(2ème Chambre)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 7 avril 1995, présentée pour Mme Marie-Elise Y..., demeurant ..., par Me X..., avocat ; Mme Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9102894/1 en date du 5 juillet 1994 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Paris n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la décharge et à titre subsidiaire à la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 1982, dans les rôles de la ville de Paris ainsi que des pénalités y afférentes ;
2 ) à titre principal, de lui accorder la décharge de la totalité de ces cotisations supplémentaires ;
3 ) à titre subsidiaire, de lui accorder un dégrèvement de 406.222 F en droits et de 165.579 F en pénalités ;
4 ) de prononcer le remboursement des frais irrépétibles à hauteur de 61.510 F toutes taxes comprises ;
5 ) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment son article 6 ;
VU le code civil ;
VU le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
VU le décret du 11 janvier 1965 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 juin 1997 :
- le rapport de Mme MARTIN, conseiller,
- les observations de Me X..., avocat, pour Mme Y...,
- et les conclusions de Mme MARTEL, commissaire du Gouvernement ;
Sur les conclusions tendant à la décharge des impositions :
Considérant qu'aux termes de l'article R.200-2 du livre des procédures fiscales : " ... Le demandeur ne peut contester devant le tribunal administratif des impositions différentes de celles qu'il a visées dans sa réclamation à l'adminis-tration ..." ; que ce terme doit être entendu comme visant tant les impositions contestées dans la réclamation que le montant du dégrèvement primitivement sollicité ; que, par suite, le contribuable ne peut demander au tribunal une décharge d'un montant supérieur à celui qui avait fait l'objet de sa réclamation préalable au directeur des services fiscaux ; que les dispositions précitées ne sont pas contraires à celles de l'article L.193 du livre des procédures fiscales qui sont relatives à la charge de la preuve en cas de taxation d'office ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que dans sa réclamation en date du 27 octobre 1987, Mme Y... a demandé au directeur des services fiscaux un dégrèvement de 339.195 F en droits et de 167.846 F en pénalités de l'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 1982 ; que, par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que, dans la mesure où les conclusions dont il était saisi excédaient ce montant, elles n'étaient pas recevables ; que ce faisant, il n'a pas méconnu les dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui ne s'appliquent pas aux contestations relatives à l'assiette de l'impôt ;
Sur les conclusions tendant à la réduction des impositions :
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
Considérant que Mme Y... a fait l'objet d'un contrôle sur pièces et non d'une vérification de sa situation fiscale ; qu'elle n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'elle aurait dû être, à l'occasion d'une demande d'information qui lui a été adressée par l'administration dans le cadre de ce contrôle, informée de la possibilité de se faire assister d'un conseil de son choix ; que la notification de redressement qui lui a été adressée faisait régulièrement mention de cette possibilité ; qu'elle n'établit pas, en conséquence, que la procédure d'imposition serait entachée d'irrégularité ;
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
S'agissant du principe de l'imposition de la plus-value :
Considérant qu'aux termes de l'article 160 du code général des impôts dans sa rédaction applicable : "I Lorsqu'un associé ... cède à un tiers, pendant la durée de la société, tout ou partie de ses droit sociaux, l'excédent du prix de cession sur le prix d'acquisition ... de ces droits est taxé exclusivement à l'impôt sur le revenu au taux de 15 %" ; qu'aux termes de l'article 161 du code général des impôts : "Le boni attribué lors de la liquidation d'une société aux titulaires de droits sociaux en sus de leur apport n'est compris, le cas échéant, dans les bases de l'impôt sur le revenu que jusqu'à concurrence de l'excédent du remboursement des droits sociaux annulés sur le prix d'acquisition de ces droits, dans le cas où ce dernier est supérieur au montant de l'apport. La même règle est applicable dans le cas où la société rachète au cours de son existence les droits de certains associés, actionnaires ou porteurs de parts bénéficiaires" ;
