VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour les 10 novembre 1995 et 21 février 1996, présentés pour la société anonyme DOMAINE TUBAND dont le siège social est BP C2 à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) par la SCP GUIGUET-BACHELLIER-DE LA VARDE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société DOMAINE TUBAND demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9400371 du 9 août 1995 par lequel le tribunal administratif de Nouméa a décidé qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de sa demande ;
2 ) de prononcer la restitution des contributions foncières qu'elle a acquittées au titre des années 1983 à 1993 ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Constitution, notamment son article 55 ;
VU le pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques ;
VU l'article 1er du protocole additionnel n 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
VU la loi organique n 95-173 du 20 février 1995 modifiant la loi n 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 et portant dispositions diverses relatives aux territoires d'outre-mer ;
VU la décision du Conseil constitutionnel n 95-364 DC du 8 février 1995 ;
VU la loi n 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ;
VU le code territorial des impôts ;
VU l'arrêté n 82-386 du 28 juillet 1982 modifié du Conseil de Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances ;
VU le décret n 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ;
VU le décret n 93-981 du 4 août 1993 rendant applicables notamment dans le territoire de la Nouvelle-Calédonie les dispositions du décret n 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 mai 1999 :
- le rapport de Mme BRIN, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme KIMMERLIN, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que, par un arrêté en date du 28 juillet 1982, le Conseil de Gouvernement de Nouvelle-Calédonie a fixé, pour déterminer la valeur vénale des terrains assujettis à la contribution foncière des propriétés non bâties, des règles d'évaluation prenant en compte, d'une part, la situation géographique des terrains par leur classement par la commission d'évaluation foncière par secteur, et, d'autre part, la qualité des terrains par application des différents coefficients de pondération ; qu'il a en outre fixé un plafond aux impositions de 1982 et des deux années suivantes ; que, par une décision en date du 3 juin 1991, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la société civile particulière Les Niaoulis, a jugé que ledit arrêté du Conseil de Gouvernement, dont ces dispositions, qui affectent directement l'assiette et le taux de l'imposition, ne peuvent être regardées comme de simples mesures d'application d'une délibération du 23 janvier 1981 de l'assemblée territoriale, est entaché d'incompétence sur les points susanalysés comme empiétant sur les compétences reconnues, par l'article 48 de la loi n 76-221 du 28 décembre 1976 relative à l'organisation de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, à l'assemblée territoriale ; qu'il a, par suite, accordé à ladite société civile particulière décharge de la contribution foncière des propriétés non bâties à laquelle elle avait été assujettie au titre des années 1983 et 1984 ; que par une décision en date du 17 mars 1993, le Conseil d'Etat a, par les mêmes motifs, également accordé à la société DOMAINE TUBAND la décharge de la contribution foncière des propriétés non bâties qui lui avait été assignée au titre de l'année 1982 ; que, par une réclamation en date du 28 décembre 1993, cette dernière société, s'appuyant sur cette dernière décision, a demandé au délégué du Gouvernement, Haut-commissaire de la République, le reversement du montant des contributions foncières des propriétés non bâties qu'elle avait payé au titre des années 1983 à 1993 ; que, saisi du refus opposé par l'administration fiscale territoriale de satisfaire cette prétention par une demande de la société DOMAINE TUBAND enregistrée le 26 décembre 1994, le tribunal administratif de Nouméa, se fondant sur l'article 15 de la loi organique n 95-173 du 20 février 1995, a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'y statuer ; que la société DOMAINE TUBAND fait appel de ce jugement ;
Sur la portée de l'article 15 de la loi organique du 20 février 1995 et la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 15 de la loi susvisée : "Sous réserve des décharges prononcées par décision de justice passée en force de chose jugée, les impositions perçues par le Territoire de la Nouvelle-Calédonie au titre de la contribution foncière sur les propriétés bâties et non bâties pour les années 1982 à 1994 sont validées en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris l'arrêté n 82-386 du 28 juillet 1982, modifié par l'arrêté n 82-471 du 7 septembre 1982, n'était pas compétente pour déterminer leurs bases" ;
