Vu, I, sous le n° 05PA04098, la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés les 11 octobre et 14 novembre 2005, présentés pour le MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L'EQUIPEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER, par la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez ; le MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L'EQUIPEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0417651/3 en date du 18 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamné à verser 15 000 euros à Mme Claude ZYX et 10 000 euros chacuns à MM. Olivier et Nicolas ZYX en réparation des préjudices subis du fait du décès de M. Bernard ZYX lors de la destruction au décollage, le 20 janvier 1995, sur l'aérodrome du Bourget d'un aéronef dont il était le passager ;
2°) de rejeter les demandes de première instance de Mme et MM. ZYX ;
3°) de mettre à la charge solidaire de Mme et MM. ZYX la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu, II, sous le n° 06PA03237, la requête, enregistrée le 5 septembre 2006, présentée pour Mme Claude A épouse , demeurant ..., M. Olivier , agissant en son nom et en celui de son fils mineur, Romain, tous deux demeurant ..., et M. Nicolas , demeurant ..., par la SCP Carbonnier-Lamaze-Rasle et Associés ; les consorts demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0417651/3-2 en date du 5 juillet 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à ce que le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer soit condamné à leur verser diverses sommes en réparation du préjudice financier résultant du décès de leur époux et père M. Bernard ZYX ;
2°) de condamner le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer à verser à Mme la somme de 2 513 193 euros, à MM. Olivier et Nicolas les sommes de 38 112 euros et à M. Romain la somme de 15 245 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 1999 et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de
10 000 euros ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 77-1448 du 27 décembre 1977 ;
Vu l'arrêté du 24 juillet 1989 du ministre chargé de l'aviation civile relatif à la prévention du péril aviaire sur les aérodromes ;
Vu le code de l'aviation civile ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 avril 2008 :
- le rapport de M. Demouveaux, rapporteur,
- les observations de Me Steinmetz pour le MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L'EQUIPEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER, celles de Me Billard, pour les Aéroports de Paris, et celles de Me Carbonnier pour les consorts ,
- et les conclusions de M. Jarrige, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n° 05PA04098 et 06PA03237 tendent à l'annulation ou à la réformation de jugements statuant sur la même demande ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt ;
Sur la recevabilité de la requête n° 06PA03237 :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : « La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge… » ;
Considérant que, par son mémoire introductif d'appel, Mme , rappelant le motif pour lequel le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à obtenir la réparation de son préjudice économique, à savoir le défaut de pièces justifiant la réalité de ce préjudice, ne se borne pas à reproduire littéralement ses conclusions et moyens de première instance ou à y renvoyer mais dresse la liste des pièces justificatives qu'elle a fournies en première instance pour en déduire que le motif retenu par les premiers juges est erroné ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, un tel mémoire satisfait aux exigences de l'article R. 411-1 précité ;
Sur la régularité des jugements attaqués :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 455-2 du code de la sécurité sociale : « Dans les cas prévus aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 453-1 et L. 454-1, la victime ou ses ayants droit doivent appeler la caisse en déclaration de jugement commun ou réciproquement. A défaut, la nullité du jugement sur le fond peut être demandée pendant deux ans à compter de la date à laquelle le jugement est devenu définitif soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y ont intérêt. » ; que cette obligation a pour objet, en matière d'accident du travail, de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des caisses de sécurité sociale dans les litiges opposant la victime d'un préjudice corporel et le tiers responsable de l'accident ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier de première instance que