Considérant que Mme Y... a vendu le 19 mai 1982, 4400 actions de la société Synergie, qui lui sont revenues après le partage de la succession prenant effet le 20 janvier 1982 ; que sur ses 4400 actions, 3448 avaient été acquises en communauté avec son époux, M. Y..., du 24 avril 1964 au 1er juillet 1973 ; que l'administration a taxé la plus-value concernant ces 3448 actions provenant de la liquidation de la communauté conjugale en l'évaluant à la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition pondéré par le nombre d'actions acquises au cours de la période susmentionnée sur le fondement des dispositions des articles 160 et 161 du code général des impôts précités ; que Mme Y... soutient qu'il convient de retenir comme date d'entrée des actions dans son patrimoine celle du partage de la succession et que, le prix des actions déclaré lors du partage en janvier 1982 étant identique à celui obtenu lors de leur cession le 19 mai 1982, il n'y a pas de plus-value taxable ;
Considérant qu'en raison de l'effet déclaratif du partage de la communauté conjugale, tel qu'il résulte de la combinaison des articles 883 et 1476 du code civil, lequel fait remonter le droit de propriété de l'époux commun en biens, à qui les actions ont été attribuées dans le partage, même si celui-ci a été accompagné du versement de soultes, à la date de l'entrée de ces titres dans la communauté, c'est à bon droit que l'administration a retenu les diverses dates d'acquisition des actions par la communauté ayant existé entre les époux Y... pour déterminer le prix d'acquisition desdites actions ;
Considérant que si Mme Y... entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, de divers passages de la documentation administrative de base aux chapitres 5 G 4511, 5 G 4521 et 5 G 4522, ces interprétations administratives de la loi fiscale ne sont, en tout état de cause, pas relatives aux articles 160 et 161 du code général des impôts ; que si elle entend également se référer à la documentation administrative de base FP 5 B 622, 623 et 624, les dispositions qu'elle en cite ne sont pas relatives aux ventes d'actions acquises après le partage d'une communauté conjugale ; que d'ailleurs, les dispositions figurant dans la documentation administrative de base en vigueur en 1982 et relatives aux articles 160 et 161 du code général des impôts ne comportaient aucune disposition relative à la cession d'actions acquises après partage d'une communauté conjugale dont Mme Y... pourrait se prévaloir ;
Considérant qu'il suit de là que la requérante n'est pas fondée à contester le principe de l'imposition de la plus-value ; que Mme Y... ayant exprimé son désaccord sur les redressements qui lui ont été notifiés, la charge de la preuve de leur bien-fondé appartient à l'administration ;
S'agissant du montant de la plus-value :
Considérant que la plus-value imposable est constituée par la différence entre, d'une part, le prix de cession des droits sociaux diminué des frais de cession et, d'autre part, le prix d'acquisition de ces mêmes droits, qui correspond au montant de la contrepartie que le titulaire des droits sociaux a dû fournir pour en acquérir la propriété ;
En ce qui concerne le prix d'acquisition des actions :
Considérant que l'administration fait valoir qu'en réponse à la demande du service concernant les dates et le prix d'acquisition des actions, Mme Y..., si elle a indiqué les dates des acquisitions, n'a fait connaître la valeur d'achat des actions que pour celles acquises le 24 avril 1964 pour un prix unitaire de 200 F ; que, par suite, en l'absence de tout autre élément relatif aux achats ultérieurs, le vérificateur a retenu la même valeur de 200 F pour les acquisitions intervenues en 1965 et en 1972, alors que la valeur nominale des actions était de respectivement 100 F et 150 F, et une valeur de 250 F pour l'acquisition intervenue en 1973, alors que la valeur nominale était de 250 F ; qu'en l'absence de toute indication donnée devant le juge par Mme Y... sur le prix d'acquisition de ces actions, l'administration doit être réputée apporter la preuve qui lui incombe ;