Considérant qu'il résulte de la lettre de ces dispositions qu'elles ne valident les impositions perçues par le Territoire de la Nouvelle-Calédonie en matière de contribution foncière qu'en tant seulement que serait contestée la compétence du Conseil de Gouvernement pour déterminer leurs bases ainsi qu'il l'a fait par les arrêtés visés ; que la société DOMAINE TUBAND est dès lors fondée à soutenir que, contrairement à ce qu'a décidé le tribunal administratif de Nouméa, le moyen tiré par elle devant lui de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté du 28 juillet 1982 du Conseil de Gouvernement pour fixer le taux des cotisations de contribution foncière des propriétés non bâties auxquelles elle a été assujettie, était susceptible d'être discuté par la voie contentieuse et qu'il y avait, par suite, lieu à statuer sur les conclusions de sa demande ; que le jugement entrepris doit donc être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par la société DOMAINE TUBAND devant le tribunal administratif de Nouméa ;
Sur la recevabilité de la réclamation de la société DOMAINE TUBAND :
Considérant que la société requérante, qui ne peut valablement soutenir que la décision susmentionnée du Conseil d'Etat du 17 mars 1993 lui aurait par elle-même ouvert un droit à décharge pour les années postérieures à 1982, invoque, pour faire échec à la forclusion de sa réclamation préalable en date du 28 décembre 1993 procèdant des règles fixées par l'article R.233, troisième alinéa, du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, qui renvoie aux dispositions des articles 100 et 173 des décrets du 5 août 1881 et 30 décembre 1912 modifiés, les dispositions de l'article 2 du décret susvisé du 28 novembre 1983 ;
Considérant que ledit décret du 28 novembre 1983, ainsi qu'il ressort de l'article 1er du décret susvisé du 4 août 1993, a pris effet sur le Territoire de la Nouvelle-Calédonie à compter du 14 septembre 1993 ; qu'aux termes des dispositions de son article 2 : "Lorsqu'une décision juridictionnelle devenue définitive émanant des tribunaux administratifs et du Conseil d'Etat a prononcé l'annulation d'un acte non réglementaire pour un motif tiré de l'illégalité du règlement dont cet acte fait application, l'autorité compétente est tenue, nonobstant l'expiration des délais de recours, de faire droit à toute demande ayant un objet identique et fondée sur le même motif, lorsque l'acte concerné n'a pas créé de droits au profit de tiers" ; qu'il résulte de ces dispositions, qui sont applicables en cas de dégrèvement d'une imposition, que la réclamation de la société DOMAINE TUBAND, formulée le 28 décembre 1993, soit postérieurement à leur prise d'effet en Nouvelle-Calédonie, et dans laquelle la contribuable s'est prévalue, afin d'obtenir le remboursement des cotisations de contribution foncière des propriétés non bâties mises à sa charge au titre des années 1983 à 1993, de la décision susmentionnée du Conseil d'Etat en date du 17 mars 1993 ayant accordé décharge de la cotisation établie au titre de l'année 1982 motif pris de l'illégalité de l'arrêté du Conseil de Gouvernement du 28 juillet 1982, pouvait être valablement introduite devant l'administration fiscale territoriale nonobstant l'expiration du délai de recours ; que la circonstance que référence expresse auxdites dispositions n'ait pas été faite par l'intéressée dans ladite réclamation est à cet égard sans influence ;
Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité ayant pris l'arrêté du 28 juillet 1982 modifié pour déterminer les bases des cotisations de contribution foncière sur les propriétés non bâties :
Considérant qu'en soutenant dans son mémoire ampliatif devant la cour, qu'en toute hypothèse l'article 15 de la loi organique du 20 février 1995 ne pouvait lui être opposé, pour n'être pas conforme aux stipulations tant de l'article 14-1 du pacte international de New-York que de l'article 1er du protocole additionnel n 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la société DOMAINE TUBAND doit être regardée comme articulant le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté du 28 juillet 1982 du Conseil de Gouvernement pour fixer les bases des impositions auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1983 à 1993 ;
Considérant, en premier lieu, que la société requérante soutient qu'elle a été privée, par l'intervention rétroactive du législateur organique, des garanties d'un procès équitable prévues par l'article 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ouvert à la signature à New-York le 19 décembre 1966 et introduit dans l'ordre juridique français par l'effet conjugué de la loi du 25 juin 1980 qui en a autorisé la ratification et du décret du 29 janvier 1981 qui en a ordonné la publication, aux termes duquel : "Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil" ;
Considérant que l'article 15 précité de la loi organique du 20 février 1995, intervenu pour valider rétroactivement les bases des impositions à la contribution foncière sur les propriétés bâties et non bâties pour les années 1982 à 1994, a eu pour effet de faire obstacle à ce que les contribuables concernés puissent utilement invoquer devant le juge la violation de la règle juridique en vigueur à l'époque où ils ont présenté leur contestation, et donc de les rendre redevables du paiement d'impositions dont ils étaient en droit, n'eût-été cette validation, d'escompter la décharge ; que dans ce cas particulier où les sommes en cause sont devenues exigibles par le Territoire de la Nouvelle-Calédonie non point sur le fondement de la réglementation initiale, mais sur celui d'une législation nouvelle rétroactivement applicable, le juge de l'impôt, s'il tranche en règle générale des contestations portant sur une obligation dépourvue de caractère civil, doit en revanche être regardé, dès lors que le contribuable invoque la privation de faire valoir devant lui une créance à l'encontre du Territoire qui, en l'absence de l'intervention de cette législation nouvelle, était certaine dans ses principe et montant, comme se prononçant sur une contestation relative à un droit de caractère civil au sens de l'article 14-1 précité du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que le droit de toute personne à un procès équitable garanti par ce texte, peut en conséquence être invoqué par la société DOMAINE TUBAND dans la présente instance ;
