriraient aux redevables une créance (...) sur le Trésor (...) convertie en titres inscrits en compte d'un égal montant , que des décrets en Conseil d'Etat détermineraient, notamment, les modalités de remboursement de ces titres, ce remboursement devant intervenir à hauteur de 10 % au minimum pour l'année 1994 et pour les années suivantes de 5 % par an au minimum (...) et dans un délai maximal de vingt ans , et, enfin, que les créances porteraient intérêt à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que ce taux puisse excéder 4,5 % ; que le décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement dès 1993 de la totalité des créances qui n'excédaient pas 150 000 F et d'une fraction au moins égale à cette somme et au plus égale à 25 % du montant des créances qui l'excédaient, le taux d'intérêt applicable en 1993 étant fixé à 4,5 % par un arrêté du 15 avril 1994 ; que le décret du 6 avril 1994 a prévu le remboursement du solde des créances à concurrence de 10 % de leur montant initial en 1994 et de 5 % chaque année suivante, le taux d'intérêt étant fixé à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 ; qu'enfin, le décret du 13 février 2002 a prévu le remboursement anticipé immédiat des créances non encore soldées, et celui des créances non encore portées en compte dès leur inscription ;
Sur les conclusions relatives aux années 1993 à 1997 :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ; que selon l'article 2 de cette même loi : La prescription est interrompue par : /Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; /Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; /Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné. / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ; qu'enfin, aux termes de l'article 7 de la même loi : L' administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...) ;
Considérant que les dispositions précitées s'appliquent à l'ensemble des dettes de l'Etat, y compris lorsque la créance est fondée sur une méconnaissance des engagements internationaux ; que contrairement à ce que soutient la société requérante, elle avait la possibilité de contester les dispositions mettant fin à la règle dite du décalage d'un mois dès leur publication en 1993 ; que l'intéressée a en outre eu connaissance, pour les années en cause, des taux d'intérêt appliqués à la créance qu'elle détenait sur le Trésor public au plus tard lors de la publication des arrêtés les fixant, en date, respectivement, des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 ; que, dès lors, la requérante ne pouvait légitimement ignorer l'existence du préjudice et de la créance dont elle se prévaut ainsi que le montant de cette créance ; qu'elle ne saurait, par suite, valablement soutenir que la publication du décret du 13 février 2002 ou l'intervention d'une décision de la Cour de Justice des communautés européennes en date du 25 octobre 2001 lui ayant permis de constater qu'elle avait subi un préjudice définitif et que la créance de taxe sur la valeur ajoutée n'étant pas exigible avant cette date, la prescription quadriennale n'avait pu courir avant ladite publication ou ladite intervention ; qu'en outre, la société requérante, qui disposait de la possibilité de saisir du litige le tribunal administratif compétent, n'est pas fondée à soutenir que la prescription qui lui est opposée porterait atteinte au droit au recours effectif prévu par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à ladite convention ou à la possibilité de faire valoir les droits qui lui sont reconnus par les règles communautaires ; que la société requérante n'ayant pas été privée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, et alors même que la prescription quadriennale lui serait opposable, du droit au recours effectif, le moyen tiré de ce que l'impossibilité de se prévaloir de l'inconstitutionnalité de la loi du 31 décembre 1968 porterait atteinte audit droit ne peut qu'être écarté ; qu'enfin, les délais de prescription n'ont pu être interrompus par des recours formés par d'autres contribuables s'étant trouvés dans des situations comparables, mais titulaires de créances différentes ni par le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret susmentionné en date du 13 février 2002, en tout état de cause présenté à une date à laquelle la prescription des sommes réclamées au titre de chaque annuité jusqu'au 31 décembre 1997 était déjà acquise ;
Considérant que la demande de la société requérante tendant à la réparation d'un préjudice financier au titre des années 1993 à 2002 a été adressée à l'administration le 23 décembre 2002 ; que la prescription était, dès lors, acquise au profit de l'Etat, pour les sommes réclamées au titre de chaque annuité jusqu'au 31 décembre 1997 ; que c'est, par suite, à bon droit que l'administration a opposé l'exception de prescription quadriennale aux conclusions de la société requérante relatives aux années 1993 à 1997 ;
Sur les conclusions relatives aux années 1998 à 2002 :
