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04/07/2007 | FRANCE | N°05PA04387

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre - formation a, 04 juillet 2007, 05PA04387


Vu la requête, enregistrée le 14 novembre 2005, présentée pour M. Emmanuel X, demeurant ..., par Me Coubris ; M. X demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0311194/6-2 du 5 juillet 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 8 000 euros, qu'il estime insuffisante, en réparation des conséquences dommageables de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

2°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser au même titre la somme de 217 755, 08 euros assortie des in

térêts au taux légal ;

3°) de condamner l'Etablissement français du sang à l...

Vu la requête, enregistrée le 14 novembre 2005, présentée pour M. Emmanuel X, demeurant ..., par Me Coubris ; M. X demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0311194/6-2 du 5 juillet 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 8 000 euros, qu'il estime insuffisante, en réparation des conséquences dommageables de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

2°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser au même titre la somme de 217 755, 08 euros assortie des intérêts au taux légal ;

3°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux entiers dépens ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ;

Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 98-535 du 18 juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme et, notamment, son article 18 ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et, notamment, son article 102 ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la lettre en date du 5 juin 2007, informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 juin 2007 :

- le rapport de M. Jarrige, rapporteur,

- les observations de Me Phung pour l'Etablissement français du sang,

- et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X, qui est né le 13 mars 1970, a été opéré, le 8 juillet 1985, pour une récidive d'un chondrome dorso-lombaire à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière ; que, lors de ladite intervention, 3 plasmas frais congelés et 6 culots globulaires lui ont été transfusés ; que, deux jours plus tard, il a reçu deux autres culots globulaires ; que sa contamination par le virus de l'hépatite C a été mise en évidence le 6 septembre 1999 ; que, par le jugement attaqué en date du 5 juillet 2005, le Tribunal administratif de Paris a imputé ladite contamination aux transfusions précitées, déclaré l'Etablissement français du sang responsable de ses conséquences dommageables et condamné celui-ci à leur réparation ; que M. X et l'Etablissement français du sang demandent respectivement, par la voie d'un appel principal et d'un appel incident, une revalorisation et une minoration des indemnités allouées par les premiers juges ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de l'ordonnance susvisée du 7 janvier 1959 : « Lorsque la victime ou ses ayants droits engagent une action contre le tiers responsable, ils doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci à peine de nullité ... » ; qu'aux termes de l'article 57 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 : « La collectivité est subrogée dans les droits éventuels du fonctionnaire victime d'un accident provoqué par un tiers jusqu'à concurrence du montant des charges qu'elle a supportées ou supporte du fait de cet accident. Elle est admise à poursuivre directement contre le responsable du dommage ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées audit fonctionnaire pendant la période d'indisponibilité de celui-ci par dérogation aux dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ... » ;

Considérant que lorsque la victime est agent d'une collectivité territoriale, l'article 3 précité de l'ordonnance du 7 janvier 1959 crée pour le juge l'obligation de mettre en cause cette collectivité territoriale en vue de permettre l'exercice par celle-ci de l'action subrogatoire qui lui est ouverte de plein droit, par l'article 57 précité de la loi du 26 janvier 1984, contre le tiers responsable de l'accident ;

Considérant que, bien qu'informés par M. X de sa qualité d'agent administratif de la commune de Gy, les premiers juges ont omis de communiquer sa requête à son employeur ; qu'ils ont ainsi méconnu les dispositions susrappelées de l'ordonnance du 7 janvier 1959 et de la loi du 26 janvier 1984 leur faisant obligation de le mettre en cause ; qu'eu égard au motif qui a conduit le législateur à édicter ces prescriptions, leur violation constitue une irrégularité que le juge d'appel doit soulever d'office ; que, dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué ;

Considérant que, la cour ayant mis en cause la commune de Gy et l'affaire étant ainsi en état, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par les parties tant en première instance qu'en appel ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 667 du code de la santé publique, issues de la loi du n° 52-854 du 21 janvier 1952 et modifiées par la loi n° 61-846 du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de contrôle médical des prélèvements sanguins, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; que le préjudice résultant pour un malade de sa contamination par des produits sanguins transfusés est imputable à la personne morale publique ou privée dont relève le centre de transfusion sanguine qui a élaboré les produits utilisés ;

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 susvisée : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable » ;

