Vu l'ordonnance n° 300664 du 19 février 2007, enregistrée le 1er mars 2007, par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête de Mme Michèle X à la Cour administrative d'appel de Paris ;
Vu la requête, enregistrée le 16 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Michèle X, demeurant ..., par la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin ; Mme X demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 0520896/5-2 du 14 novembre 2006 par laquelle le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite du ministre des transports, de l'équipement et du tourisme refusant de lui allouer une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de l'absence d'intégration, dans la rémunération qui lui a été versée, de la part d'indemnité de résidence progressivement intégrée dans la rémunération des agents contractuels non rémunérés sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie, d'enjoindre au ministre de l'équipement de régulariser sa situation auprès des organismes sociaux et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros avec les intérêts capitalisés ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée ;
Vu la loi n° 2005-1720 de finances rectificative pour 2005, notamment son article 127 ;
Vu le décret n° 70-393 du 12 mai 1970 modifié ;
Vu le décret n° 73-966 du 16 octobre 1973 modifié ;
Vu le décret n° 74-652 du 19 juillet 1974 modifié ;
Vu le décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 avril 2008 :
- le rapport de M. Lelièvre, rapporteur,
- et les conclusions de M. Marino, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : « … Les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : … 6° Statuer sur des requêtes relevant d'une série, qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification juridique des faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchée ensemble par une même décision passée en force de chose jugée ou à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux ou examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d'Etat en application de l'article L. 113-1 » ;
Considérant que l'ordonnance attaquée du vice-président de la 5ème section du Tribunal administratif de Paris en date du 14 novembre 2006 ne mentionne ni ne vise la décision passée en force de chose jugée, la décision ou l'avis du Conseil d'Etat ayant justifié l'application des dispositions précitées du 6° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ; que, par suite, Mme X est fondée à soutenir que ladite ordonnance n'est pas suffisamment motivée et à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme X devant le Tribunal administratif de Paris ;
Considérant que l'indemnité de résidence, régie successivement par les décrets des 12 mai 1970, 16 octobre 1973, 19 juillet 1974, 24 octobre 1985 et 30 juillet 1987, a été progressivement intégrée dans le traitement des personnels civils et militaires de l'Etat, dont la rémunération a été corrélativement majorée ; que, jusqu'à l'intervention du décret du 30 octobre 1987, l'indemnité de résidence était due aux agents contractuels de l'Etat, à l'exception de ceux rémunérés sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie ;
Considérant que, par une décision du 24 juin 2005, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé que les agents contractuels ingénieurs et diplômés de l'enseignement supérieur du service d'études techniques des routes et autoroutes (SETRA) bénéficiaient d'un barème de rémunération qui était constamment mis à jour en fonction des variations des rémunérations de la fonction publique ; qu'il en a déduit que ces agents, alors même que leur rémunération avait été, à l'origine, fixée en référence aux salaires prévus par la convention collective de l'industrie chimique de la région parisienne, n'étaient pas au nombre des personnels rétribués sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie et avaient, par suite, droit au bénéfice de l'indemnité de résidence intégrée au traitement ;
Considérant toutefois que l'article 127 de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 a prévu que les agents non titulaires du laboratoire central des ponts et chaussées et des centres d'études techniques de l'équipement - dont la situation au regard de l'indemnité de résidence est identique à celle des agents du SETRA - sont sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et des instances en cours à la date du 7 décembre 2005, réputés avoir été rétribués depuis leur engagement sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie pour l'application des dispositions relatives à l'indemnité de résidence et l'intégration d'une partie de celle-ci dans le traitement ;
Considérant que l'attribution de l'indemnité de résidence à un agent public constitue un droit à caractère civil au sens du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi et qui décidera (…) des contestations sur des droits et obligations de caractère civil (…) ;
Considérant que, pour être compatible avec ces stipulations, l'intervention du législateur en vue de modifier, de façon rétroactive, au profit de l'Etat les règles applicables à des procès en cours doit reposer sur d'impérieux motifs d'intérêt général ;
Considérant que, s'agissant des dispositions de l'article 127 de la loi susvisée du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, issues d'un amendement dont l'adoption ne pouvait être regardée comme prévisible, il ne ressort ni des travaux préparatoires, ni des pièces du dossier que le fait de regarder les agents concernés comme rémunérés depuis leur engagement sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie repose sur d'impérieux motifs d'intérêt général ; qu'en effet, il résulte de l'instruction que ni le motif financier, ni le motif d'équité entre titulaires et non ;titulaires avancés par l'Etat pour justifier ces dispositions rétroactives, ne revêtent, en l'espèce, de caractère impérieux d'intérêt général ; qu'en conséquence, dans la mesure où ces dispositions rétroactives ont pour objet d'influer sur l'issue des procédures juridictionnelles engagées par des fonctionnaires s'étant vu refuser le bénéfice d'une jurisprudence alors applicable - laquelle conduisait à regarder les agents intéressés comme ayant été rémunérés depuis leur engagement en référence à un indice de la fonction publique et devant par suite bénéficier de l'indemnité de résidence intégrée au traitement - elles méconnaissent les stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il découle de l'objet même de ces stipulations que cette incompatibilité ne peut être utilement invoquée que par les agents qui, à la date de leur entrée en vigueur, avaient, à la suite d'une décision rejetant leur demande préalable tendant au bénéfice de l'indemnité de résidence intégrée au traitement, engagé