Considérant, en premier lieu, que selon l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires applicable au présent litige, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible et que selon l'article 18, paragraphe 2, de la même directive, la déduction est opérée par imputation sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration, du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance au cours de la même période ; que l'article 28, paragraphe 3, sous d) a toutefois prévu que les Etats membres pourraient pendant une période transitoire continuer à appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue par l'article 18, paragraphe 2 ; que, par un arrêt du 18 décembre 2007 rendu dans l'affaire C-368/06 SA Cedillac dans le cadre de la procédure de questions préjudicielles, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que les articles 17 et 18 de la sixième directive ne s'opposent pas au régime transitoire institué par la France à l'occasion de la suppression de la règle du décalage d'un mois autorisée par l'article 28, paragraphe 3, sous d) de la même directive, pour autant qu'il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d'espèce, le régime transitoire réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire antérieure ;
Considérant que le décret du 28 janvier 1993 a supprimé, dans un premier temps, la règle du décalage d'un mois, pour les redevables au forfait et à hauteur de 10 % de la taxe sur la valeur ajoutée déductible sur les biens autres ; que la requérante soutient qu'eu égard à cet abandon partiel de la règle du décalage d'un mois, le dispositif transitoire mis en place par la loi du 22 juin 1993 a entraîné une augmentation de la créance de l'assujetti sur le Trésor et n'a donc pas réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire ; que toutefois, les dispositions du décret du 28 janvier 1993, ainsi que celles prévoyant la transformation en créance remboursable d'une partie de la taxe sur la valeur ajoutée déductible et la suppression à compter du mois de juillet 1993 du décalage du droit à déduction constituent des éléments indissociables d'une même mesure permettant un alignement sur le droit commun de la déduction de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en instaurant un tel régime transitoire, qui lui est plus favorable que les règles prévalant antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 1993, dès lors notamment qu'il permet à la créance née de sa mise en oeuvre de produire des intérêts et limite la créance de l'assujetti qui n'est pas immédiatement remboursable au seul montant d'une déduction de référence égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction acquis des mois d'août 1992 à juillet 1993, et alors même qu'un tel système lui serait moins favorable que l'application pure et simple du principe de déduction immédiate prévu par la directive, le dispositif législatif en cause serait contraire aux dispositions des articles 17 et 18 de la sixième directive ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation ; que les dispositions des 1 à 5 de l'article 271 A du code général des impôts issues du II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 n'ont conduit à reporter le remboursement que d'une somme représentant un mois moyen d'excédent de taxe et non de la totalité des excédents qui ont pu être constatés, somme calculée sur une période allant du 1er août 1992 au 31 juillet 1993 et, ainsi, pour les onze douzièmes, antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction du 3 du I de l'article 271 du code général des impôts, issue du I de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 et supprimant le décalage d'un mois ; que, s'agissant des assujettis relevant du régime réel normal d'imposition, l'article 8 du décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement immédiat de la totalité des créances n'excédant pas 150 000 F et, à concurrence de 25 %, le remboursement immédiat des créances d'un montant supérieur, avec un minimum de 150 000 F ; que ce texte, dès lors, d'une part, qu'il a garanti aux titulaires d'une créance excédant 150 000 F un remboursement d'un montant au moins égal à cette somme et, d'autre part, qu'il était applicable à l'ensemble des entreprises assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et leur a permis d'obtenir le remboursement intégral desdites créances, n'a créé aucune discrimination avec les titulaires de créances d'un montant inférieur et n'a pas eu pour effet de créer une différence de traitement injustifiée entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée selon la taille des entreprises concernées ; qu'en outre, la circonstance que les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée concernés par le dispositif de remboursement progressif des créances nées de la suppression du décalage d'un mois avaient la qualité de créancier de l'Etat n'imposait pas de leur réserver un traitement identique aux autres créanciers de l'Etat, notamment les porteurs d'obligations assimilables du Trésor, qui ne se trouvaient pas dans la même situation ; que les différences de rémunération afférentes aux titres de ces deux catégories de créanciers présentaient ainsi une justification objective ; qu'il suit de là que si les créances de taxe sur la valeur ajoutée nées de l'instauration d'un régime de déduction immédiate supérieures à un certain montant ont fait l'objet d'un remboursement différé et ont donné lieu à un niveau de rémunération inférieur à celui des taux d'intérêts du marché ou à ceux auxquels peuvent prétendre d'autres catégories de créanciers de l'Etat, la distinction ainsi introduite par le législateur et qui est pertinente au regard des buts poursuivis, n'a pas abouti à des effets disproportionnés au regard des buts poursuivis et ne pouvait être regardée comme une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. /Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;
