La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/1996 | FRANCE | N°94PA01130

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2e chambre, 21 mars 1996, 94PA01130


VU la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Paris le 2 août 1994, présentée pour la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE par la SCP RAVAUD et GENDRE, avocat ; la société demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9300322 du 11 mai 1994 du tribunal administratif de Nouméa qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation du territoire de la Nouvelle-Calédonie à lui verser une indemnité de 120.700.000 F CFP correspondant au surcoût consécutif à la modification par l'administration des caractéristiques et des quantités

de matériaux entrant dans la fabrication de certains ouvrages prévus au marc...

VU la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Paris le 2 août 1994, présentée pour la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE par la SCP RAVAUD et GENDRE, avocat ; la société demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9300322 du 11 mai 1994 du tribunal administratif de Nouméa qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation du territoire de la Nouvelle-Calédonie à lui verser une indemnité de 120.700.000 F CFP correspondant au surcoût consécutif à la modification par l'administration des caractéristiques et des quantités de matériaux entrant dans la fabrication de certains ouvrages prévus au marché conclu le 9 novembre 1992 avec le territoire de la Nouvelle-Calédonie pour la réalisation d'équipements portuaires ;
2°) de fixer à 135.370.000 F CFP l'indemnité due par le territoire de la Nouvelle-Calédonie ;
3°) de condamner ce dernier à lui verser la somme de 800.000 F CFP pour les frais irrépétibles de première instance et de 1.000.000 F CFP pour ceux de l'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la délibération n° 64/CP du 10 mai 1989 ;
VU la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mars 1996 :
- le rapport de M. GIPOULON, conseiller,
Les observations de la SCP RAVAUD et GENDRE, avocat, pour la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE et celles de la SCP DELAPORTE-BRIARD, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour le territoire de la Nouvelle-Calédonie,
- et les conclusions de Mme BRIN, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que par marché en date du 9 novembre 1992 le territoire de la Nouvelle-Calédonie a confié à un groupement d'entreprises ayant pour mandataire commun la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE la construction sur le site portuaire de We à Lifou, d'une digue, d'un quai ainsi que son équipement et d'un terre-plein ; que la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE soutient que des difficultés anormales d'ordre technique, rencontrées en cours d'exécution du contrat, ont entraîné un "surcoût" dont elle est fondée à demander le remboursement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 49 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, tel qu'il a été fixé par la délibération n° 64/CP, en date du 10 mai 1989, de la commission permanente du congrès du territoire de la Nouvelle-Calédonie, - document figurant au nombre des pièces constitutives du marché susvisé- : "49-11. Si un différend survient entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, l'entrepreneur remet au maître d'oeuvre, aux fins de transmission à la personne responsable du marché, un mémoire exposant les motifs et indiquant les montants de ses réclamations - 49-12. Après que ce mémoire a été transmis par le maître d'oeuvre, avec son avis, à la personne responsable du marché, celle-ci notifie ou fait notifier à l'entrepreneur sa proposition pour le règlement du différend dans un délai de deux mois à compter de la date de réception par le maître d'oeuvre du mémoire de réclamation. L'absence de proposition dans ce délai équivaut à un rejet de la demande de l'entrepreneur. - 49-21. Lorsque l'entrepreneur n'accepte pas la proposition de la personne responsable du marché ou le rejet implicite de sa demande, il doit, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette proposition ou de l'expiration du délai de deux mois prévu au 12 du présent article, le faire connaître par écrit à la personne responsable du marché en lui faisant parvenir, le cas échéant, aux fins de transmission au maître de l'ouvrage, un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus. - 49-22. Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage. - 49-23. La décision à prendre sur les différends prévus aux 21 et 22 du présent article appartient au maître de l'ouvrage. Si l'entrepreneur ne donne pas son accord à la décision ainsi prise, les modalités fixées par cette décision sont appliquées à titre de règlement provisoire du différend, le règlement définitif relevant des procédures décrites ci-après. - 49-31. Si, dans le délai de trois mois à partir de la date de réception par la personne responsable du marché de la lettre ou mémoire de l'entrepreneur mentionné aux 21 et 22 du présent article, aucune décision n'a été notifiée à l'entrepreneur, ou si celui-ci n'accepte pas la décision qui lui a été notifiée, l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif compétent. Il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans la lettre ou le mémoire remis à la personne responsable du marché ... - 49-4. Lorsque le marché est passé avec des entrepreneurs groupés conjoints, le mandataire représente chacun d'eux pour l'application des dispositions du présent article jusqu'à la date, définie au 1 de l'article 44, à laquelle prennent fin les obligations contractuelles, chaque entrepreneur étant ensuite seul habilité à poursuivre les litiges qui le concernent" ;