Considérant que si Mme Y... se prévaut, sur le fondement des dispositions de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, de la documentation administrative de base FP 5 G 4522 en date du 30 juin 1980 selon laquelle il pourrait être fait référence au prix d'acquisition ou à la valeur vénale, cette interprétation administrative, qui d'ailleurs, ne porte pas sur les articles 160 et 161 du code, indique que l'on ne peut, depuis le 1er mars 1979, que se référer au prix d'acquisition ; que, si elle invoque également le paragraphe 16 de la documentation administrative 5 B 624, celui-ci est consacré à la détermination de la valeur des titres non cotés au 1er janvier 1949 et n'est donc pas applicable en l'espèce ; qu'elle n'est pas fondée, dès lors que seul doit être pris en considération le prix d'acquisition, à soutenir que l'administration aurait dû retenir pour déterminer la valeur réelle du titre, une autre méthode, notamment celle qu'elle propose, fondée sur la capitalisation des bénéfices, ni à se prévaloir, des dispositions, devenues caduques le 1er mars 1979, d'une instruction en date du 21 juin 1946 admettant que le contribuable puisse retenir la valeur nominale des titres lorsque le prix d'acquisition était inférieur à cette valeur ;
En ce qui concerne les frais de cession :
Considérant, en premier lieu, que Mme Y... demande la prise en compte des frais de mainlevée d'un nantissement ayant grevé 1500 actions sur les 3448 cédées en 1982 ; que si de tels frais peuvent effectivement être admis en déduction du prix de cession pour le calcul de la plus-value, s'ils sont supportés par le vendeur lors de la cession des actions, il résulte en l'espèce de l'instruction que ces frais ont été pris en compte au titre du passif successoral, ce qui implique que cette mainlevée a été engagée avant l'ouverture de la succession et que Mme Y... a reçu ces actions après cette mainlevée ; que les frais dont s'agit n'ayant ainsi pas été engagés par le vendeur lors de la cession des actions, Mme Y... n'est pas fondée à en demander la déduction pour le calcul de la plus-value ;
Considérant, en deuxième lieu, que si Mme Y... demande la déduction d'une somme de 10.986,26 F versée au notaire, l'administration établit que ce montant a déjà été pris en compte ; qu'il n'y a pas lieu, contrairement aux conclusions de la requérante, de retenir des frais d'un montant supérieur à celui indiqué par le notaire lui-même, dès lors que rien n'établit que les autres émoluments apparaissant sur le compte ouvert pour le règlement de la succession de M. Y... se rapporteraient à la cession d'actions faisant l'objet du présent litige ;
Considérant, en troisième lieu, qu'une somme de 29.865 F correspondant à la quote-part des honoraires complémentaires de 60.000 F versée au notaire a été prise en compte par l'administration, sur la base de 3433 actions correspondant aux actions imposées selon les dispositions de l'article 160 du code général des impôts, ainsi qu'il ressort des écritures de première instance du directeur des services fiscaux ; que, toutefois, Mme Y..., qui a été imposée sur le fondement des dispositions des articles 160 et 161 du code général des impôts pour la cession de 3448 actions, est fondée à demander la déduction d'une somme de 29.995,65 F correspondant à sa quote-part de frais calculée sur ce nombre d'actions ;
Considérant, en quatrième lieu, que Mme Y... est également fondée à demander la prise en compte de sa quote-part des frais d'acquisition des emprunts ayant servi à payer les droits afférents à la liquidation partage pour les actions résultant de l'avantage matrimonial ; que cette quote-part doit être calculée en fonction du nombre d'actions ayant fait l'objet d'une taxation soit 3448 actions ; qu'il sera fait une juste appréciation des frais engagés à ce titre en les fixant à 15.230 F ;
Sur la demande de dommages-intérêts :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 et de l'article R.102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours contre une décision ; que Mme Y... ne justifie d'aucune décision lui ayant refusé l'indemnité qu'elle sollicite, ni même d'aucune demande à l'autorité administrative tendant à en obtenir l'allocation ; qu'ainsi, faute de décision préalable, ses conclusions à fin d'indemnité ne sont pas recevables ;
Sur la demande de remboursement de frais :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de Mme Y... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : La base de l'impôt sur le revenu assignée au titre de l'année 1982 à Mme Y... est réduite d'une somme de 15.360,65 F.
Article 2 : Mme Y... est déchargée des droits et pénalités correspondant à la réduction de la base d'imposition définie à l'article 1er.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Y... est rejeté.