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07/11/2005 | FRANCE | N°02PA03835

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3eme chambre - formation a, 07 novembre 2005, 02PA03835


Vu la requête, enregistrée le 8 novembre 2002, présentée pour Mme Maryse X, demeurant ..., par Me Bibal ; Mme X demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 9916582/6 du 2 juillet 2002 en tant que le Tribunal administratif de Paris a limité à 15 000 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etablissement français du sang (EFS) à lui verser en réparation du préjudice que lui a causé sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C ;

2°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser la somme totale de 152 449, 02 euros en réparation

de son préjudice personnel et 15 244, 90 euros en réparation de son préjudice éc...

Vu la requête, enregistrée le 8 novembre 2002, présentée pour Mme Maryse X, demeurant ..., par Me Bibal ; Mme X demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 9916582/6 du 2 juillet 2002 en tant que le Tribunal administratif de Paris a limité à 15 000 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etablissement français du sang (EFS) à lui verser en réparation du préjudice que lui a causé sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C ;

2°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser la somme totale de 152 449, 02 euros en réparation de son préjudice personnel et 15 244, 90 euros en réparation de son préjudice économique, avec intérêts et capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner l'Etablissement français du sang aux dépens et à lui verser 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 19 octobre 2005 :

- le rapport de Mme Pellissier, rapporteur,

- les observations de Me Boyer pour Mme X et celles de Me Perinetti pour l'Etablissement français du sang,

- et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme X, née en mai 1950, a subi au mois de juillet 1974 à l'hôpital Ambroise Paré de Boulogne-Billancourt la transfusion de produits sanguins pour combattre une crise d'hémolyse aiguë ; qu'elle a eu connaissance en août 1994 d'une contamination par le virus de l'hépatite C qui avait déjà été diagnostiquée en novembre 1990 à l'occasion d'un prélèvement sanguin effectué en vue d'une auto-transfusion ; que par le jugement litigieux du 2 juillet 2002, le Tribunal administratif de Paris a d'une part jugé que la contamination de Mme X devait être imputée aux transfusions de 1974, d'autre part condamné l'Etablissement français du sang, venant aux droits de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à verser à la requérante la somme de 15 000 euros tous intérêts compris au jour du jugement en réparation du préjudice que cette contamination lui a causée ; que Mme X fait régulièrement appel de ce jugement en tant qu'il lui aurait accordé une réparation insuffisante ; que l'Etablissement français du sang, par la voie de l'appel incident, conteste tant le principe que le montant de sa condamnation ;

Sur le principe de la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 susvisée : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injonction de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable » ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur non seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits, forme sa conviction, le doute profite au demandeur ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme X a reçu en juillet 1974 la transfusion massive de 36 produits sanguins, soit au total 6,750 l de sang, 0,4 l de fibrinogène et 6 culots plaquettaires ; qu'eu égard à la date de cette transfusion, le statut sérologique de ces produits à l'égard de l'hépatite C n'était pas contrôlé ; que si la requérante, infirmière puis surveillante des services hospitaliers, a pu également être exposée à ce virus dans son activité professionnelle, lors de voyages à Madagascar, en Tunisie ou en Italie du Sud, ou à l'occasion de soins dentaires ou de plusieurs hospitalisations et interventions chirurgicales, sa contamination transfusionnelle en 1974 par un virus mis en évidence en ce qui la concerne pour la première fois en 1990 est suffisamment vraisemblable ; que l'Etablissement français du sang n'apporte pas la preuve que les produits transfusés, dont les donneurs n'ont pu être retrouvés, ne sont pas à l'origine de cette contamination ni que celle-ci est imputable à une autre cause ; que, dans ces conditions, le doute profitant à Mme X, l'Etablissement français du sang, venant aux droits de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris fournisseur de certains des produits transfusés, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement litigieux l'a déclaré responsable des conséquences de la contamination de Mme X par le virus de l'hépatite C ;

Sur le préjudice :