Considérant que la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE a présenté au maître d'oeuvre, par lettre du 5 avril 1993 reçue le 14 avril 1993, une demande d'indemnisation relative à l'incorporation de scories de Nickel dans le béton des accropodes d'un montant de 195.561.700 F CFP ; que par lettre du 29 juillet 1993 le maître d'oeuvre a répondu à la société que sa réclamation avait été transmise au maître de l'ouvrage et que "celui-ci n'a pas retenu votre argumentation et oppose une fin de non-recevoir à votre demande" ;
Considérant que dans ces conditions, la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE qui n'avait pas été mise en situation de contester une décision du responsable du marché dans les conditions prévues par l'article 49-21 précité et à qui le maître d'oeuvre avait fait part, fût-ce à tort, du refus opposé à sa réclamation par le maître de l'ouvrage, se trouvait dans une situation lui permettant de saisir le juge administratif dans les conditions prévues par l'article 49-31 précité ;
Considérant dès lors que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé la demande irrecevable à défaut pour la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE d'avoir, conformément aux dispositions de l'article 49-21 précité, contesté devant le responsable du marché la décision notifiée le 29 juillet 1993 ; qu'ainsi le jugement du tribunal administratif de Nouméa du 11 mai 1994 doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le tribunal administratif de Nouméa ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens tirés de l'irrecevabilité de la demande :
Considérant que la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE aux droits de laquelle est venue en cours d'instance la société Spie Batignolles, pour justifier le remboursement du surcoût qu'elle estime avoir dû supporter dans la fabrication des accropodes invoque tant la modification unilatérale du contrat qui aurait résulté de l'ordre de service du 7 janvier 1993 précisant la taille requise des agrégats devant servir à la fabrication du béton des accropodes, que l'existence de sujétions imprévues résultant de ce que les conditions de la soumission, qui avaient justifié le montant forfaitaire du marché accepté, auraient été modifiées par des circonstances anormales et imprévisibles tenant à la modification de la taille des agrégats et à l'inadaptation de la masse volumique du béton obtenue à partir des agrégats provenant de la carrière Katrawa ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2-01 du cahier des clauses techniques particulières du marché : "les différents matériaux, composants ou équipements ... sont proposés par l'entrepreneur ..." ; que l'article 2-03-2 précise : " ... les formules nominales de consistance du béton seront proposées par l'entrepreneur au maître d'oeuvre dans le cadre du plan d'assurance de qualité du béton" ; que l'article 2-03-4-1 souligne : "l'étude de composition des bétons de structure incombe à l'entrepreneur dans le cadre de son plan d'assurance de qualité" ;

Considérant qu'aucune disposition du marché n'imposait la taille de 80 mm pour les agrégats ; que cette dimension avait été proposée par la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE le 12 février 1992 dans une correspondance qui précisait : "En ce qui concerne l'offre actuelle, nous avons prévu la réalisation des accropodes avec des agrégats tout venant de 0/80. Il est bien entendu que des essais de béton de convenance préalables seront faits par le laboratoire du bâtiment et des travaux publics (LBTP)" ; que dès lors la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE qui avait elle même proposé dès le 7 décembre 1992 l'utilisation de scories de nickel n'est pas fondée à soutenir que l'ordre du service du 7 janvier 1993, en ce qu'il prévoyait une dimension des agrégats de 40 mm, qui sera d'ailleurs portée à 50 mm, aurait comporté une modification unilatérale du contrat justifiant l'indemnisation de ses conséquences ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1-01 du cahier des clauses techniques particulières du marché : " ... Avant de présenter son offre pour l'exécution des travaux, l'entrepreneur est tenu d'avoir examiné les lieux et de s'être assuré par lui-même des conditions existantes dans lesquelles il devra travailler" ;
Considérant que la communication à la société, dans le cadre de la soumission, de rapports du laboratoire du bâtiment et des travaux publics comportant des informations sur les granulats de la carrière de Katrawa et sur la possibilité d'obtenir à partir de ces derniers un béton d'un poids satisfaisant n'était pas de nature, compte tenu des contraintes imposées par le cahier des clauses techniques particulières dans son article 2-03-4-1 pour la fabrication du béton des accropodes et de la nature des matériaux que pouvait fournir la carrière de Katrawa que la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE ne pouvait ignorer, à dispenser cette dernière des vérifications qu'impliquaient tant l'importance de la fabrication des accropodes dans le contrat que la responsabilité de l'entrepreneur dans l'étude du béton comme cela résulte des clauses du cahier des clauses techniques particulières ; que la société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que les difficultés qui ont vu le jour dans le cadre de l'exécution du contrat tant du fait de la taille des granulats que de la masse volumique du béton susceptible d'être obtenue à partir de ceux de la carrière de Katrawa étaient imprévisibles et devaient être regardées comme des sujétions imprévues justifiant l'indemnisation du surcoût qui en a résulté ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que les dispositions de l'article susvisé font obstacle à ce que le territoire de la Nouvelle-Calédonie qui n'est pas la partie perdante soit condamnée à payer à la société Spie Batignolles la somme qu'elle demande au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit à la demande présentée par le territoire de la Nouvelle-Calédonie sur le fondement de l'article susvisé ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif susvisé du 11 mai 1994 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société à responsabilité limitée CITRA PACIFIQUE aux droits de laquelle est venue la société Spie Batignolles devant le tribunal administratif de Nouméa et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 94PA01130
Date de la décision : 21/03/1996
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-08-01 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - REGLES DE PROCEDURE CONTENTIEUSE SPECIALES - RECEVABILITE -Règlements des différends et litiges (articles 49 et suivants du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux en Nouvelle-Calédonie) - Saisine du juge administratif.

39-08-01 L'entrepreneur qui n'a pas été mis en situation de contester une décision du responsable d'un marché dans les conditions prévues par l'article 49-21 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, et à qui le maître d'oeuvre a fait part, même à tort, du refus opposé à sa réclamation par le maître de l'ouvrage se trouve dans une situation lui permettant de saisir le juge administratif dans les conditions prévues par l'article 49-31 de ce même cahier.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Président : M. Lévy
Rapporteur ?: M. Gipoulon
Rapporteur public ?: Mme Brin

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1996-03-21;94pa01130 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award