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03/12/2008 | FRANCE | N°06PA02000

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7éme chambre, 03 décembre 2008, 06PA02000


Vu le recours, enregistré le 1er juin 2006, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n°9913764 en date du 17 mars 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. Raphaël X, d'une part la somme de 50 000 euros avec intérêt au taux légal à compter du 1er juin 1999, les intérêts échus à la date du 1er juin 2000, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date étant capitalisés à chacune de ces dates pour produire

eux-mêmes intérêts, d'autre part, la somme de 1 000 euros au titre de l'artic...

Vu le recours, enregistré le 1er juin 2006, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n°9913764 en date du 17 mars 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. Raphaël X, d'une part la somme de 50 000 euros avec intérêt au taux légal à compter du 1er juin 1999, les intérêts échus à la date du 1er juin 2000, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date étant capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts, d'autre part, la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.............................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 novembre 2008 :

- le rapport de Mme Brin, rapporteur ;

- et les conclusions de Mme Isidoro, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X, qui exploitait une entreprise individuelle de confection sous l'enseigne Garyland à Paris, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 1981 à 1984 qui s'est déroulée du 2 octobre au 16 décembre 1985 ; qu'à la suite de la rectification d'office des résultats de l'entreprise par les services fiscaux au titre des années 1983 et 1984, sa comptabilité n'ayant pas été regardée comme probante, des rappels d'imposition d'un montant, pénalités comprises, de 402 699 F au titre de l'impôt sur le revenu et de 149 891 F au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, ont été mis en recouvrement respectivement le 17 novembre 1986 et le 28 février 1987 ; qu'au cours de l'instance relative à la décharge de ces impositions, l'administration, devant le Tribunal administratif de Paris, a prononcé le dégrèvement de la totalité des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes par décision du 20 janvier 1990 et à hauteur de 108 512 F en droits et pénalités en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée ; que, par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux en date du 18 septembre 1998, M. X a été déchargé de l'intégralité du rappel de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige ; que

M. X, le 27 juillet 1999, a demandé devant le Tribunal administratif de Paris la réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi à raison de la faute lourde commise par les services de l'assiette ; que, par le jugement du 17 mars 2006, ce tribunal a condamné l'Etat à verser à M. X la somme de 50 000 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ainsi que celle de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE fait appel de ce jugement en soutenant que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée et, par la voie du recours incident, M. X conclut à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 775 594 euros pour les divers préjudices qu'il aurait subis ;

Sur le principe de la responsabilité de l'Etat :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la vérification de comptabilité dont a fait l'objet l'entreprise Garyland a été diligentée par les services fiscaux compte tenu du fait qu'elle comptait parmi ses fournisseurs les sociétés Famoro, Giroflée et Mio, répertoriées par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes comme étant des officines de facturation de complaisance impliquées dans un réseau de travail clandestin ; que le recours pour les années 1983 et 1984 à la procédure de rectification d'office, alors applicable, a été motivé par le fait que M. X avait eu connaissance du réseau de fausse facturation animé par ces trois sociétés dont il détenait dix factures, par le caractère irrégulier de celles-ci et par l'absence de conservation par le contribuable des pièces justificatives des achats correspondants, ce qui a conduit le vérificateur à écarter la comptabilité de l'entreprise comme non probante ; que, toutefois, les factures, qualifiées de complaisance par le vérificateur, représentaient un faible échantillon et les anomalies que comportait la comptabilité étaient mineures ; qu'il n'est, par ailleurs, pas établi que M. X ait participé au réseau de fausse facturation ainsi que le relève une lettre du 24 février 1986, antérieure à l'entretien le 24 mars suivant de M. X avec l'interlocuteur départemental qui a maintenu la position du service par la suite, par laquelle le juge d'instruction chargé de l'information ouverte à l'encontre des dirigeants des sociétés ayant délivré des factures à M. X avait indiqué à ce dernier « qu'en contrepartie de ces factures, une prestation de service (avait) réellement été effectuée et que (sa) bonne foi ne (pouvait) être mise en doute sur le fait (qu'il avait) cru que ces prestations de services ont été réellement effectuées » ; que même si cette lettre est dépourvue de l'autorité de la chose jugée au pénal, elle n'est pas infirmée par l'avis émis par le procureur de la République dans son courrier du 5 mai 1986 adressé à l'administration à la suite de la demande formulée par le directeur des services fiscaux par lettre du 23 avril 1986 ; qu'ainsi le recours à la procédure de rectification d'office a constitué dans les circonstances de l'espèce, qui présentait des difficultés particulières, une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Sur le préjudice et le montant de l'indemnité :

Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. X la somme de 50 000 euros au titre des troubles subis par ce dernier dans ses conditions d'existence et a estimé qu'étaient sans lien direct avec le comportement fautif de l'administration fiscale la perte dégagée lors de la cession de son fonds de commerce par M. X ainsi que le manque à gagner constitué par la perte de revenus subis par celui-ci à la suite de cette cession ;

En ce qui concerne la moins-value subie en raison de la cession du fonds de commerce :

Considérant que, pour prétendre à l'indemnisation de cette moins-value qu'il évalue à 354 834 euros, M. X soutient qu'il a dû procéder dans l'urgence, le