une action contentieuse en vue d'obtenir la condamnation de l'Etat au versement des sommes correspondantes ; qu'en revanche, le législateur pouvait, sans méconnaître les stipulations de l'article 6 de la convention, prévoir, pour l'avenir, que les agents intéressés cessent d'être éligibles au bénéfice de l'indemnité de résidence intégrée ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme X, agent contractuel régi par la décision du ministre de l'équipement du 14 mai 1973, demande que l'Etat soit condamné à lui verser les rappels de rémunération correspondant à la revalorisation de sa base de rémunération pour tenir compte des mesures d'intégration mentionnées ci ;dessus ; que l'intéressée avait saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande en ce sens le 22 décembre 2005, soit antérieurement au 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, le lendemain de sa publication, le 31 décembre 2005, au Journal officiel de la République française ; que l'application de cette loi à la demande de Mme X étant, par suite, de nature à méconnaître les stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle doit être écartée en ce qui concerne sa situation indemnitaire antérieure au 31 décembre 2005 ; qu'ainsi, l'administration n'est pas fondée à s'en prévaloir en défense ;
Sur la prescription quadriennale :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 68 ;1250 susvisée du 31 décembre 1968 : « Sont prescrites, au profit de l'Etat, … sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis » ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui ;même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance … » ;
Considérant que le fait générateur des créances dont se prévaut Mme CORDFIR est constitué par le service fait par l'intéressée ; que si la réclamation datée du 1er décembre 2005 a eu pour effet d'interrompre le cours de la prescription quadriennale s'agissant des créances afférentes aux années 2001 et suivantes, les créances afférentes aux années antérieures étaient, en revanche, déjà prescrites à la date de présentation de la réclamation précitée ; que, par suite, l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, en ce qui concerne ces dernières créances, doit être accueillie ;
Sur les conclusions de Mme CORDFIR tendant à l'intégration à son traitement de l'indemnité de résidence :
Considérant que, jusqu'à l'intervention du décret du 30 juillet 1987, l'indemnité de résidence était due aux agents contractuels de l'Etat, à l'exception de ceux rémunérés sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie ; qu'il résulte de l'instruction que les agents contractuels régis par la décision du ministre de l'équipement du 14 mai 1973 bénéficient d'un barème de rémunération qui est constamment mis à jour en fonction des variations des rémunérations de la fonction publique ; qu'ainsi, ces agents, alors même que leur rémunération a été, à l'origine, fixée en référence aux salaires prévus par la convention collective de l'industrie chimique de la région parisienne, ne sont pas au nombre des personnels rétribués sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie ;
Considérant qu'il suit de là que Mme X avait droit, pour la période antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 30 juillet 1987, au bénéfice de l'indemnité de résidence ; que, si la règle de la prescription fait obstacle à ce que Mme X bénéficie, antérieurement au 1er janvier 2001, de l'indemnité de résidence et des majorations de traitements correspondantes, elle ne s'oppose toutefois pas à ce que le montant de son traitement indiciaire entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2005 soit déterminé en tenant compte des conséquences de l'intégration de l'indemnité de résidence aux rémunérations opérée par les décrets mentionnés ci ;dessus ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etat doit être condamné à verser à Mme X la différence entre les rémunérations qu'elle a perçues entre janvier 2001 et décembre 2005 et celles qui auraient résulté, pour la même période, de l'intégration de l'indemnité de résidence à ses rémunérations opérée par les décrets mentionnés ci ;dessus dans la limite de 150 000 euros ;
Considérant que les éléments nécessaires à la liquidation de la somme due à Mme X ne figurant pas au dossier, il y a lieu de renvoyer l'intéressée devant l'administration aux fins de liquidation de cette créance ;
Sur les intérêts :
Considérant que Mme X a droit aux intérêts sur les sommes qui lui sont attribuées par le présent arrêt, à compter de l'enregistrement de sa demande devant le Tribunal administratif de Paris le 22 décembre 2005, date à laquelle l'administration a reçu, au plus tard, sa demande préalable datée du 1er décembre 2005 ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que Mme X a demandé la capitalisation des intérêts lors de l'enregistrement de sa requête devant le Conseil d'Etat, le 16 janvier 2007 ; que la capitalisation des intérêts, si elle peut être demandée à tout moment devant le juge, ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation s'accomplit ensuite de nouveau à chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de capitalisation de Mme X à compter du 22 décembre 2006 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant que Mme X demande qu'il soit enjoint au ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durable de régulariser sa situation envers l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec), eu égard aux rappels de rémunération qui lui sont dus ; que la présente décision implique nécessairement, en application des dispositions de l'article L. 911 ;1 du code de justice administrative, que le ministre procède à une telle régularisation ; que, par suite, il y a lieu pour la Cour de céans d'enjoindre au ministre de procéder à cette régularisation ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à payer à Mme X au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du 14 novembre 2006 du vice-président de la 5ème section du Tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme X les sommes définies dans les motifs du présent arrêt. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 22 décembre 2005. Les intérêts échus à la date du 22 décembre 2006 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, de procéder, en fonction des compléments de rémunérations dus à Mme X, à la régularisation de sa situation auprès de l'Ircantec. Le ministre tiendra le greffe de la cour (service de l'exécution) immédiatement informé des dispositions prises pour répondre à cette injonction.
Article 4 : L'Etat versera à Mme X la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme X devant le Tribunal administratif de Paris est rejeté.
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N° 07PA00878