M. ZYX, dont la veuve et les enfants demandaient à l'Etat réparation des conséquences dommageables de l'accident aérien dont il a été victime, était assuré social ; que le Tribunal administratif de Paris n'a pas communiqué cette demande à la caisse de sécurité sociale ; qu'il a ainsi méconnu la portée des dispositions susmentionnées du code de la sécurité sociale qui lui faisaient obligation de mettre en cause la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine dans le litige opposant la veuve et les enfants de la victime à l'Etat ; qu'eu égard au motif qui a conduit le législateur à édicter ces prescriptions, leur violation a constitué une irrégularité que la cour, saisie de conclusions d'appel tendant à l'annulation du jugement qui lui est déféré, doit soulever même d'office ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler les jugements du Tribunal administratif de Paris en date du 18 mai 2005 et du 5 juillet 2006 ;
Considérant que la cour ayant mis en cause la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le tribunal administratif par les consorts ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que le 20 janvier 1995 à 17 heures 32, un avion Falcon 20 de la compagnie Leadair Unijet s'est écrasé sur la piste 25 de l'aéroport de Paris-Le Bourget deux minutes après son décollage ; que les trois membres d'équipage et les sept passagers, dont M. Bernard ZYX, ont été tués sur le coup ; que l'enquête a établi que l'incendie brutal du réservoir de carburant qui a entraîné la chute de l'appareil avait été déclenché par l'ingestion de nombreux oiseaux de l'espèce vanneau huppé par le réacteur gauche de l'appareil ; que les consorts mettent en cause la responsabilité de l'Etat dans cet accident pour avoir commis des fautes dans sa mission de lutte contre le péril aviaire ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'agent chargé, selon les consignes intérieures de l'aéroport du Bourget, d'effaroucher les oiseaux sur les pistes de 14 heures à 18 heures le 20 janvier 1995 et qui circulait à cet effet à bord du véhicule adapté, a quitté son service à 16 heures heure locale avec l'autorisation de son chef de service sans que soit organisé son remplacement ; que si l'Etat soutient que la prévention du péril aviaire a continué d'être exercée par les autres personnels de l'aéroport, notamment la personne ayant véhiculé un essencier à 16 heures 20 et 16 heures 50 et les quatre agents présents dans le bureau de piste, il ne le démontre pas, ces personnels n'ayant consigné aucune observation ; que ce défaut de surveillance, alors en outre que la ligne de bruiteurs effaroucheurs de la piste 25 était hors d'usage depuis plus d'un an, constitue un manquement aux prescriptions tant des consignes intérieures de l'aéroport, qui peuvent être utilement invoquées pour démontrer la défaillance de l'administration, que de l'article 6 de l'arrêté du 24 juillet 1989, qui ne prévoit d'interruption du service que pendant la « période nocturne » dont il n'est pas démontré qu'elle aurait débuté le 20 janvier 1995 avant 17 heures 57 heure locale, début de la « nuit aéronautique » ; que contrairement à ce que soutient l'Etat, la période crépusculaire et l'état des pistes juste après la fin d'un orage rendaient encore plus probable, à l'heure du décollage, la rencontre de vols de vanneaux huppés, dont des concentrations avaient d'ailleurs été observées sur l'aéroport le jour même et une d'entre elle dispersée à 14 heures aux abords de la piste 25 ;
Considérant que la seule circonstance qu'il résulte de l'enregistrement des conversations dans le cockpit que le copilote a fait observer au pilote « des oiseaux » durant la phase de roulage vers 17 heures 24, sans qu'il soit possible d'après cet enregistrement d'en connaître le nombre ou la position, ne permet pas de conclure que les pilotes, qui d'ailleurs n'étaient pas avertis qu'aucun des moyens de lutte contre le péril aviaire n'était alors en fonctionnement, auraient méconnu les dispositions de l'article 8 de l'arrêté du 24 juillet 1989 précité en ne signalant pas une concentration d'oiseaux ou pris un risque en décidant de décoller six minutes plus tard de la piste 25 ;
Considérant que l'accident litigieux a été causé par la présence de vanneaux huppés sur la piste 25 de l'aéroport lors du décollage de l'avion, alors que ce site n'avait pas été visité par le service de prévention du péril aviaire depuis 16 heures au moins et que les moyens fixes d'effarouchement étaient hors d'usage ; que les fautes commises par l'Etat dans sa mission de lutte contre le péril aviaire sur les aérodromes doivent donc être regardées, alors même qu'elles n'ont entraîné que la perte d'une chance sérieuse d'éviter l'accident, comme à l'origine de celui ;ci ; que l'Etat doit donc être déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables de cet accident ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne le préjudice moral :