10 septembre 1987, à la cession à vil prix de son fonds de commerce en raison du refus du comptable public de la garantie qu'il proposait sous la forme d'un nantissement de ce fonds en contrepartie du sursis de paiement ; qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de la demande de M. X tendant au bénéfice du sursis de paiement, l'administration lui a demandé de constituer des garanties le 19 décembre 1986 ; que le contribuable a proposé le

7 janvier 1987 ledit nantissement ; que l'administration ne s'est pas prononcée sur cette offre de garantie ; que le 13 février suivant le comptable public a inscrit un privilège sur le fonds de commerce de l'intéressé ; qu'une telle inscription n'a pas le caractère d'une mesure de recouvrement forcé ou d'une mesure conservatoire ; que le receveur a fait opposition au paiement du prix de vente le 24 septembre 1987 dont la mainlevée a été décidée par la suite ; qu'ainsi, entre le 7 janvier et le 24 septembre 1987, les services du recouvrement n'ont engagé aucune action ayant la nature d'une contrainte à l'encontre de M. X, lequel, dès lors que l'administration n'a pas rejeté les garanties qu'il avait offertes, a bénéficié du sursis de paiement ; qu'en outre, la constitution de la caution bancaire dont M. X allègue qu'elle rendait obligatoire la cession de son fonds est intervenue le 8 juin 1998 soit postérieurement à ladite cession et à la date de celle-ci l'intéressé disposait de fonds provenant de la vente de son appartement réalisée en août 2007 ; que, dans ces conditions,

M. X ne pouvant être regardé comme ayant été contraint dès le 10 septembre 1987 à céder son fonds de commerce, la moins-value, à la supposer établie, dont il demande réparation ne saurait être regardée comme la conséquence directe de la faute des services d'assiette, ni du comportement de ceux du recouvrement ; que, par suite, les conclusions de recours incident de M. X sur ce point doivent être rejetées ;

En ce qui concerne le manque à gagner :

Considérant que, pour conclure à l'indemnisation des pertes de revenus et de la perte de chance de poursuivre ou de redresser l'exploitation de son entreprise qu'il estime à 268 310 euros, M. X soutient que la cession de son fonds de commerce dans les conditions susénoncées a entraîné la perte de ses bénéfices industriels et commerciaux et l'a contraint ensuite, durant onze ans, à exercer des emplois précaires moins rémunérateurs alternant avec des périodes de chômage ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que ce changement précipité dans la situation professionnelle de M. X, dont l'entreprise Garyland connaissait d'ailleurs des difficultés, n'a pas de lien direct avec le comportement fautif de l'administration fiscale ; que, par suite, les conclusions du recours incident de M. X sur ce point doivent être rejetés ;

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :

Considérant que M. X fait valoir que la faute des services d'assiette lui a causé un préjudice moral, évalué à 152 449 euros, compte tenu de l'atteinte portée à sa probité, des tracas judiciaires subis, de la détérioration de son statut social et du divorce qui en a résulté ; que le tribunal administratif pour indemniser ce chef de préjudice à hauteur de 50 000 euros a retenu la circonstance que M. X a, outre les redressements litigieux fondés sur sa participation supposée à un réseau de fausses factures, reçu notification, le 3 juillet 1987, d'une mise en demeure de verser la somme de 10 384 740 F (1 583 143,41 euros) concernant la société Mio, mise en demeure à laquelle aucune suite n'a été réservée ; que, toutefois, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE fait valoir que cette mise en demeure, reçue le 4 août 1987 par l'entreprise Garyland, qui n'était pas un acte annonciateur de poursuites, et qui était fondée sur l'article 1724 quarter du code général des impôts s'élevait seulement à 6 104,52 euros, ce que ne conteste pas M. X ; que, dans les circonstances de l'espèce où ce dernier a bénéficié du sursis de paiement, il sera fait une juste appréciation des troubles qu'il a subis dans ses conditions d'existence en évaluant le préjudice de ce chef à 25 000 euros ; qu'il y a donc lieu de ramener à cette somme la condamnation de l'Etat décidée par les premiers juges et de réformer en ce sens l'article 1er du jugement attaqué ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la somme de 25 000 euros doit porter intérêt au taux légal à compter du 1er juin 1999 ; que M. X demande devant la cour le 11 octobre 2006 la capitalisation des intérêts ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 1er juin 2000 date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué mettant à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à ce titre, et, d'autre part, que M. X demande devant la cour l'allocation de frais exposés et non compris dans les dépens ; que les conclusions de ce dernier qui ne sont pas chiffrées doivent être rejetées ; que celles du ministre, dès lors que l'article 1er du jugement dont il relève l'appel n'est que réformé, ne peuvent être accueillies ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 50 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. X par le jugement du 17 mars 2006 du Tribunal administratif de Paris est ramenée à la somme de 25 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 1999. Les intérêts échus à la date du 1er juin 2000, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement n°9913764 du 17 mars 2006 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et l'appel incident de M. X sont rejetés.

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N° 06PA02000


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7éme chambre
Numéro d'arrêt : 06PA02000
Date de la décision : 03/12/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme TRICOT
Rapporteur ?: Mme Dominique BRIN
Rapporteur public ?: Mme ISIDORO
Avocat(s) : C/M/S/ BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2008-12-03;06pa02000 ?
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