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23/01/2006 | FRANCE | N°02PA02813

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3eme chambre - formation b, 23 janvier 2006, 02PA02813


Vu la requête, enregistrée le 1er août 2002, présentée pour Mme A... demeurant ..., par Me Y... ; Mme demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 008948/9 du 21 mai 2002 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'établissement français du sang (EFS) à lui verser une indemnité de 3 000 euros qu'elle estime insuffisante en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

2°) de condamner l'établissement français du sang (EFS) à lui verser la somme de 152 000 euros ainsi que les intérêts au taux légal, les intérêts étant eux-mêmes capitalis

s ;

3°) de condamner l'établissement français du sang (EFS) aux dépens et à lui verse...

Vu la requête, enregistrée le 1er août 2002, présentée pour Mme A... demeurant ..., par Me Y... ; Mme demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 008948/9 du 21 mai 2002 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'établissement français du sang (EFS) à lui verser une indemnité de 3 000 euros qu'elle estime insuffisante en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

2°) de condamner l'établissement français du sang (EFS) à lui verser la somme de 152 000 euros ainsi que les intérêts au taux légal, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés ;

3°) de condamner l'établissement français du sang (EFS) aux dépens et à lui verser la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 52-854 du 21 juillet 1952 modifiée ;

Vu la loi n°98-535 du 1er juillet 1998 ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 novembre 2005 :

- le rapport de Mme Desticourt, rapporteur,

- les observations de Me Z..., pour Mme , celles de Me X..., pour l'établissement français du sang (EFS) et celles de Me B..., pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,

- et les conclusions de Mme Helmlinger, commissaire du gouvernement ;

Sur la responsabilité :

Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions de la loi du 21 juillet 1952 modifiée par la loi du 2 août 1961, applicable à l'époque des faits, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de collecte du sang et ont pour mission d'assurer le contrôle médical des prélèvements, le traitement, le conditionnement et la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur est confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sanguine sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 102 de la loi susvisée du

4 mars 2002 : « en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par ces parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par les premiers juges que Mme a, lors de deux interventions pratiquées à l'hôpital Rothschild pour soigner une recto colite hémorragique, reçu par voie transfusionnelle quatre culots globulaires le 14 janvier 1988 et deux culots globulaires le 17 juillet 1990 ; qu' en juin 1994, une discrète augmentation des transaminases a été diagnostiquée et, en septembre 1994, la sérologie positive de l'hépatite C a été mise en évidence ; qu'une ponction biopsie hépatique a été réalisée en avril 1995, confirmant l'existence d'une hépatite C modérée ; que l'enquête transfusionnelle n'a été concluante, selon les derniers documents produits par l'établissement français du sang (EFS), que pour les 2 flacons de sang transfusés lors de la deuxième intervention qui émanaient de donneurs non porteurs du virus de l'hépatite C ;

Considérant que l'établissement français du sang (EFS) n'a pu apporter la preuve de l'innocuité de 4 culots globulaires transfusés à Mme lors de l'intervention réalisée le 14 janvier 1988 ; que si Mme a subi, postérieurement à cette intervention, de « multiples manoeuvres instrumentales au décours de nombreuses opérations chirurgicales » n'excluant pas « l'hypothèse d'une autre contamination iatrogène ou nosocomiale » ainsi que le relève dans son rapport l'expert désigné par le Tribunal administratif de Paris, ces circonstances ne permettent pas d'écarter la présomption posée par l'article 102 précité de la loi du 4 mars 2002 que la contamination de Mme a pour origine la transfusion de produits sanguins labiles pratiquée en 1988 alors même que la présence d'anticorps VHC n'a été révélée qu'en 1994, les résultats du dosage des transaminases effectué le 25 mai 1988, soit pendant la période possible d'incubation, étant normaux ; que l'établissement français du sang (EFS) ne saurait se prévaloir des résultats d'un dosage qui aurait été effectué entre janvier et février 1990, lequel n'a pas été porté à la connaissance de l'expert et n'est pas davantage produit devant la cour ; que ni les données statistiques qui réduiraient à un pourcentage négligeable le risque d'infection par voie transfusionnelle à partir de 1988 ni la circonstance que le dépistage systématique des donneurs de sang ait été rendu obligatoire à compter de 1990 ne sont de nature à renverser la présomption instituée par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ; que ce moyen est inopérant dès lors que la contamination est intervenue en 1988 ; qu'ainsi c'est à bon droit, et sans entacher son jugement d'une inexacte appréciation des circonstances de fait, que le tribunal a estimé que le lien de causalité entre la transfusion réalisée en 1988 à l'hôpital Rothschild et l'infection présentée par Mme , dont l'existence a été confirmée par la biopsie hépatique réalisée le 26 avril 1995, devait être regardé comme établi et que la responsabilité de l'établissement français du sang (EFS), substitué dans les obligations de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris en tant que gestionnaire de centres de transfusion sanguine en application de la convention conclue le 29 décembre 1999 sur le fondement de l'article 18B de la loi n°98-535 du 1er juillet 1990, était engagée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'établissement français du sang (EFS) n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a considéré que sa responsabilité était engagée par la contamination de Mme par le virus de

l'hépatite C ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que Mme est atteinte d'une hépatite C non active, ne nécessitant pas de traitement et n'entraînant aucune incapacité ; que Mme a subi une incapacité temporaire totale de 7 jours du fait de la biopsie hépatique pratiquée en avril 1995 ; que les souffrances physiques liées à cette unique biopsie hépatique ont été évaluées à 1 sur une échelle de 7 ; que dans ces circonstances en fixant à la somme de 3 000 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de l'établissement français du sang (EFS), le tribunal a fait une évaluation insuffisante du préjudice résultant pour Mme de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité due par l'établissement français du sang (EFS) à Mme à la somme de 6 000 euros ; que si, à l'appui de sa demande tendant à l'allocation d'une indemnité de 152 000 euros, Mme soutient qu'il y a lieu de prendre en compte l'atteinte à la qualité de la vie résultant de sa contamination, l'expert indique qu'il existe une certaine anxiété sur l'évolution de la maladie « qui doit être tempérée par l'aspect peu évolutif de l'affection, son intensité modérée et l'absence d'indication thérapeutique » et souligne enfin que l'on peut saluer le dynamisme actuel de Mme qui a « de nombreuses autres raisons d'être anxieuse (tumeurs malignes du sein et de l'utérus, affection intestinale particulièrement sévère ayant conduit à la colostomie définitive) » ; que le surplus de la demande indemnitaire de Mme doit, par suite, être rejeté ;

Sur les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris tendant au rejet de la requête et à la condamnation de Mme au remboursement de frais irrépétibles :

Considérant que la requête d'appel de Mme n'est pas dirigée contre l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; que les conclusions susvisées doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à l'établissement français du sang (EFS) la somme de 1 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'établissement français du sang (EFS) à payer à Mme une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme que l'établissement français du sang (EFS) a été condamné à verser à Mme par le jugement du Tribunal administratif de Paris du 21 mai 2002 est portée à 6 000 euros (six mille euros).

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 21 mai 2002 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme est rejeté.

Article 4 : L'appel incident et les conclusions de l'établissement français du sang (EFS) tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris sont rejetées.

Article 6 : L'établissement français du sang (EFS) versera à Mme la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

2

N° 02PA02813


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3eme chambre - formation b
Numéro d'arrêt : 02PA02813
Date de la décision : 23/01/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FOURNIER DE LAURIERE
Rapporteur ?: Mme Odile DESTICOURT
Rapporteur public ?: Mme HELMLINGER
Avocat(s) : BIBAL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2006-01-23;02pa02813 ?
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