Considérant qu'il sera fait une suffisante appréciation de la douleur morale subie par les intéressés en accordant une indemnité de 15 000 euros à Mme Claude , veuve de M. ZYX, et une indemnité de 10 000 euros à chacun de ses fils Olivier et Nicolas ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée à ce titre en faveur du jeune Romain dès lors que celui-ci est né plus de deux ans après le décès de M. Bernard ZYX et que le fait de ne pas avoir connu un de ses grands-parents ne constitue pas en lui-même un préjudice moral ;
En ce qui concerne le préjudice matériel :
Considérant, en premier lieu, que l'indemnité représentative de pertes de revenus à laquelle a droit Mme , au titre de la période de six ans séparant la date de l'accident dont a été victime son époux de la date prévisible du départ à la retraite de celui-ci, doit être fixée à partir des revenus professionnels que percevait annuellement M. ZYX en 1994, soit 626 926, 92 euros ;
Considérant, en deuxième lieu, que si Mme a bénéficié de contrats passés par la S.N.C. Générale de Sucrières, la S.A. Générale de Sucrières et la société Saint-Louis avec la compagnie d'assurances A.G.R.R. Prévoyance en faveur des membres cadres du personnel de ces sociétés, les contrats ainsi passés constituent des assurances de personnes dont l'objet est de garantir aux bénéficiaires un capital-décès ; qu'en vertu de ces contrats, si le décès de l'assuré est accidentel et est survenu à l'occasion d'un déplacement professionnel, des garanties supplémentaires sont dues ; que les modalités de calcul de l'ensemble de ces prestations sont fixées à l'avance en fonction du traitement de l'assuré et de sa situation de famille ; que les sommes versées ne présentant donc pas un caractère indemnitaire, il n'y a pas lieu de les déduire de l'indemnité que Mme est en droit de percevoir de l'Etat au titre de la responsabilité encourue par celui-ci ;
Considérant, en troisième lieu, que Mme n'apporte aucune précision et aucun document justificatif concernant la perte d'options de souscription de titres d'un montant de 256 419 euros qu'elle affirme avoir subie ; que ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme doivent donc être rejetées ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine a versé à Mme , de 1994 à 1998, une rente d'accident du travail pour un montant total de 62 695, 60 euros ; qu'alors même qu'elle n'a pas présenté de conclusions à cette fin, cette caisse a droit, dans les limites fixées par l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, au remboursement des arrérages de la rente d'accident qu'elle a versés à Mme ; qu'il y a donc lieu de déduire la somme dite de 62 695, 60 euros de l'indemnité à laquelle est en droit de prétendre Mme en réparation de son préjudice propre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et eu égard à la circonstance qu'une part des revenus professionnels de M. ZYX égale à 50 % doit être regardée comme destinée à répondre aux besoins personnels de Mme , que le préjudice économique total causé à celle-ci par le décès accidentel de son mari et dont la réparation doit être mise à la charge de l'Etat s'élève à la somme de 1 818 085, 56 euros ;
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
Considérant que l'indemnité due à Mme au titre de son préjudice matériel et moral s'élève à 1 833 085, 56 euros, et celles dues à MM. Olivier et Romain , au titre de leur préjudice moral, à 10 000 euros ; que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 1999, date de réception de la réclamation préalable auprès de l'administration ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par le mémoire introductif d'instance enregistré au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2002 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a donc lieu de faire droit à cette demande à compter du 18 juin 2002 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme et MM. , qui ne sont pas les parties perdantes, versent à l'Etat la somme que celui-ci demande au titre de ses frais de procédure ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en application des mêmes dispositions de mettre à la charge de l'Etat le versement aux consorts d'une somme de 3 000 euros au titre des frais qu'ils ont exposés pour leur défense en appel ;
D E C I D E :
Article 1er : Les jugements susvisés du Tribunal administratif de Paris des 18 mai 2005 et 5 juillet 2006 sont annulés.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme la somme de 1 833 085, 56 euros et à MM. Olivier et Nicolas la somme de 10 000 euros chacun. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 1999. Les intérêts porteront eux-mêmes intérêts le 18 juin 2002 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à Mme Claude et MM. Olivier et Nicolas en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
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N° 05PA04098, 06PA03237