Considérant que les stipulations précitées ne faisaient pas obstacle, en elles-mêmes, à la mise en oeuvre d'un dispositif transitoire destiné à répartir sur plusieurs années la charge de remboursement de la créance née de la suppression de la règle du décalage d'un mois, ni même à ce que la créance sur le Trésor public mentionnée par le II de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 fût rémunérée à un taux inférieur à celui applicable aux autres créances sur l'Etat, compte tenu de l'intérêt qui s'attachait à la conciliation de l'instauration d'un régime de droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée se rapprochant des règles de droit commun prévues par la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 avec la nécessité de limiter l'impact budgétaire d'une telle mesure ; qu'il suit de là que les dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, en ce qu'elles se bornaient à plafonner à 4,5 % le taux de rémunération des créances sur le Trésor public résultant de la suppression du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée, n'étaient pas, par elles-mêmes, contraires aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il en va de même des dispositions de l'arrêté du 15 avril 1994 fixant à 4,5 % le taux d'intérêt rémunérant ces mêmes créances, dès lors, compte tenu notamment de l'origine de ces créances, qu'elles préservaient un juste équilibre entre le respect des biens des contribuables et les motifs d'intérêt général avancés par l'administration ;
Considérant, toutefois eu égard notamment au caractère incessible des créances mentionnées à l'article 271 A du code général des impôts et au délai dans lequel ces dernières ont été remboursées, que les stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au respect de la propriété privée faisaient obstacle à ce que le ministre chargé du budget arrêtât, sur le fondement des dispositions de l'article 271 A du code général des impôts, un taux de rémunération de cette créance aboutissant à une dépréciation de celle-ci en termes réels ; qu'il suit de là qu'en fixant, par l'arrêté du 15 mars 1996, un taux de 0,1 % pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1995, correspondant à un niveau de rémunération quasi-nul, et en maintenant ce taux pour les intérêts dus au titre des années 1998 à 2002, alors même que la part non encore remboursée des créances sur le Trésor revêtait un caractère de plus en plus résiduel, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de ce que le ministre chargé du budget a commis une erreur manifeste d'appréciation en fixant le taux des intérêts échus à compter du 1er janvier 1995 à 0,1 %, la société requérante est fondée à demander réparation du préjudice qu'elle a subi à ce titre ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de la rémunération à laquelle la société requérante pouvait prétendre en la calculant, compte tenu de l'origine de la créance et de la nécessité de concilier une rémunération effective de cette créance avec les contraintes d'intérêt général de limitation de l'impact budgétaire de la mesure, sur la base d'un taux d'intérêt équivalent à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor, soit respectivement 2,30 %, 2,35 %, 2,70%, 2,50 % et 2,40 % pour les années 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002 ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner l'Etat, en réparation du préjudice subi par la société requérante du fait de l'insuffisante rémunération de sa créance, à verser à la société requérante une indemnité d'un montant correspondant à la différence entre la rémunération calculée sur cette base et celle, calculée sur le fondement du taux d'intérêt de 0,1 %, qui lui a été allouée au titre des intérêts échus au cours des années 1998 à 2002 ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande la société requérante tendant à ce que le différentiel annuel d'intérêt représentatif de l'insuffisante rémunération de sa créance soit ajouté au montant de la créance portant intérêt au titre de l'année suivante ;
Sur les intérêts :
Considérant que la société requérante a droit aux intérêts au taux légal sur la somme susmentionnée à compter du 1er janvier 2003, la demande d'indemnisation ayant été reçue par l'administration avant le 31 décembre 2002 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la société requérante a demandé la capitalisation des intérêts dans un mémoire présenté en 2003 ; que cette demande prend effet à compter du 1er janvier 2004, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 0303647/1-3 en date du 25 juillet 2008 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société PROCTER ET GAMBLE HOLDING FRANCE SAS une somme calculée selon les modalités ci-dessus définies, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2003. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 1er janvier 2004 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à la société PROCTER ET GAMBLE HOLDING FRANCE SAS la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de la société PROCTER ET GAMBLE HOLDING FRANCE SAS devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que de sa requête devant la cour est rejeté.
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N° 08PA04940