Considérant, cependant, que si l'Etat ne peut, sans méconnaître les stipulations de l'article 14-1 précitées, porter atteinte au droit de toute personne à un procès équitable en prenant des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est une modification des règles que le juge doit appliquer pour statuer sur des litiges dans lesquels le Territoire de la Nouvelle-Calédonie est partie, ce droit ne peut être considéré comme méconnu lorsque l'intervention de ces mesures est justifiée par des motifs d'intérêt général ;
Considérant qu'à défaut de l'adoption des dispositions ci-dessus rappelées de l'article 15 de la loi organique du 20 février 1995, le Territoire de la Nouvelle-Calédonie, au seul motif de l'incompétence de l'autorité ayant pris l'arrêté du 28 juillet 1982 modifié pour déterminer les bases de la contribution foncière sur les propriétés bâties et non bâties, n'aurait eu d'autre choix que de restituer, au titre de treize années, à l'ensemble des assujettis aux contributions foncières, des sommes représentant une charge totale qui n'aurait pu être supportée par son budget ; que cette considération justifiait que le législateur organique intervînt pour rendre régulières les contributions dont s'agit ; que la requérante n'est en conséquence en l'espèce pas fondée à se prévaloir d'une méconnaissance des principes qui doivent présider à l'instauration d'un procès équitable ;
Considérant, en second lieu, que la société requérante soutient que, par l'intervention rétroactive du législateur organique, il a été porté atteinte à un droit patrimonial dont le respect est garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ;
Considérant qu'à supposer que les créances fiscales revendiquées devant le juge par la société DOMAINE TUBAND puissent être qualifiées de biens au sens de l'article 1er susvisé, la considération susanalysée justifiait qu'intervînt, pour un motif d'intérêt général, le législateur organique ; que les dispositions de l'article 15 de la loi organique du 20 février 1995 ne sauraient dès lors être davantage regardées comme portant atteinte au respect des biens protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté du Conseil de Gouvernement du 28 juillet 1982 pour déterminer les bases de la contribution foncière sur les propriétés non bâties est insusceptible d'être invoqué devant le juge administratif à l'encontre des cotisations mises à la charge de la société DOMAINE TUBAND au titre des années 1983 à 1993 ;
Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité ayant pris l'arrêté du 28 juillet 1982 modifié pour fixer le taux des cotisations de contribution foncière sur les propriétés non bâties :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 9 de l'arrêté en date du 28 juillet 1982 du Conseil de Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances : "Les impositions établies au titre de 1982, première année d'application des valeurs révisées et des deux années suivantes, ne pourront, à consistance de propriété égale, excéder trois fois la contribution foncière de 1981 ..." ; qu'il résulte de ces dispositions que le plafond qu'elles instituent ne concerne que les années 1982, 1983 et 1984 ;
Considérant que la société DOMAINE TUBAND n'allègue même pas qu'au titre des années d'imposition 1983 et 1984 elle a été assujettie à des cotisations de contribution foncière sur les propriétés non bâties dont le montant aurait été plafonné au montant de la contribution de 1981 ; qu'au demeurant, le Territoire de la Nouvelle-Calédonie soutient, au contraire, que la requérante ne remplissait pas les conditions d'application du plafonnement institué par les dispositions précitées de l'article 9 de l'arrêté du 28 juillet 1982 ; que, par suite, les impositions des années 1983 et 1984 dont il est demandé la restitution ne sauraient être regardées comme étant, au sens de l'article 2 précité du décret susvisé du 28 novembre 1983, des actes ayant fait application de l'arrêté du Conseil de Gouvernement du 28 juillet 1982 dont l'illégalité a été reconnue par le Conseil d'Etat dans sa décision du 17 mars 1993 ; que les conclusions de la demande de la société DOMAINE TUBAND relatives aux années 1983 et 1984 doivent dès lors être rejetées ;
Article 1er : Le jugement n 94-371 en date du 9 août 1995 du tribunal administratif de Nouméa est annulé.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande de la société DOMAINE TUBAND relatives aux années d'imposition 1985 à 1993.
Article 3 : Les conclusions de la demande de la société DOMAINE TUBAND relatives aux années d'imposition 1983 et 1984 sont rejetées.