Considérant que la contamination par le virus de l'hépatite C peut n'entraîner aucune maladie et aucun symptôme ; qu'elle n'est pas irréversible, un certain nombre de personnes contaminées guérissant spontanément ou après traitement ; que les effets d'une hépatite chronique varient également considérablement d'un personne à l'autre et que cette maladie n'évolue fatalement que dans un nombre limité de cas ; qu'ainsi Mme X ne saurait se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

Considérant que postérieurement à la découverte en août 1994 de sa contamination, Mme X, qui souffrait d'autres pathologies, a été à compter du 3 avril 1996 placée en congé longue maladie puis congé longue durée, enfin admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 2003 ; que l'expert désigné en référé a estimé que les « raisons psychiatriques » qui avaient justifié l'arrêt de son activité professionnelle étaient dues « pour une part majoritaire mais non totale » à l'hépatite ; que Mme X demande une indemnisation de la perte de revenus, notamment de la perte de « primes de week-end et de jours fériés » et de « primes d'activité », qu'elle aurait ainsi subi du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; que cependant, par les éléments qu'elle fournit, elle ne met pas le juge en mesure d'apprécier la perte de revenus qui résulterait directement de cette contamination et qu'elle chiffre tantôt à 15 244, 90 euros, tantôt à 19 340, 32 euros ;

Considérant que Mme X a subi en octobre 1998 une biopsie qui a révélé une hépatite chronique moyennement active avec un début de fibrose portale (score de Knodell à 6/22 et score de Metavir à A2F2) ; qu'elle a subi d'octobre 1998 à janvier 2000 quinze mois de traitement à l'Interféron, seul puis associé à la Ribavirine, qui n'a pas permis la disparition du virus ; qu'un deuxième traitement de décembre 2000 à décembre 2001 n'a également entraîné qu'une virémie provisoirement négative ; qu'un traitement d'entretien non dénué d'effets secondaires a été mis en place en mai 2002 ; que Mme X, qui, en raison de la fatigue et des problèmes psychologiques pour partie dus à sa contamination, a dû réduire ses activités et abandonner à 46 ans son activité professionnelle, a souffert d'asthénie, d'alopécie, d'un syndrome sec et d'une perte du goût ainsi que d'un important amaigrissement créant un préjudice esthétique ; que l'anxiété que provoque sa contamination par le virus de l'hépatite C, couplée aux effets secondaires de certains traitements, est en partie responsable des problèmes d'ordre psychologique et affectif qu'elle rencontre notamment avec son mari et sa fille ; que, dans ces circonstances, elle est fondée à soutenir que le Tribunal administratif de Paris a fait une appréciation insuffisante de l'ensemble des troubles qu'elle a subis dans ses conditions d'existence, y compris les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, le préjudice sexuel et le préjudice d'agrément, en fixant à 15 000 euros tous intérêts compris au jour du jugement l'indemnité qu'il a condamné l'Etablissement français du sang à lui verser ; qu'il y a lieu de réformer le jugement litigieux pour porter cette indemnité à 20 000 euros avec intérêts à compter de la demande d'indemnisation de Mme X reçue le 15 mars 1999 par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois le 16 septembre 1999 ; qu'à cette date, les intérêts n'étaient pas dûs pour une année entière ; qu'en application de l'article 1154 du code civil il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la nouvelle demande du 29 janvier 2002 et à chacune des échéances annuelles successives à compter de cette date ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme X, qui n'est pas la partie perdante, soit condamnée à verser à l'Etablissement français du sang la somme qu'il demande au titre des frais qu'il a exposés pour sa défense ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etablissement français du sang à verser à Mme X une somme de 1 000 euros en application des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Paris est remplacé par la disposition suivante : « L'Etablissement français du sang est condamné à verser à Mme X la somme de 20 000 euros, avec intérêts à compter du 15 mars 1999. Les intérêts échus à la date du 29 janvier 2002 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-même intérêts. ».

Article 2 : L'Etablissement français du sang est condamné à verser une somme de 1 000 euros à Mme X au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X et les conclusions d'appel incident de l'Etablissement français du sang sont rejetés.

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N° 02PA03835


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3eme chambre - formation a
Numéro d'arrêt : 02PA03835
Date de la décision : 07/11/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme CARTAL
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme FOLSCHEID
Avocat(s) : BIBAL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2005-11-07;02pa03835 ?
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