Considérant qu'il résulte de ces dernières dispositions qu'il appartient au demandeur, non seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que, si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments successivement produits par ces parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, le professeur Y, que l'enquête transfusionnelle n'a permis de retrouver que deux des onze donneurs des produits sanguins transfusés à M. X les 8 et 10 juillet 1985, et de contrôler leur statut sérologique ; que l'expert a écarté l'hypothèse d'une contamination transfusionnelle lors de la première opération, le 7 juillet 1976, du chondrome dorso-lombaire de M. X du fait de la mise hors de cause du seul produit sanguin alors reçu par l'intéressé ; que l'expert a jugé anecdotique ou très faible la probabilité d'une contamination de l'intéressé lors des traitements par mésothérapie pratiqués de mai à juin 1985, puis les 7 et 9 juillet 1994, d'une endoscopie effectuée le 7 février 1986 et d'une intervention chirurgicale le 9 août 1989 pour l'ablation d'un matériel d'ostéosynthèse, et en tout cas sans commune mesure avec la probabilité d'une contamination transfusionnelle lors de l'opération du 8 juillet 1985 ou dans ses suites immédiates ; que M. X doit être regardé comme apportant ainsi un faisceau d'éléments conférant à cette dernière hypothèse un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que l'Etablissement français du sang, venant aux droits et obligations de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris qui a délivré et élaboré les produits sanguins en cause, n'apporte pas la preuve contraire en se bornant à se prévaloir des risques de contamination nosocomiale encourus par M. X du fait des actes de soins précités ; que, dès lors, il doit être déclaré responsable des conséquences dommageables de la contamination de M. X par le virus de l'hépatite C ;

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône :

Considérant, d'une part, que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône demande le versement de la somme de 2 375, 07 euros au titre du remboursement de ses débours résultant des conséquences dommageables de la contamination de M. X par le virus de l'hépatite C ; que, toutefois, le seul état de dépenses produit à l'appui de ses prétentions ne permet la prise en compte que de la somme de 725, 05 euros au titre d'une période d'hospitalisation correspondant à une biopsie hépatique mentionnée par l'expert, et de frais de transport d'un montant de 19, 66 euros exposés le jour du bilan de santé ayant révélé la sérologie positive de M. X ; qu'en revanche, la caisse, qui ne précise ni l'objet ni le montant de chaque prestation dont elle demande le remboursement au titre de frais médicaux et pharmaceutiques exposés du 6 septembre 1999 au 10 septembre 2003 pour un montant de 1 630, 36 euros, ne justifie pas du lien de ces prestations avec la contamination litigieuse ;

Considérant, d'autre part, que si la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône demande le versement de la somme de 4 275, 31 euros au titre de frais futurs de consultation et d'examen nécessités par l'état de M. X, lesdits frais ne peuvent être regardés comme ayant un caractère suffisamment certain pour lui ouvrir droit à indemnisation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône est fondée à demander la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 744, 71 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2003, date d'introduction de sa demande devant le Tribunal administratif de Paris ;

Sur les droits de M. X :

Considérant que la contamination par le virus de l'hépatite C peut n'entraîner aucune maladie et aucun symptôme ; qu'elle n'est pas irréversible, un certain nombre de personnes contaminées guérissant spontanément ou après traitement ; que les effets d'une hépatite chronique varient également considérablement d'une personne à l'autre, cette maladie n'évoluant fatalement que dans un nombre limité de cas ; qu'ainsi, M. X ne saurait se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du professeur Y, que M. X présente une hépatite chronique non consolidée et ayant eu une répercussion minime sur son foie du fait de l'absence de fibrose ; que, faute de consolidation de son état, l'expert n'a retenu qu'un taux d'incapacité temporaire partielle de 3 % et un préjudice d'agrément modéré du fait d'une importante asthénie ; qu'il a également évalué les souffrances endurées par l'intéressé à 2 sur une échelle de 7 ; qu'enfin, il a fixé à 80 jours sa période d'incapacité temporaire totale en lien avec la contamination litigieuse ; que, toutefois, l'asthénie importante de M. X et son incapacité à exercer certaines activités de loisir sont également pour partie imputables aux séquelles de son chondrome dorso-lombaire ; que, par ailleurs, il n'est pas établi que son activité à temps partiel d'avril à septembre 2000 trouve son origine directe et certaine dans son hépatite C ; que, par suite, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par M. X dans les conditions d'existence, de son préjudice d'agrément et de son pretium doloris en lui allouant à ce titre la somme globale de 8 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à demander la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 8 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2003, date d'introduction de sa requête devant le Tribunal administratif de Paris ;

Sur l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône est fondée à demander la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire instituée par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 660, 08 euros par une ordonnance en date du 10 février 2003 du président du Tribunal administratif de Paris, à la charge de l'Etablissement français du sang ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etablissement français du sang à verser les sommes respectives de 2 000 euros et 1 000 euros à M. X et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône au titre des frais exposés par eux en première instance comme en appel et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 juillet 2005 est annulé.

Article 2 : L'établissement français du sang est condamné à verser à M. X la somme de 8 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2003.

Article 3 : L'Etablissement français du sang est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône la somme de 744, 71 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2003, et la somme de 760 euros au titre de l'indemnité forfaitaire instituée par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 4 : Les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 660, 08 euros sont mis à la charge de l'Etablissement français du sang.

Article 5 : Le surplus des demandes présentées par M. X et la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône devant le Tribunal administratif de Paris et en appel, et l'appel incident de l'Etablissement français du sang sont rejetés.

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N° 05PA04387


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre - formation a
Numéro d'arrêt : 05PA04387
Date de la décision : 04/07/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme CARTAL
Rapporteur ?: M. Antoine JARRIGE
Rapporteur public ?: Mme FOLSCHEID
Avocat(s) : COUBRIS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2007-07-04;05pa04387 ?
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